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1961

Rappel dans la "Cima Ovest". Toussaint 1960. Bivouac au pied de la Cima Ovest

Dimanche et Lundi 30 et 31 Octobre 1960 (Toussaint) – Gourette et Cima Ovest
Partcipants : Hervé, un cousin étique d’Hervé, Jean.
Véhicules : 4CV sur le parcours Pau-Gourette-Arudy et 2CV d’Arudy à Pau.
Voies grimpées au groupe de la Fonderie :
Voie des Nichons (1ère)
L’Anglaise
La Schmull
La Plaque
Début de l’Eta
Cette fois c’est Hervé qui prend l’initiative. Il veut à toutes
forces aller à Gourette faire quelque chose malgré
le mauvais temps persistant et les conditions affreuses de
neige et de verglas, les mêmes conditions qu’à l’
Ossau il y a un mois, en pire sans doute si cela est possible.
Je refuse absolument de rejouer cette pièce. Il n’a pas bien
saisi l’horreur que j’ai vécu à l’Ossau avec Besson. La proximité
de cette aventure m’a renforcé dans mes certitudes. Plus jamais
ça ! Et il aura beau argumenter dans tous les sens et sur tous
les registres, je ne cèderai pas !
Il ne se le tient pas pour dit cependant. Dès samedi il vient
me rendre visite pour m’annoncer que son père est disposé à
nous accompagner en voiture où nous désirerions aller. Que
demander de mieux ? Mais il y a un bémol : le transport ne
pourrait s’effectuer que le dimanche après-midi, à Gourette
de préférence. Fureur de ma part ! Je l’envoie dinguer,
argumentant pour la nième fois qu’il n’était pas question
de Gourette avec les conditions climatiques présentes, ni
même d’Arudy car cette alternative ne lui plaisait pas à
lui Hervé. Un vrai sabordage.
Mais Hervé a de la suite dans les idées. Dimanche il me rend
à nouveau visite pour me dire qu’il a convaincu l’un de ses
cousins (petit bonhomme faisant partie de la variété dite
étique des Butel, en général bien charpentés) de nous monter
à Gourette avec sa petite 4 CV. Devant tant d’obstination,
peu fréquente chez Hervé, j’accepte d’aller à Gourette,
soumettant ma décision aux conditions observées sur place,
et si elles n’étaient pas bonnes nous devrions renoncer.
J’étais sûr de mon affaire, et la visite à Gourette ne
serait pour moi qu’un crochet sur le parcours qui nous
conduirait fatalement à Arudy.
Comme prévu, à Gourette, les conditions sont hivernales.
Le brouillard empêche de voir les cimes, la station est
balayée par des tourbillons de grésil glacial. Nous ne
sortons même pas de la voiture. A quoi bon. Les faits
parlent pour moi. Devant cette sinistre réalité Hervé
doit se résigner, la mort dans l’âme, à redescendre sur
Arudy dans la petite 4CV de son cousin étique. Je suis
satisfait, voire content. Et Hervé ne saura jamais à
quoi il a échappé.
A Arudy nous installons le camp aux rochers de la
Fonderie, sous l’auvent immense de la caverne repérée
lors de l’exploration du « Couloir de Gaube ». Des
gouttières nous permettent d’avoir un appoint d’eau
permanent, de belles dalles font office de tables et
transforment l’endroit en splendide salle à manger.
Avant la nuit nous allons faire un peu d’escalade, et
attaquons une voie nouvelle un peu à droite de la
dernière qui a été ouverte dans ce groupe [la Pater ?]
J’invite Herwick à attaquer le premier. La voie est
élégante, elle monte droit dans un dièdre élancé puis
bute sur un surplomb. L’ensemble est très raide. Hervé
parvient quelques mètres sous le surplomb, au pied d’un
petit dièdre régulier, après avoir franchi
un semblant de niche. La nuit tombe, il redescend. Je v
ais tout de même jeter un coup d’œil et arrive au sommet
du dièdre à l’aide de deux pitons. J’arrête là car il fait
maintenant tout à fait noir et je n’ai plus de pitons. Je
me laisse glisser vers le bas depuis le dernier piton
planté. Tout le matériel reste en place pour que nous
puissions continuer demain.
Nous allons ensuite nous approvisionner en eau à la ferme
d’Anglas, les gouttières ne débitant pas suffisamment
pour remplir rapidement les gourdes. Nous évitons la
conciergerie de l’usine. La ferme est déserte, seuls
les chiens aboient. Coupant à travers champs nous sommes
vite de retour. Cette fois ce sont les chiens de la
conciergerie qui ameutent le voisinage.
De retour « chez nous » nous installons la popote et
mangeons bien, installés comme des rois. La lune se lève
dans un ciel enfin dégagé. La nuit s’annonce douce,
claire et sereine. Pour parachever cette belle
soirée nous allumons un feu avec les brindilles
mortes qui jonchent le sol et bientôt les flammes
montent haut et clair, dispensant lumière et chaleur
réconfortantes, contribuant à nous isoler complètement
du reste du monde.
Nous savourons la soirée on ne sait combien de temps (ca
r une fois de plus nous n’avons pas de montre) à raconter
des blagues gauloises, à faire des projets (le Mont Blanc
entre autre), à imaginer un instrument de musique qui
rythmerait ces longues et bonnes veillées et à l’occasion
accompagnerait les efforts du leader dans les escalades
difficiles.
Cette soirée fut l’une des meilleures que j’aie passée
à Arudy. Nous sommes dans un nouvel endroit et qui nous
paraît de ce fait beaucoup plus sympathique que le précédent,
que déjà nous croyons trop connaître. Il ne faut pas s’entêter
à revenir sine die là où le bonheur a frappé une fois ; c’est
illusion de croire que nous le retrouverions vibrant et plein
de magie tel qu’il nous l’avons ressenti à l’origine. Il faut
changer, bouger aller de l’avant ; ceci impose souvent des
sacrifices, mais les avantages en sont immenses. [Une telle
philosophie de vie qui était la mienne à 19 ans a des implications
importantes dans la façon dont on mène sa vie. Mais ça on ne
le sait qu’après.]
Le lendemain lundi le temps est gris, il pleut. Un double Tonimalt
nous remonte le moral à bloc. Aussi nous fonçons terminer la voie
nouvelle commencée hie
r soir et que nous avons nommée dans nos délires gaulois de la nuit
dernière « Voie des Nichons » en raison des petites niches qui
l’agrémente. Herwick part devant et atteint rapidement le dernier
piton auquel il accroche un étrier. Au moment où il se hisse
sur les plaquettes j’entends un hurlement : « Le piton bouge,
il s’en va ! ». Moi qui m’y étais suspendu sans vergogne la
veille au soir n’en croit rien et c’est en me moquant de Hervé
que je l’exhorte à passer sans s’occuper de rien. Ce qu’il fait,
et pose un peu plus haut un relais sur piton.
Lorsque je parviens moi-même au piton en question quelle n’est
pas ma stupéfaction de constater qu’il est pratiquement sorti
de la fissure. Une simple traction de la corde le fait sauter.
Je passe le petit dièdre qu’il équipait en libre. C’est un
dur morceau se terminant par un surplomb très aérien. Sans
autre difficulté nous parvenons au sommet.
Hervé me montre ensuite les deux voies qu’il a faites dimanche
dernier avec Fougère. On rajoute une voie supplémentaire entre
ces deux voies en s’assurant du haut. Pas facile non plus,
mais jolie la nouvelle voie. Nous la débarrassons de nombreux
rochers branlants que nous balançons dans le vide. Nous
dérangeons une chauve-souris.
Laissant le matériel au pied de la voie des Nichons nous allons
nous restaurer à la caverne non sans avoir mis le feu à des
massifs de ronces mortes afin de dégager le pied des voies.
Nous rangeons les affaires en vue du départ.
Nous retournons ensuite à la falaise pour porter notre dévolu
sur la dernière ligne faisable, à l’extrême droite de la paroi,
non loin de celle de la Cima Ovest. Herwick franchit deux
mètres mais, crevé, redescend. Je m’élève un peu plus haut avec
deux pitons, et n’osant pas faire un pas délicat pour continuer,
je redescends. Herwick n’y arrive pas non plus mais en profite
pour dégager la paroi de ses pierres branlantes, dont l’une
d’elle de bonne taille manque de m’écraser. Il est évident
que nous en avons assez.
Pour nous changer les idées nous commençons par déposer nos s
acs au pied de la caillasse et allons explorer le flanc ouest
du Mont St Michel. Nous faisons les ours pendant un bon moment
dans des taillis inextricables et ne découvrons rien d’intéressant.
En allant récupérer les sacs au pied du pierrier un bruit
caractéristique de moteur de 2CV nous parvient. C’est le père
d’Herwick ! Première idée qui nous vient. Herwick veut que je
courre à sa rencontre pendant qu’il ramènera les deux sacs, ce
que je refuse. La 2CV nous attend.
Lorsque nous arrivons ensemble avec les sacs en vue de la 2CV
quelle n’est pas notre surprise de voir que ce sont des flics
(gendarmes) qui en descendent. Nous sommes à mille lieues de
penser que c’est pour nous. En nous apercevant ils remontent
dans leur voiture et s’approchent de nous. Ils nous demandent
nos papiers. Nous nous croyons revenus aux heures sombres que
nous n’avons pas connues mais qui ont longtemps fait la
conversation dans les familles. Je n’ai rien sur moi mais
Hervé peut présenter quelque chose. Ouf !
L’un des deux pandores s’adresse à nous :
Qu’y a-t-il d’intéressant pour vous ici ?
Rien de particulier. Nous nous entraînons en vue de courses
en montagne, l’été.
Votre nom ?
Ollivier.
Bien
Il réfléchit un instant puis s’en va en compagnie de son collègue.
Ils n’étaient pas bien méchants. L’ombre tutélaire des prisons
sombres et humides (et sans doute fictives) d’Arudy s’éloigne de
nous. Quels contrastes avec les instants de liberté que nous avon
s connus. C’est comme si quelque chose de froid entrait dans notre
corps. Le spectre de la délation haineuse et sans fondement a plané,
relayé par ces sales concierges de l’usine qui ont, sans aucun doute,
appelé les flics, au cas où…,
En y repensant la réaction de ces misérables petites personnes,
dérangées dans leur routine, peut s’expliquer. La paroi de la Cima
Ovest éclairée par des feux tar
d dans la nuit, elle-même ponctuée de beuglements puissants lancés
au clair de lune. Sans compter le remue-ménage déclenché durant la
journée par nos activités : chutes de pierre, feux et fumées, cris
divers… En fait la vie revenue dans un endroit qu’ils pensaient
éternellement endormi les a inquiétés. Sûrs qu’ils détestent les
vagabonds et autres gitans
de basse extraction, venus d’on ne sait où.
Ruminant des pensées vengeresses nous nous avançons sur la route
où peu de temps plus tard le père de Hervé arrive enfin dans sa 2CV à lui.
Entre-temps était passée sur le route une affreuse pin-up en vélo,
sans doute cliente de la Cabane-Bambou d’Arudy, qui suscita
une réflexion d’Herwick à la fois pratique et chimérique. Il rêva
tout haut d’une machine infernale qui pourrait la faire sauter
en l’air, la déshabiller en vol à l’aide de griffes et la déposer
à ses pieds, prête à la consommation. Sacré Hervé, n’a jamais
changé. La bonté même auprès des dames.


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