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Jean M. Ollivier | all galleries >> Scraps et souvenirs >> Secret pin's >> Dans le secret des Ollivier >> Compilé des meilleurs écrits et récits >> 12montagne > 13 juin 1965 - Eperon Est de la pointe J. Sante. 14 juin Le thé raté
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13 Juin 1965 jmo

13 juin 1965 - Eperon Est de la pointe J. Sante. 14 juin Le thé raté

Hervé en tête (sur la gauche)

Photo : Hervé en tête dans la partie médiane de l'éperon.
Aperçu général de l'éperon Est de la Pointe Jean-Santé : http://www.pbase.com/image/26834143

Samedi à Lundi du 12 au 14 Juin 1965 – Eperon Est de la Pointe Jean-Santé.
Hervé, François, Minnie, Jean. François et Minnie à Pombie,
Hervé et Jean à l’Eperon Est de la pointe Jean-Santé (voie ED).
Véhicules : 500cc RGST, 2 CV et auto-stop.

François veut faire connaître l’Ossau à sa copine Minnie.
Avec Hervé le programme est des plus sérieux : faire l’éperon
Est de la Pointe Jean-Santé qu’il avait loupé récemment à
cause d’un excès de neige…
Nous montons donc ensemble à Pombie. Le petit gave de
Brousset près du parking et qu’il faut traverser à gué effraie
Minnie. Heureusement François est là. Le col de Pombie est orné
d’une gigantesque congère qu’Hervé s’amuse à gravir. Quelques
photos immortalisent cet enneigement exceptionnel.
François retrouve des copains au refuge de Pombie. Lequel
est bientôt envahi par une horde du CAF. Heureusement nous
avons emporté les tentes qui nous ont permis d’avoir une
tranquillité relative. Le temps et l’Ossau sont assez sinistres ce soir.
Lever 4h. Temps magnifique. Petit déjeuner conséquent et
au galop dans le pierrier de la Grande Raillère sauf que…
nous avons oublié le topo de la voie ! Déjà du temps perdu
pour aller le récupérer. La vire ascendante qui conduit à
l’éperon Est est vite atteinte. Nous décidons de la parcour
ir non encordés. Facile au début elle prend vite de la hauteur
et devient de plus en plus aérienne à mesure que les prises
s’amenuisent, deviennent friables, que le rocher est humide
et glissant en plus d’être froid. Dure mise en route qui sème
quelques angoisses.
La vire bute sur un névé très raide qui descend du couloir
Pombie-Suzon. Il a un peu fondu depuis la dernière tentative
d’Hervé et a libéré le dièdre d’attaque qui est face au couloir.
J’assiste ensuite à une escalade typiquement Herr Wick.
Nous sommes attachés à la même corde et il n’y a aucune
protection sur notre bout de vire suspendue au-dessus du vide.
Hervé part en tête, évite le premier surplomb en creusant
des marches sur le névé tout proche mais très raide, mouille
ses chaussures, refroidit ses mains au contact de la neige
et manque de dévisser en prenant pied sur le rocher au-dessus
du surplomb. Ses pieds ont ripé par manque d’adhérence. Ses
doigts gelés au cours de son ascension du névé ne sentent plus
le rocher. Et pourtant il a tenu ! En bas, au bout de la corde
je n’ose plus respirer. A quel dieu devons-nous d’être encore
en vie ? Et ce n’est que le début. Je ne suis vraiment pas venu
pour ça. Ça c’est le jeu de roulette russe qu’a l’air
d’affectionner Hervé. A-t-il eu peur ? Je n’en suis même pas sûr.
Je le rejoins en passant par le surplomb et non par ce stupide
névé humide. C’est vite enlevé. Le relais sur lequel Hervé m’a
fait venir étant par trop inconfortable, nous nous installons
sur une plate-forme digne de ce nom et je poursuis en tête.
Je tombe tout de suite sur un surplomb « velu » qui m’oblige
à placer un étrier tellement il est déversé. Au-dessus c’est
fin et soutenu avec un point d’orgue au niveau d’une traversé
qui me permet de rejoindre une nouvelle plate-forme où j’installe
un relais solide pour faire venir Hervé. Il enchaîne ensuite par
une longueur d’escalade artificielle qui bute sur des surplombs
hostiles. Sa corde, virevoltant dans tous les sens de mousquetons
en mousquetons, finit par se bloquer et il ne peut plus avancer.
Il est obligé de faire un relais sur étrier – ce qui ne figure pas
sur le topo !
De mon côté je commence à faire l’expérience des pitons enfoncés
dans la roche cristalline ultra-dure de l’Ossau (andésite), ils
sont quasi-inenlevables !
Depuis le relais sur étrier Hervé souhaite continuer en tête vers
les surplombs hideux qui ont l’air de lui en vouloir selon ses dires.
Au cours de sa tentative les surplombs sortent les dents et lui font
barrage. Inquiet, voire apeuré, il me cède la place pour que je trouve
une solution à ce problème. Comme je préfère grimper en tête je ne me
fais pas prier. Le problème est plus psychologique que réel. Pour moi
tout se passe bien et, au-dessus des surplombs-dents de la mer je peux
bientôt me vautrer sur un solarium grand luxe, une aubaine dans cette
paroi vertigineuse et hostile.
Je fais venir Hervé qui trouve le moyen de (presque) dévisser en
second. Toujours parcimonieux et économe côté matériel il a utilisé
un vieil anneau de corde en fin de vie en guise d’étrier. L’anneau
a pété, mais heureusement la corde l’a retenu. La leçon du Penemedaa
ne lui avait pas suffi [voir l’escalade du Penemedaa en 1963]. De toute
façon il oublie tout. Les femmes adorent. Pas les compagnons de cordée.
Je continue en tête pour la longueur suivante, assez facile hormis
un pas vicieux. Hervé enchaîne la longueur suivante, puis me cède la
place. J’arrive au pied d’un vaste mur sombre de sinistre apparence.
Autrement dit il a une sale gueule et ne présage rien de bon. Un excellent
relais permet d’assurer la cordée. Spectacle assuré pour le second, moi
en l’occurrence, puisque c’est au tour d’Hervé de franchir l’obstacle.
Hervé se lance. Une mouche sur une vitre inspirerait davantage de
confiance. De mon poste d’observation je m’attends à tout instant à le
voir voler, non pas comme une mouche mais plutôt comme un fer à repasser.
Je renforce la sécurité du relais et avale ma salive. Je trouve le
temps long. La progression est lente, cela doit être difficile.
Vivement qu’il sorte de là. Je passe un très mauvais quart d’heure.
Plusieurs en fait.
Je suis heureux de rejoindre Hervé. C’est difficile mais sans plus.
Le style Herr Wick n’inspire pas confiance et derrière lui je ne suis
pas tranquille, je manque de sérénité. J’entreprends la longueur
suivante, assez classique, et qui se termine par le franchissement
d’une grosse écaille surmontée en duelfer. Le relais est excellent..
Une ligne de pitons nous indique la voie à suivre. C’est de l’escalade
artificielle (pour nous, car c’est certainement faisable en libre).
Cela prend du temps, exige des relais sur étriers, également le
hissage des sacs, et nous mène enfin sur la partie intermédiaire
de l’éperon Est, l’Epaule. Elle est bien visible sur les photos.
Nous pensons l’affaire dans la poche. Que nenni ! Il est loin
le sommet. Ce nid d’aigle, en plein milieu de l’éperon Est domine
l’effrayant couloir Pombie-Suzon qui résonne constamment de la chutes
des pierres de tout calibre qui se ruent dans ce sinistre entonnoir.
Comment peut-on avoir l’idée de grimper là-dedans, dans cette cave
insalubre qui ressemble à un tout-à-l’égout ?
L’idée que le gros des difficulté est derrière nous a fait retomber
la tension et nous prenons conscience d’une certaine fatigue. L’après-midi
est bien avancée, voilà au moins 12 heures que nous nous activons
sans répit. Au-dessus de nous les fissures de sortie, telles des tuyaux
d’orgue géants, ont une allure vraiment menaçante. Il faut nous préparer
à affronter les difficultés d’une nouvelle course. Hervé avoue qu’il
est crevé, aveu bien rare de sa part. Nous tirons au sort celui qui
partira le premier en tête. Cela tombe sur Hervé.
L’enthousiasme dévastateur qui l’avait fait rigoler lors du dérapage
contrôlé de justesse de la première longueur est bien loin. La progression
devient très lente, nous nous traînons. J’en suis presque à m’endormir
sur un relais alors qu’Hervé en bave à mort dans une longueur impitoyable.
Cahin caha nous surmontons les fissures et butons enfin sur les surplombs
qui les couronnent. C’est mon tour de passer en tête. En second il faut
l’avouer humblement je me suis reposé et j’ai quelque peu récupéré.
La perspective d’une sortie imminente me gavanise et je négocie assez
bien l’ultime difficulté de la voie. Il est 21h lorsque nous émergeons
au sommet de l’Eperon Est.
… Profitant des dernières lueurs du jour, puis du clair de lune ayant pris
le relais et de nos frontales enfin utiles, nous dévalons le Cirque Gris,
puis la Voie des Vires. Au moment d’atteindre le névé de base de cette voie,
à 23h30, un grondement catactéristique se fait entendre accompagné d’explosions
proches de nous. Nous vivons une fois de plus l’effondrement en direct de
la grande montagne qui, un jour, ne sera plus qu’un tas de ces cailloux…
et nous dessous si ça se trouve !
Afin d’échapper à un pareil destin nous effectuons une ramasse-éclair
sur le névé et courons à sauve-qui-peut dans la caillasse de la Grande Raillère.
Nous retrouvons le refuge de Pombie vide d’habitants. François est
finalement parti avec Minnie, nous abandonnant à notre (triste ?) sort
et laissant l’intérieur du refuge dans un fieffé bordel. Manque de
solidarité. Après force vitupérations avec pour thème « ces pauvres cons qui
se font mener par le bout du nez par leurs tristes minettes du moment», nous
nous calmons un peu et nous restaurons généreusement, n’ayant pratiquement
rien mangé depuis le petit déjeuner à 4h. du matin.
Hervé choisit de rester dans le refuge pour dormir, quant à moi je
réintègre ma tente. Nuit réparatrice s’il en fut.
Je suis levé le premier. Un soleil généreux envoie ses premiers rayons
sur le colosse qui prend alors de subtiles teintes cuivrées. Il semble
veiller comme aux premiers âges sur la quiétude sereine de ce petit coin
de Pombie, son lac, sa petite maison, dans un silence de cathédrale. « Ô temps
suspends ton vol ! ». Le bonheur à l’état pur. Et dire qu’hier nous
étions quelque part là-haut !
En attendant qu’Hervé se réveille je récolte des brindilles de rhododendron
mort pour faire un petit feu destiné à la préparation du thé matinal.
Après deux heures de soins attentifs, l’eau ayant chauffé suffisamment,
le thé tant désiré est enfin prêt. Tout le thé disponible a été utilisé.
Impossible de faire du rab. Et à ce moment-là je me demande encore ce qui
a pris à Hervé. J’avais construit un petit foyer contre le mur sud du
refuge à l’abri du vent avec des pierres grossièrement cubiques, puis allumé
le feu et déposé au-dessus une gamelle remplie d’eau. Dispositif
parfait qui fonctionnait gentiment. Lorsque tout fut prêt Hervé fut
pris d’un besoin soudain d’apporter de la perfection à la perfection.
Selon lui quelque chose clochait dans mon édifice et il fallait
absolument corriger cette aberration, insupportable à ses yeux. En une
fraction de seconde tout le thé de la Perette et du cornichon qui
l’avait préparé chuta sur le feu qu’il étouffa instantanément. Tout
n’était même pas à refaire, car il ne restait ni thé ni brindilles.
Il ne restait qu’une immense colère retenue et une frustration
à nulle autre pareille…
Nous en fumes réduits au régime sec, pain dur et saucisson racis.
Mais c’était bon quand même, nous en avions vu d’autre. Le cadre dans
lequel nous savourions ces miettes apportait tout ce qui pouvait manquer
à notre repas improvisé. La sérénité propre à ces lieux nous avait enfin
gagnés. Nous étions heureux. Nous n’allions tout de même pas nous disputer
pour une banale histoire de thé, m’enfin !
Tout cela est bien bon mais il fallait maintenant songer à rentrer à Pau
sans la 2 CV de François qui nous avait traitreusement abandonnés, Minnie
travaillant sans doute en ce lundi.
Nous descendons directement le val de Pombie avec l’intention d’aller
faire du stop au Pont de Camps. Ce val est un régal printanier avec ses fleurs,
ses eaux vives et quelques isards qui gambadent dans cette nature digne du
paradis terrestre tel qu’on l’imagine. A mesure que nous descendons le soleil
devient de plus en plus généreux, il fait carrément chaud. Dans la fôrêt
qui suit le val nous débarrassons des arbres d’affiches publicitaires en
plastique signalant je ne sais quelle manifestation de zozos autour de l’Ossau.
A cul les Velrans !
Au Pont de Camps la première voiture rencontrée nous prend en stop et
nous dépose au Parc Beaumont à Pau. Plus que quelques km à pied dans une
ville surchauffée et nous serons chez nous.
Et quoi d’autre maintenant dans cette plaine abhorrée ? Des exams,
laisser-passer nécessaires pour préserver la vie future, des fiançailles,
pour mieux se faire claquemurer derrière les barreaux de la prison sociale ?
N’en jetez plus !


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