Il est des années où l'on peut rencontrer d'énormes amas de neige.
Photo : tout simplement sur le chemin qui mène au refuge de Pombie depuis Aneu, au mois de juin !
Dimanche 11 Mars 1962 – Projet Ossau Voie Normale
Equipe : Hervé-Jean Véhicules : motos Mahaut et Néocide.
Lever 3h30 du matin et départ aux environs de 4 heures, Hervé et moi, chacun sur sa moto et le barda de skis, bâtons, sac attaché sur l’engin. Dès la sortie de Pau je vais plus vite qu’Hervé et le sème malgré la route noire, l’éclairage déficient et le froid qui pince. La moto chasse plusieurs fois de l’arrière sur la route humide et glissante. Peu avant Gabas, dans un virage, hésitant sur la marche à suivre, je n’arrive pas à rattraper une glissade et sors de la route pour attérir dans un ruisseau le nez le premier ! heureusement les skis et le sac de montagne sont restés fixés sur la moto. Je ramène l’ensemble sur la route et attends Hervé pour lui signaler le virage. Il ne tarde pas à débouler, sans casse, et nous poursuivons jusqu’au Pont de Camps. La route y est partiellement enneigée et nous oblige à quelques acrobaties. Deux autres bandes de neige barrant la route un peu plus loin sont également franchies avant que nous ne décidions d’en rester là avec les motos.
La neige paraissant assez dure pour supporter un piéton nous choisisons de laisser les skis sur les motos. C’est sans doute la flemme qui nous guide et aussi un défaut de lucidité dû au manque de sommeil. Nous nous sentons déjà fatigués.
La neige porte jusqu’au bois qui précède le Val de Pombie. Dans le bois, à l’ombre la plupart du temps, la neige n’a pas été transformée et de ce fait ne porte pas. Nous enfonçons jusqu’aux genoux à chaque pas et nous relayons pour faire la trace. Epuisant. Arrivés dans le Val de Pombie proprement dit nous avisons un grand rocher sec pour souffler un instant… qui devient 2 heures ! L’Ossau s’éloigne alors que nous nous en rapprochons ! Nous réalisons, mais un peu tard, l’erreur qui a été la nôtre de laisser les skis dans la vallée. Trop tard, trop loin pour les récupérer. Nous repartons donc à pied dans l’immense vallon maintenant éclairé (et chauffé !) par un généreux soleil qui transcende le paysage.
Déjà la neige commence à mollir. Pour ne pas m’enfoncer à chaque pas j’effectue aux dires d’Hervé une véritable « danse nuptiale de l’ornithorinque » ; elle a pour effet de le mettre en fureur car il ne possède pas les codes de cette danse particulière. N’y parvenant pas il s’épuise en vains entrechats et finit chaque fois par s’enfoncer dans la traitre neige et par attraper un coup de pompe.
Nous nous arrêtons pour casser la croûte à l’aplomb du couloir Pombie-Suzon. Cave verticale horrible bavant de glace elle ne laisse pas de nous impressionner, de nous imposer le sentiment que l’on ne peut pas passer par là. Nous contemplons un long moment le couloir le plus raide et exposé de l’Ossau. Pour nous la voie normale c’est déjà l’Eiger ! Alors. [Qui eût pu penser en ces instants que ce fou d’Hervé irait se mettre dans ce piège 4 ans plus tard, presque jour pour jour ? Et réussir son ascension avec le même matériel que celui que nous avons emmené aujourd’hui : crampons sans pointes avant, piolet classique à manche de bois. Avec le matériel de Ueli Steck – 26 fois l’Eiger – ce couloir devient une banalité].
Vu l’heure et la forme olympique qui est la nôtre il ne nous reste plus qu’à descendre. Au cours de la descente du val de Pombie nous croisons cet affolé de Jean Minville, John pour nous. Il monte au refuge de Pombie pour passer six jours en solitaire. Il nous raconte qu’il est parti hier soir de Pau, a glandé à Laruns (ou nous avions repéré ce matin son scooter et ses skis) et se retrouve maintenant à 14h en plein val de Pombie. Il a bien changé depuis nos expéditions de 1959 à Castet Ozoum et à la grotte de l’Ours de Gourette. C’est un autre John qui est là.
Sitôt rejoints nos monstres les « racers » toujours équipés de nos skis il ne nous reste qu’à les enfourcher pour foncer à tout berzingue vers la plaine. Nous dépassons bien souvent le 100 sur la route tortueuse du Pourtalet. Je dépasse quantité de bagnoles ainsi qu’Hervé qui file loin devant jusqu’au moment où, ratant une courbe au niveau du barrage de Fabrèges il se retrouve à plat ventre sur le mur qui borde la retenue. Derrière c’était le grand plongeon. La chance, une fois de plus.
Je récapitule les vols en ce qui concerne Néocide : 3 vols jusqu’à présent. Un premier vol sur un passage-piéton peint et très glissant en quittant la côte Marca pour remonter la rue qui aboutit place Gramont à Pau, un second vol près de Fabrèges ce matin, et un troisième sur une plaque de verglas au-dessus du Pont de Camps, ce matin également. Voilà trois croix noires à peindre sur Néocide. Tous ces vols sans casque, sans équipement particulier et sans conséquence. La chance aussi…
On Samedi et Dimanche 17 et 18 Mars 1962 – Nouvelle tentative à la VN de l’Ossau.
Equipe : François, Hervé, Jean. Véhicules : Mahaut et Néocide.
Les détails de cette expédition furent réglés durant la semaine précédente grâce à un abondant courrier épistolaire. François ne pouvant être libre qu’à partir de samedi à 16h, à l’arrivée du train de Bordeaux, nous avions décidé d’enchaîner directement par la route jusqu’au Pont de Camps ou Caillou de Soques et la montée à Pombie, toujours par le fameux val emprunté dimanche dernier par Hervé et moi.
A 16h donc les deux motards attendent François à la gare de Pau. J’arrive avec une Néocide méconnaissable : sont arrimés sur son chassis deux paires de ski, deux bâtons, deux piolets et un énorme sac qui double presque sa longueur. Une photo immortalise cet équipage.
Cet attirail démoniaque rend la conduite de la moto très délicate : la roue avant est allégée du fait de la mauvaise répartition des masses et comme la roue arrière est décentrée par nature, le pilote doit passer son temps à compenser ces anomalies pour rester sur la route. C’est fatigant mais n’empêche pas d’aller vite !
Sitôt François récupéré [il n’est pas noté de comité d’accueil aujourd,hui] nous fonçons immédiatement au chalet suisse où jl peut déposer sa valise et s’équiper pour la montagne. Nous partons rapidement « sur la route bien connue de la Vallée d’Ossau » [Extrait du chant de Mahaut]. Néocide marche du tonnerre et va plus vite que Mahaut chargée de François et Hervé.
Aux environs de 19 heures nous arrivons aux premières plaques de neige qui barrent la route. Ce n’est pas pour arrêter les monstres qui poursuivent sans barguigner jusqu’au Caillou de Soques. Hervé a cependant crevé une canalisation d’huile de Mahaut dans cette course effrénée.
Nous avons la chance de bénéficier d’un clair de lune intense qui prend le relais de la lumière du jour pour entamer la montée vers Pombie. Les skis d’Hervé et de François montrent des faiblesses et leur réparation fait perdre du temps. Pause pour nous désaltérer à l’entrée du val de Pombie. Je prends alors la tête et sème rapidement les deux débutants skieurs. La montée solitaire dans ces mamelons de neige étincelants sous la lumière monochrome de la lune me transporte dans un univers irréel, ou plutôt rêvé. Indifférent à l’effort je plane dans ce décor enchanteur. L’esprit saute des sinistres et sombres amphis aux enseignements abscons aux pures merveilles dispensées par la nature. Le choix est vite fait. Et pourtant…
Les derniers mètres de la dernière pente sont pénibles. Hervé arrive 20 minutes après moi, et François ¾ d’heure après Hervé ! Repas spartiate et au dodo. Avec deux duvets je suis confortable pour dormir, n’eut été les misérables bestioles (loirs) qui passent leur temps à grignoter je ne sais quoi dans la cheminée ou devant la porte, je ne sais pas. Sauf qu’elles font un chahut de tous les diables. Emerge dans nos esprits embrumés par la fatigue. et le sommeil la certitude qu’elles sont chez elles et que les intrus c’est nous. Nous parvenons ainsi à les excuser et à mieux supporter leurs bruyantes activités.
Lever 6h30. Nous avons déjà 1h30 de retard sur l’horaire prévu. Nous éprouvons une certaine lassitude, mais pas suffisamment pour ne pas apprécier un lever de soleil faramineux. Le ciel est d’un bleu pâle délicat, la neige est légèrement ocrée avec de longues ombres mettant en relief les douces ondulations qu’elle recouvre. La Sud-Est a grande gueule.
La montée vers le col de Suzon est pénible. Les skis mal adaptés, la neige instable. J’en bave sec sur les derniers mètres. Et en fait de sec nous n’avons pas d’eau et je retrouve Hervé et François, arrivés bien avant moi, suçant désespérément la neige. J’en fais autant et nous cherchons, la langue pendante, tous les « sacs à eau » de la région. La neige est toute preforée ici, et Hervé se met à ressembler et à agir comme un doryphore géant, ou à un termite creusant ses galeries.
Désaltérés, nous nous décidons quand même, malgré la flemme, à attaquer les pentes bien raides de la Voie Normale du Grand Pic d’Ossau. Malgré un soleil qui tape fort la neige reste dure grâce à un fort vent glacial qui nous coupe le visage. Sa qualité est telle que nous nous sentons en sécurité sur les pentes les plus raides, 45 degrés ou plus. Nous montons ainsi sans être encordés jusqu’à une selle recouverte de poudreuse légère et dominée par des surplombs neigeux. Les pentes filent dur en direction de la face Nord, ce qui nous incite à nous encorder. Et au-dessus ce n’est pas mieux. Un couloir d’apparence horrible rejoint un petit col.
Hervé prend la tête et s’avance dans le couloir. Vu de notre position à François et moi, c’est affreux et ça tord un peu les boyaux. S’il dérape ce ne sont pas nos pauvres piolets plantés dans la poudreuse qui pourraient le retenir, et comme nous sommes au bout de la corde…
Arrivé à bout de corde lui aussi il nous fait venir sur le « relais-fauteuil » comme il l’appelle, creusé en pleine pente très raide, 50 degrés, peut-être 60, et continue sur trois longueurs. Puis je le remplace en tête. Nous sommes échelonnés sur 60 mètres. La neige reste sûre malgré la chaleur, tout se déroule comme sur des roulettes, nous nous sentons bien, c’est à dire en sécurité. J’arrive ainsi sur le collet visé qui plonge sans transition et verticalement dans la froide et sombre face Nord. Nous allons nous installer sur des rochers secs pour déguster une délicieuse crème pralinée saupoudrée de neige poudreuse. Et nous décidons d’arrêter ici les frais car la journée s’avance. Quel dommage !
La descente est régulière, sur une neige légèrement fondante, facile. Hervé file devant en ramasse, François suit, plus prudemment. Quant à moi je n’ose pas me livrer à trop d’excentricités en assurant chaque longueur de corde descendue, mais je ne traîne pas. Nous redoublons d’attention au cours d’une traversée délicate sur poudreuse instable, puis c’est la descente rapide, à hum, toutes cordes au vent, vers le col de Suzon.
Du col nous apercevons au loin la horde du CAF venant du col de Peyreget pour continuer le tour de l’Ossau.
Notre descente à ski du col de Suzon vers Pombie est rendue pénible à cause de la mauvaise qualité de nos vieux skis, planches vénérables et voilées qui auraient plutôt leur place dans un musée ! Nous les traitons d’infâmes alors qu’ils ont eu une longue carrière au service de gens heureux de les utiliser avant nous.
Nous croisons l’armada du CAF dans laquelle nous rencontrons Guy Ruez, le « Vieux Bouc » Labadot, Faure, et même Richardson qui commet l’erreur bienveillante de nous tendre sa gourde remplie de thé, gourde que nous vidons sans vergogne jusqu’à la dernière goutte ! Un peu fatigué il n’a pas réagi.
Nous récupérons les affaires de couchage au refuge de Pombie et descendons peinardement le Val de Pombie. Nous nous amusons comme des fous et Hervé, studieux pour une fois, essaie d’affiner sa technique. Dans le bois qui suit le val cela devient assez homérique pour François et lui quand ils essaient de slalomer entre les arbres, trop serrés à leur goût !
Nous retrouvons les motos à 18h. Départ à 18h20 et arrivée au Foufouland à 20h. Heure de chrétien donc. S’en suit une sympathique bamboula jusqu’à minuit pour clore ces deux jours exceptionnels.
Malgré le petit goût d’inachevé nous sommes d’accord pour estimer que ce fut quand même pas mal. Traduction : très bien.
Photo : tout simplement sur le chemin qui mène au refuge de Pombie depuis Aneu, au mois de juin !