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1964 Ch. Flouch

Photo jm, 1964 et En solo à Sesto en 1961

El Patio

Mardi 31 Octobre 1961 – Sesto en solo.

En cet après-midi du 31 Octobre pas de cours. Puis ce sont les vacances de la Toussaint. Mais j’ai déjà envie de faire quelque chose. Or, aucun de mes copains actifs n’est libre. Eh bien j’irai tout seul.
En route pour Arudy. En vélo bien sûr. Rien de particulier ne se passe sur la route et à 16 heures je suis au bivouac de Sesto. Rien n’a bougé depuis notre dernier passage. Je me mets en tenue et pour prendre contact avec le rocher je grimpe la voie en Z en cinq minutes. Je manque de m’assommer à l’endroit le plus délicat en voulant aller vite.
Du haut du rocher me parviennent tout à coup des bruits bizarres, provenant des couloirs de végétation, au Sud. Ils ressemblent à ceux que pourrait produire la démarche d’un être humain, des pierres roulent. Peu fréquent par ici… un chasseur peut-être… ou des animaux. En tout cas je ne vois rien.
Je m’attaque ensuite, non sans un petit serrement de cœur, à la voie Bloc-Coincé – Vire. J’y vais sans corde ni aucun matériel. Une fois engagé je ne pourrais plus revenir. Mais j’ai confiance. Je l’ai déjà faite tant de fois cette voie, pourquoi m’arriverait-il malheur aujourd’hui ? Le Dièdre n’est pas un problème, car c’est toujours dans ces conditions que je le gravis (en tête et sans assurance). Je situe avec précision le pas de IV ; le fait est qu’il n’y a pas grand chose pour les mains et si le pied dérape adieu la valise. Vient ensuite le Bloc Coincé. Je ne trouve pas son escalade d’une difficulté spéciale ; quand je pense que sa première escalade se fit avec un étrier, il y a deux ans déjà.
Arrivé sur le bloc coincé je souffle un peu. C’est maintenant la partie la plus exposée de l’ascension et de ce fait la plus délicate : la Vire. Pour en revenir à la première fois que nous sommes montés sur le bloc nous avons à peine regardé la vire, sans aucune idée de la parcourir. Elle était d’emblée exclue de notre univers mental de grimpeur. Nous avons préféré nous escrimer des heures sur le faux toit de gauche, si vertigineux soit-il.
La Vire donc, à l’usage, ne s’est pas avérée particulièrement difficile, mais simplement impressionnante. Mais tout seul, en plein ciel, ayant pour unique assurance l’extrémité de ses mais et de ses pieds… Je lance donc ma jambe droite pour effectuer l’enjambée qui doit me permettre de prendre pied sur la vire. En cordée, arrivé là, je suis assuré de près, et je traverse la vire en toute confiance sans prêter attention au vide ou à quoi que ce soit. Tandis qu’aujourd’hui !… A peine posé sur la vire je me crispe et ne trouve pas de suite la bonne position d’équilibre, ce qui crée en moi un début d’anxiété. Je dois surmonter ma peur et arrêter de me dire « qu’est-ce que je fais là ? » Et bientôt, tout occupé à négocier le passage je ne fais plus attention à rien d’autre. Je m’y prends bien pour me rétablir de l’autre côté et arrive sans encombre au relais. Ouf !
Je me relaxe pendant quelques minutes puis continue par la traversée à gauche sous l’Aiguillette, fort aérienne ; bien décollé du rocher je pends au-dessus du vide. Si l’on ne pense pas à sa situation réelle en un tel moment l’esprit reste serein et l’on peut même apprécier l’étrangeté et la précarité de cette situation particulière : la vie au bout des doigts. J’ouvre la main, je meurs. Ce qui s’appelle un destin bien en main ! L’impression unique de contrôler sa destinée en effet et d’être libéré quelques instants des contingences de la vie (travail, famille, et bientôt patrie). En jaillit une sorte d’ivresse de liberté absolue. Il est libre Max. Et si l’on allait rejoindre les anges ? La tentation peut être forte en de tels moments. C’est là que je perçois que le solo peut devenir une drogue et que l’on risque de ne plus pouvoir s’en passer car c’est beaucoup mieux que fumer bestialement de l’herbe ou sniffer de la cocaïne, ou pis se piquer à l’héroïne. L’avantage aussi c’est qu’on meurt plus vite, sans effets secondaires. Faut pas se rater.
Mais je n’en suis pas là fort heureusement et je chasse les pensées introspectives négatives pour ne pas me trouver miné par une anxiété qui peut me nouer l’estomac. Pendu par un bras à ce qu’il reste du tronc d’un buis abattu lors du défrichage de la paroi, je me prends à admirer et la situation et le paysage : les parois voisines dont l’élan est alors souligné, le « gaz » qui se creuse sous moi, la clairière défrichée tout en bas. Si j’étais un oiseau…
Mais je préfère ne pas jouer trop longtemps les petits oiseaux et gagne rapidement un endroit plus hospitalier. J’arrive à l’Aiguillette. L’Aklon me tente un instant, mais ce sera pour une autre fois. N’exagérons pas. Cette expérience solitaire s’est bien passée, ne risquons pas plus. J’arrive sans encombre au sommet.
En descendant la voie normale j’ai le privilège d’avoir la visite d’un grand et beau hibou aux plumes beige clair. Il s’est posé en douceur et sans bruit, sur une branche non loin de moi ; il me regarde de ses grands yeux noirs. J’ai l’impression d’avoir en face de moi une tête humaine sur un corps d’oiseau. C’est la récompense de cette journée riche en émotions disons privées.
En rentrant sur Pau je me régale d’excellentes pommes, dévorées assis sur la selle du vélo, sans tenir le guidon… en projetant d’autres escalades heureuses.


Samedi et Dimanche 17 et 18 Mars 1962 – Nouvelle tentative à la VN de l’Ossau.
Equipe : François, Hervé, Jean. Véhicules : Mahaut et Néocide.

Les détails de cette expédition furent réglés durant la semaine précédente grâce à un abondant courrier épistolaire. François ne pouvant être libre qu’à partir de samedi à 16h, à l’arrivée du train de Bordeaux, nous avions décidé d’enchaîner directement par la route jusqu’au Pont de Camps ou Caillou de Soques et la montée à Pombie, toujours par le fameux val emprunté dimanche dernier par Hervé et moi.
A 16h donc les deux motards attendent François à la gare de Pau. J’arrive avec une Néocide méconnaissable : sont arrimés sur son chassis deux paires de ski, deux bâtons, deux piolets et un énorme sac qui double presque sa longueur. Une photo immortalise cet équipage.
Cet attirail démoniaque rend la conduite de la moto très délicate : la roue avant est allégée du fait de la mauvaise répartition des masses et comme la roue arrière est décentrée par nature, le pilote doit passer son temps à compenser ces anomalies pour rester sur la route. C’est fatigant mais n’empêche pas d’aller vite !
Sitôt François récupéré [il n’est pas noté de comité d’accueil aujourd,hui] nous fonçons immédiatement au chalet suisse où jl peut déposer sa valise et s’équiper pour la montagne. Nous partons rapidement « sur la route bien connue de la Vallée d’Ossau » [Extrait du chant de Mahaut]. Néocide marche du tonnerre et va plus vite que Mahaut chargée de François et Hervé.
Aux environs de 19 heures nous arrivons aux premières plaques de neige qui barrent la route. Ce n’est pas pour arrêter les monstres qui poursuivent sans barguigner jusqu’au Caillou de Soques. Hervé a cependant crevé une canalisation d’huile de Mahaut dans cette course effrénée.
Nous avons la chance de bénéficier d’un clair de lune intense qui prend le relais de la lumière du jour pour entamer la montée vers Pombie. Les skis d’Hervé et de François montrent des faiblesses et leur réparation fait perdre du temps. Pause pour nous désaltérer à l’entrée du val de Pombie. Je prends alors la tête et sème rapidement les deux débutants skieurs. La montée solitaire dans ces mamelons de neige étincelants sous la lumière monochrome de la lune me transporte dans un univers irréel, ou plutôt rêvé. Indifférent à l’effort je plane dans ce décor enchanteur. L’esprit saute des sinistres et sombres amphis aux enseignements abscons aux pures merveilles dispensées par la nature. Le choix est vite fait. Et pourtant…
Les derniers mètres de la dernière pente sont pénibles. Hervé arrive 20 minutes après moi, et François ¾ d’heure après Hervé ! Repas spartiate et au dodo. Avec deux duvets je suis confortable pour dormir, n’eut été les misérables bestioles (loirs) qui passent leur temps à grignoter je ne sais quoi dans la cheminée ou devant la porte, je ne sais pas. Sauf qu’elles font un chahut de tous les diables. Emerge dans nos esprits embrumés par la fatigue. et le sommeil la certitude qu’elles sont chez elles et que les intrus c’est nous. Nous parvenons ainsi à les excuser et à mieux supporter leurs bruyantes activités.
Lever 6h30. Nous avons déjà 1h30 de retard sur l’horaire prévu. Nous éprouvons une certaine lassitude, mais pas suffisamment pour ne pas apprécier un lever de soleil faramineux. Le ciel est d’un bleu pâle délicat, la neige est légèrement ocrée avec de longues ombres mettant en relief les douces ondulations qu’elle recouvre. La Sud-Est a grande gueule.
La montée vers le col de Suzon est pénible. Les skis mal adaptés, la neige instable. J’en bave sec sur les derniers mètres. Et en fait de sec nous n’avons pas d’eau et je retrouve Hervé et François, arrivés bien avant moi, suçant désespérément la neige. J’en fais autant et nous cherchons, la langue pendante, tous les « sacs à eau » de la région. La neige est toute preforée ici, et Hervé se met à ressembler et à agir comme un doryphore géant, ou à un termite creusant ses galeries.
Désaltérés, nous nous décidons quand même, malgré la flemme, à attaquer les pentes bien raides de la Voie Normale du Grand Pic d’Ossau. Malgré un soleil qui tape fort la neige reste dure grâce à un fort vent glacial qui nous coupe le visage. Sa qualité est telle que nous nous sentons en sécurité sur les pentes les plus raides, 45 degrés ou plus. Nous montons ainsi sans être encordés jusqu’à une selle recouverte de poudreuse légère et dominée par des surplombs neigeux. Les pentes filent dur en direction de la face Nord, ce qui nous incite à nous encorder. Et au-dessus ce n’est pas mieux. Un couloir d’apparence horrible rejoint un petit col.
Hervé prend la tête et s’avance dans le couloir. Vu de notre position à François et moi, c’est affreux et ça tord un peu les boyaux. S’il dérape ce ne sont pas nos pauvres piolets plantés dans la poudreuse qui pourraient le retenir, et comme nous sommes au bout de la corde…
Arrivé à bout de corde lui aussi il nous fait venir sur le « relais-fauteuil » comme il l’appelle, creusé en pleine pente très raide, 50 degrés, peut-être 60, et continue sur trois longueurs. Puis je le remplace en tête. Nous sommes échelonnés sur 60 mètres. La neige reste sûre malgré la chaleur, tout se déroule comme sur des roulettes, nous nous sentons bien, c’est à dire en sécurité. J’arrive ainsi sur le collet visé qui plonge sans transition et verticalement dans la froide et sombre face Nord. Nous allons nous installer sur des rochers secs pour déguster une délicieuse crème pralinée saupoudrée de neige poudreuse. Et nous décidons d’arrêter ici les frais car la journée s’avance. Quel dommage !
La descente est régulière, sur une neige légèrement fondante, facile. Hervé file devant en ramasse, François suit, plus prudemment. Quant à moi je n’ose pas me livrer à trop d’excentricités en assurant chaque longueur de corde descendue, mais je ne traîne pas. Nous redoublons d’attention au cours d’une traversée délicate sur poudreuse instable, puis c’est la descente rapide, à hum, toutes cordes au vent, vers le col de Suzon.
Du col nous apercevons au loin la horde du CAF venant du col de Peyreget pour continuer le tour de l’Ossau.
Notre descente à ski du col de Suzon vers Pombie est rendue pénible à cause de la mauvaise qualité de nos vieux skis, planches vénérables et voilées qui auraient plutôt leur place dans un musée ! Nous les traitons d’infâmes alors qu’ils ont eu une longue carrière au service de gens heureux de les utiliser avant nous.
Nous croisons l’armada du CAF dans laquelle nous rencontrons Guy Ruez, le « Vieux Bouc » Labadot, Faure, et même Richardson qui commet l’erreur bienveillante de nous tendre sa gourde remplie de thé, gourde que nous vidons sans vergogne jusqu’à la dernière goutte ! Un peu fatigué il n’a pas réagi.
Nous récupérons les affaires de couchage au refuge de Pombie et descendons peinardement le Val de Pombie. Nous nous amusons comme des fous et Hervé, studieux pour une fois, essaie d’affiner sa technique. Dans le bois qui suit le val cela devient assez homérique pour François et lui quand ils essaient de slalomer entre les arbres, trop serrés à leur goût !
Nous retrouvons les motos à 18h. Départ à 18h20 et arrivée au Foufouland à 20h. Heure de chrétien donc. S’en suit une sympathique bamboula jusqu’à minuit pour clore ces deux jours exceptionnels.
Malgré le petit goût d’inachevé nous sommes d’accord pour estimer que ce fut quand même pas mal. Traduction : très bien.


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