Photo : Doigt depuis la VN de l'Ossau en février 1997
Dimanche 25 septembre 1960 - Doigt de Pombie
Equipe Hervé-Jean.
Véhicule : 403. Trajet : Pau-Caillou de Soques et retour.
Je viens de passer la cession de rattrapage du Bac Maths
avec succès. Ouf de Ouf car c’était la quatrième fois
sur deux ans que je m’y présentais. Je n’ose imaginer
mon triste sort si je l’avais raté une nouvelle fois.
[Hervé a triplé le Bac Philo et ne l’a jamais décroché].
A l’origine nous avions projeté, Hervé et moi, d’aller
à Arudy ce dimanche-là afin de reprendre langue avec
les rochers. Puis vint une proposition de cet affolé
(sic) de Soubis pour aller grimper une arête quelconque
au Palas. J’avais également la proposition d’aller
faire la voie normale de l’Ossau. Cela ne me disait
pas grand chose, mais offrait l’occasion de nous faire
transporte en voiture jusqu’au Caillou de Soques par
papa qui amenait également Christine et Loulou pour
rejoindre un groupe d’amis qui désiraient « faire l’Ossau ».
Que de projets nous ne fîmes pas, Hervé et moi, au cours
de la soirée du samedi. Le plus dur dans nos virées
escalade était l’approche en vélo. Si l’on pouvait
être soulagé de cette contrainte fatigante et bouffeuse
de temps, tout nous était permis, pensions-nous. Et nous
gambergions sur la face Nord du Petit Pic d’Ossau, plus
exactement la face NW, ouverte par R. Ollivier et R. Mailly
le 30 Août 1935, il y avait juste 25 ans. 25 ans ! Du
Cro Magon pour nous. Mais nous avions beau tourner les
horaires dans tous les sens, il fallait nous rendre à
l’évidence, nous n’aurions pas le temps. L’arrivée en
voiture au Caillou de Soques était prévue pour 8 heures,
et en marchant vite nous n’aurions atteint le pied de la
face NW qu’entre 10 et 11 heures.
Plus raisonnablement, et sur le conseil paternel, nous
visons le Doigt de Pombie, face Est de l’Ossau, beaucoup
plus proche que les faces Nord. Et pourtant nous mettons
deux heures pour rejoindre cette face Est, et nous retrouver
sous le Doigt de Pombie. AD dit le guide, jamais plus de III.
Bon. En avant pour le Doigt.
Pendant que papa, Popo et Anne-Marie sa fille, Loulou, Fayet,
Mr. Et Mme Lobenheimer et leurs filles Fanette et Jacqueline
attaquent la voie normale, nous nous préparons à l’assaut
de cette face Est qui, ma foi, a une certaine allure.
Un névé nous sépare du pied de la face. Il n’a pas l’air
bien méchant. Mais je m’aperçois vite qu’il est dur et qu’il
est raide. Dès lors je ne progresse plus qu’avec lenteur,
le marteau-piolet d’Herwick à la main droite, taillant de
temps en temps des marches pour épargner mes bouts de pied.
Il faut sauter la crevasse qui le barre dans sa partie médiane.
C’est à ce moment que le pater, du haut du col de Suzon,
nous hurle qu’il aurait été bien plus simple de contourner
le névé. Il avait l’air si inoffensif ce névé ! Et voilà
qu’au sommet du névé une épouvantable rimaye le sépare de
la paroi et complique encore un peu plus les choses. Pendant
ce temps Herwick arrive tout tranquillement par les rochers.
Une onglée carabinée me démontre que j’aurais dû en faire autant !
Maintenant en avant ! Les longueurs se succèdent aux longueurs.
Nous passons devant à tour de rôle. Il faut bien qu’Herr Wick
s’habitue. Mais il est lent et manque d’expérience quant à
l’assurance. Aussi, devant le temps qui passe, je suis obligé
de prendre la tête et de la garder. D’ailleurs les ennuis arrivent.
Sommes-nous dans la bonne voie ? Cette grande face, aux dalles
immenses et imbriquées, plongeant dans le vide, ne manque pas
d’être impressionnante. Vers le Nord elle bute sur le Contrefort
Oriental qui a belle allure. Le névé du bas rapetisse, mais pas
assez vite à notre gré. Cependant ce Doigt énigmatique semble
quand même se rapprocher, même si au-dessus de lui une grande
paroi commence à se dessiner et semble monter fort haut. Dépêchons,
l’heure passe et nous avons promis de ne pas être en retard.
Mais comme je l’écrivais plus haut, les ennuis commencent. Une
fissure surplombante et mouillée barre l’espèce de cheminée-
couloir dans lequel nous nous trouvons. C’est du IV. Piton pour
l’assurance du second. Mais ce qui suit est encore pire, aussi
nous essayons de contourner l’obstacle par la gauche. Et ma
foi cela a l’air encourageant. De plus la découverte de deux
pitons nous encourage à poursuivre dans cette direction.
Cependant ce passage est sérieux. Du V et du vrai. Mal à
l’aise, déversé et tout ce qui s’en suit ; après quelques
démêlés avec la corde j’arrive sur une plate-forme où,
à l’aide d’un piton, je fais monter les sacs et Hervé qui
s’en voit assez lui aussi, et ce d’autant plus qu’il enlève
les pitons. Encore un bref passage retors au-dessus,
et deux longueurs nous emmènent à la Brèche du Doigt.
Escalade du Doigt, aisée d’ailleurs, photo, etc… Il faut
continuer. Encordés à 3 mètres, sans nous assurer, nous
fonçons vers le haut. Nous forçons le premier cirque par
un passage athlétique, et emportés par notre élan, nous
débouchons dans le second. Petit merdoyage qui nous fait
emprunter un éperon bordant le cirque sur la rive droite,
au lieu de prendre le fond du cirque lui-même. Après un
mauvais passage croulant nous débouchons dans un couloir
herbeux qui nous débarque fort agréablement sur le Rein de
Pombie au niveau d’un névé. Il est 15h40. Ouf !
Après avoir rejoint la voie normale nous faisons un
véritable festin, bien gagné d’ailleurs, en hurlant à
tous les échos pour savoir si la bande à Robert est
toujours sur le sommet. Un brouillard spasmodique nous environne.
Nous dévalons ensuite la voie normale jusqu’au Val de
Pombie où nos hurlements ont enfin un échos et sont
prélude à la jonction avec l’équipe de la VN. Nous
rattrapons papa et Christine qui nous attendent. Vers
le bas du vallon nous retrouvons la famille Lobenheimer,
Popo, sa fille etc…
Herwick ne peut plus se traîner de mal aux pieds,
à cause de ses souliers neufs [achetés avec l’argent
gagné cet été comme correcteur au journal l’Eclair
où son père est Rédacteur en chef]. Il avait également
étrenné une belle corde nylon bicolore [qui nous changeait
quelque peu de la corde en chanvre et offrait une meilleure
sécurité] et le beau marteau-piolet Charlet que
j’avais utilisé sur le névé glacé.
Le soir tout le monde se retrouve à Gabas pour une
grande ripaille. 12 affamés se pressent autour d’une
table jonchée d’innombrables bouteilles de bière.
J’ai en face de moi l’énigmatique [et belle] Fanette
[qui a conservé ce diminutif toute sa vie durant] qui
a peut-être choisi ce coin-là et qui s’enflamme au
nom d’Etienne, ainsi qu’Anne-Marie d’ailleurs qui s’agite
à ma droite, tandis que Fayet le rigolo pince-sans-rire
ricane à ma gauche. Popo braille tant et plus à côté de
Fanette dont le père garde un flegme imperturbable
[l’occasion de rappeler que ce pdg d’une grande société
a flippé à mort pour franchir le pas qui conduit de la
Pointe de France à la Pointe d’Espagne au sommet de
l’Ossau et qu’il s’est dégonflé] qui contraste avec
les éclats de rire espiègles de la malicieuse Jacqueline,
sœur de Fanette, et qui a tellement grandi depuis l’année
dernière [nous connaissions déjà ces gens, habitant
une rue voisine de l’avenue de Lons]. Elle deviendra jolie.
Plus loin de moi sur la table et moins remarquée la mère
des deux jeunes filles, ma sœur qui, elle, ne se manifeste
qu’au nom du Yéti, Loulou que l’on n’entend pas pour
une fois, Hervé qui fait rire, papa….