Photo : Hervé Butel en tête dans la première voie ouverte à Sesto.
L'une des premières fois, si ce n'est la première,
où Hervé parcourut une voie en tête.
Dimanche 6 Novembre 1960 – Ou comment le CAF nous a déçus (Fournier)
Equipe : Fournier du CAF de Pau, Jean, Hervé – Véhicules : voiture
pour Fournier et moi, Vélomoteur pour Hervé – Trajet : Pau-Arudy aller-retour.
Voie Bloc Coincé-Vire
Voie des Soupirs Directe
De l’utilité du CAF. ? Jeudi dernier, en cafistes avertis et
assidus nous nous sommes rendus à la permanence du CAF Section
de Pau rue René Fournetz alias côte du Rat pour participer à
la réunion hebdomadaire du jeudi. Lequel de nous deux, d’Hervé
ou de moi, pensait y trouver l’accorte Anne-Marie, nul ne le
sait plus aujourd’hui. Le pyrénéisme a de ces mystères… Mais
Hervé était capable, s’il l’avait rencontrée, de lui proposer
le porte-bagage de son vélo pour l’amener à Arudy
Toujours est-il que nous nous sommes rabattus sur un vieux
cafiste, pilier intemporel des lieux, le dénommé Fournier,
soupçonné de posséder une voiture. Et pour cela nous nous
sommes conformés au rite des palabres interminables et de
haute tradition ancestrale du CAF et de ses affidés. Presque
toute l’histoire du pyrénéisme y est passée, de Ramond aux
frères Ravier encore peu connus, pour enfin déboucher sur
la huitième merveille des Pyrénées, les Rochers d’Arudy [nous
ne parlions pas encore de Sestograd City]. Les visiter
pour les connaître devenait d’une importance cruciale. Le
futur des grimpeurs de pointe se trouvait là !
D’abord hésitant et un peu sceptique le père Fournier consent
à nous accompagner dimanche prochain aux fameux rochers, pour
se documenter.
Dimanche arrive. Equipé de pied en cap, attendant Fournier et
sa voiture à l’heure convenue, 8h30, Herwick me fait savoir
qu’il n’est pas disponible à cette heure-là, mais qu’il nous
rejoindra plus tard avec son vélomoteur. Et pendant ce temps
je fais le pied de grue en attendant ce damné Fournier qui
n’arrive qu’à 10 heures ! La nuit lui ayant porté mauvais
conseil il est prêt à renoncer sous toutes sortes de prétextes
vaseux. Ce n’est que sous la menace de la destruction de sa
réputation dans le microcosme cafiste qu’il consent enfin à
faire la route jusqu’à Arudy. Avec ces retards accumulés nous
ne devançons Hervé et sa pétrolette que de deux minutes. Nous
nous retrouvons tous les trois sur le parking. Et là Fournier
se dégonfle une fois de plus. Il ne veut pas monter aux rochers,
ne serait-ce que pour les voir (du parking ils sont invisibles).
Il nous faut des trésors de diplomatie pour le décider à enfiler
ses chaussures de montagne et nous suivre.
Il est épuisé par la montée du beau pierrier, orgueil et caution
montagne de ces rochers. Sa journée d’escalade semble s’arrêter
là. Et pourtant nous lui avons concocté un joli programme en
guise d’initiation : la voie devenue classique (en moins d’un
an !) Bloc Coincé-Vire (nous n’avons pas eu la cruauté de v
ouloir le faire passer par le Toit du Bloc Coincé).
Je pars en tête et fais relais sur le Bloc Coincé. Dûment
ficelé et assuré de près Fournier arrive tant bien que mal
sur le Bloc. Ce n’est déjà pas si mal. Il est félicité de
toutes parts. Hervé continue par la Vire, ce qui a pour effet
de déclencher une crise de vertige au malheureux Fournier
qui ne sait plus où donner de la tête. De pâle il tourne au
vert. Selon lui le Bloc Coincé a bougé et va sans doute
s’effondrer. Il faut fuir au plus vite cet endroit malsain !
Il est évident que passer la Vire lui sera impossible aussi
j’intercède à sa demande de le faire descendre au bout de la corde.
Soulagé, Fournier peut nous regarder d’en bas continuer
l’escalade. Je rejoins Herwick en courant presque sur la Vire.
Il continue par le petit dièdre déversé au-dessus de la sortie
de la Vire et qui est peut-être bien du V, puis nous terminons
par la Cheminée Carrée et descendons rejoindre le pauvre Fournier
qui se morfond au bivouac depuis qu’il nous a perdus de vue.
Ne voulant pas le laisser sur l’échec de sa première escalade
nous lui proposons autre chose pour le dédommager. Rien à faire,
il reste soudé au bivouac et nous dit qu’il en a déjà assez fait
pour aujourd’hui. Nous sommes déçus, et notre estime pour ce pilier
du CAF en prend un sacré coup. Dans CAF il y a alpinisme, donc g
rimpe. Il y en a beaucoup comme lui dans ce club ?
Nous n’avons donc aucun scrupule à le laisser languir sur
le plancher des vaches et nous nous attaquons à un « vieux » défi :
la Directe de la voie des Soupirs en V et AII, avec utilisation
d’un coin de bois. Au cours de l’escalade nous laissons tomber
deux pitons et hélons Fournier pour qu’il aille les récupérer.
Qu’il serve à quelque chose au moins ce plouc, pensent tout bas
les deux impitoyables escogriffes. Et il ne sert à rien car cet «
affolé de Fournier » est incapable de retrouver les pitons perdus.
Nous terminons par la voie classique et retournons au bivouac
retrouver notre pilier de CAF. S’en suivent de longues discussions
qui ne servent à rien, avant de quitter les lieux et regagner Pau.
A noter qu’Herwick avec sa pétrol
ette est allé aussi vite que nous en voiture, Fournier étant sans
doute au dernier stade de l’épuisement. Nous ne l’avons jamais revu.
En vue d’une opération de charme Herwick avait ajouté un pipeau
à ses affaires dans son sac. Il a oublié de l’utiliser. Dommage
car le Fournier, charmé par la musique, aurait pu se reprendre
voire se dresser tel le serpent et vaincre ses réticences. Oubli
fâcheux.