Image : galion de haute mer illustrant la carte de voeux de Jacques Prosé
Courrier 1957 avec Jacques
Suite des courriers de 1956
Mardi 1er Janvier 1957 – Lettre de Jean à Jacques. [Peut-être
un brouillon. Je ne suis pas certain de lui avoir envoyé cette bafouille
maladroite, quand on pense au climat de terreur qui règne en Algérie autour
du pauvre Jacques – mais il faut bien écrire quelque chose].
Cher Jacques
Je venais juste de coller l’enveloppe des souhaits de Nouvel An, que
je reçois ta lettre qui m’a fait le plus grand plaisir. Cette fois-ci
j’ai reçu ta lettre : je m’étonnais en effet de ne plus avoir de tes nouvelles.
Si tu trembles de peur, en Algérie, en France on tremble de froid
et d’humidité : depuis près de dix jours il pleut sans arrêt. On ne
peut plus mettre le nez dehors sans risquer de se noyer dans la boue :
il y en a bien 15 cm, pouah ! Hier, voulant profiter d’une accalmie,
j’ai voulu faire un tour en vélo : à quelques kilomètres de Pau, la pluie
a recommencé de plus belle ; j’ai dû battre en retraite et je suis rentré,
malgré l’imperméable, trempé jusqu’aux os.
Je suis donc condamné à moisir chez moi. Je passe mes journées à faire
la chasse aux microbes, mais je vais finir par en avoir mal aux yeux.
Dans le jardin les forteresses se désagrègent lentement. Tout penche,
se fêle, s’effondre. Ha ! l’hiver… de Pau ! (Il pleut tout l’hiver à
à l’excepté (sic) de janvier où il neige.
La « piscine » est pleine d’eau… et de radeaux ! L’Ousse est devenue
un torrent grondant et mugissant qui traîne un flot boueux, balayant tout,
entraînant tout. Les grands champs du Moulin de Lons ne sont plus qu’un
grand lac boueux.
Mais si la plaine est humide et boueuse, les montagnes, elles, sont
couvertes de neige, et à nous les belles descentes en ski ! Il faut
en avoir fait pour savoir ce que c’est. Jean.
2 Janvier 1957 – Carte postale 3D à 2 panneaux « Souvenir d’Algérie »
représentant des arabes à dos de chameaux dans le désert.
Cher Jean
Je te souhaite une Bonne et Heureuse Année ainsi qu’à ta famille.
Une bonne santé, une bonne réussite dans tes études et souhaitons-nous
de nous revoir et de retourner ensemble au Moulin de Lons pêcher à
la bouteille ou à Lons pêcher des écrevisses.
Bien amicalement à toi
Jacques
Le 6 Janvier 2003 le même Jacques, que Julie avait réussi à retrouver
grâce à interne, m’envoyait ses « meilleurs vœux » par e-mail ainsi
que sa photo.
Je suppose que tu vas trouver une certaine différence entre ma dernière
lettre et ce mail. Près de 50 ans les séparent !
50 ans……
Un demi-siècle !
C’est fou quand on y pense.
Il n’y a pas que le mode de correspondance qu a changé, preuve en est
ma photo ci-jointe.
Evidemment il y a quelques rides qui sont apparues, vas-tu dire !
Nous sommes rentrés hier de otre « perchoir » pour reprendre pied sur
terren… et une montagne de travail.
Patricia se joint à moi pour vous souhaitez (sic) une bonne et
heureuse année en espérant faire des connaissances.
Jacques
Dimanche 13 Janvier 1957
Cher Jean
J’ai reçu ta lettre et tes vœux qui m’ont fait grand plaisir.
Comme tu dois t’en douter, je m’ennuie. On a fini de déjeuner et
je ne sais quoi faire.
Ils ont fait quelque chose d’épatant à Orléansville. Comme
personne n’allait au cinéma public, les banquiers se sont
associés et ont acheté un cinéma et il le font jouer dans leur
salle de réunion. Avec l’excuse du « cinéma du curé » ils ne
laissent entrer que les Français (bien entendu en payant). De cette
manière les arabes ne peuvent entrer. Je peux te dire qu’ils font
des affaires d’or. Ils sont obligés de refuser du monde tellement
que la salle est pleine à craquer. Bref ! c’est sans (sic) fois
mieux d’avoir comme entourage des Français que des arabes qui
sentent… c’est pour cela que mes parents me laissent aller au « ciné-club ».
As-tu passé » de bonnes vacances ? Moi non. Tu peux me croire
que je regrette drôlement Pau. Quelle différence avec Orléansville.
Quoique maintenant, grâce au tremblement de terre, beausoup de maisons
neuves nous sauvent la mise. La police militaire a fait mettre des
« sens interdits » dans tous les coins de rue pour ne pas avoir
d’embouteillage si une jeep militaire poursuit un criminel qui se sauve.
Chaque jour la liste d’attentats grossit. Je ne sais pas si tu as
vu sur les journaux les « paras » qui ont été blessés ou tués.
Ils revenaient d’Egypte. Tu te rends compte qu’ils ont vu et combattu
l’armée de Nasser, en sont revenus pleins de joie pour se faire
lâchement tuer par des bicots pourris qui, comme par hasard, oublient
leurs valises dans les trolleys, qui explosent comme des petits pains.
Dans un moment je vais aller à Pontebat (ponds tes bas) chercher ma
sœur qui est chez une amie, cela nous fera sortir de quelques kilomètres.
Ne t’n fais pas ; les habitants de ce village n’ont pas à se plaindre
car les cénégalés (sic), eux, ne font pas de quartiers avec les bicots.
Ils ne peuvent pas les voir.
Je crois qu’il n’est pas utile que je t’annonce tous les attentats
qu’il y a eu à Orléansville depuis la dernière fois que je t’ai écrit,
sache seulement qu’ils ont tué l’adjoint au maire.
Je te quitte car mes parents m’appellent pour partir
Donne bien le bonjour à ta famille de ma part et j’espère que ta
grand-mère va bien. Donne également le bonjour à ta mère, à ton père,
à ton diable de frère et à tes sœurs, Christine et Hélène et……..à toi-même.
Jacques
PJ. 2 décalcomanies, l’une en début de texte (un garçon qui chausse des
bottes de 7 lieues, l’autre après la signature (un hélico).
Mercredi 23 Janvier 1957
Cher copin,
Première chose à t’annoncer Mon père a son changement. On nous
l’a annoncé par téléphone de l’administration. Bien que Marseille
ne m’a jamais enchanté d’habiter, nous sommes nommés là-bas. Le
13 Février nous devons être complètement installés et mon père doit
commencer son boulot. Je dis Marseille ne m’a jamais enchanté car c’est
plein de bicots et aussi de gangstères (sic). Je suis donc condamné
à revoir ces « bicots », ces « melons » etc. (je ne te cite pas tous
les surnoms qu’on leur donne). Je n’aime Marseille que pour me ballader (sic)
dans la Canebière, pour voir les vitrines, pour me balader sur
le vieux port, mais pas pour y habiter.
Mais de toutes façons je crois qu’on ne va pas habiter au centre
de la ville. Bref, je ne t’en dis pas plus long à ce sujet. Nous avons
notre changement, c’est le principal. Tu n’en auras pas pour longtemps
à m’écrire à Orléansville.
Nous n’en n’aurons pas pour longtemps aussi à nous faire du mauvais
sens (sic).
En ce qui consiste Orléansville, toujours la même chose. Hier un
policier assassiné devant ses enfants (ce communiqué a été passé par moi).
60 rebelles tués à Nedroma, des armes en quantité récupérées. 11 autres
tués à Sainte Barle du Thélat. 17 autres bandits tués, 14 faits
prisonniers dans la région de Constantine etc, etc, etc…. Les rappelés
de France commencent à comprendre que si on ne fait pas du « grabuge »
chez les bicots, eux ils se chargeraient d’en faire chez nous et
sans pitié.
Je ne t’en dis pas plus long sur cette lettre, je t’en enverrai une
autre avant de partir.
Amitiés Jacques
P.S. J’ai reçu ta lettre hier soir qui m’a fait grand plaisir.
4 Mars 1957
Marseille le 4/3/57
Cher copain
J’espère que cette lettre a été une surprise pour toi. Eh bien oui,
me voilà à Marseille (en compagnie de Marius, Fernandel etc). Pour
l’instant nous sommes dans un hôtel (mon père, ma sœur et moi). Ma
petite sœur est à l’hôpital, où, d’ailleurs, elle ne va pas tarder de
sortir (peut-être demain soir. Elle a fait une chute dans un escalier du bateau.
Si ce n’était pas ça, la traversée aurait été idéale – calme
plat – cinémas – cartes – petits chevaux – sans compter le soir,
le bal, les jeux d’enfants, ping-foot, salon de lecture.
Je voulais t’écrire du bateau mais je n’en ai pas eu le temps.
Bref, un voyage merveilleux.
Quelle différence, ici, avec l’Algérie. Avec cette essence contingentée
on est privé – on a eu 10 litres à notre descente de bateau, il n’y a pas
longtemps, trois jours environ, on en a eu 10 autres et je ne sais
pas s’il doit en rester beaucoup à l’heure actuelle, surtout dans
les grandes villes – arrêts, départs, feux rouges, stop, départ brusque
etc etc rien de tel pour gaspiller de l’essence.
Enfin trêve de bavardage, parlons d’autre chose. Là-bas, on « boum »
l’école. Ici on va essayer de m’inscrire au « Lycée Thiers », un des plus
grands lycées de Marseille (peut-être même le plus grand). Quant à la
situation en Algérie, la région d’Orléansville est-la-plus-infestée de
brigands, partout ailleurs le calme commence à revenir lentement. Je ne
dis pas que la situation est redevenue normale, mais il y a des améliorations.
Chassés de partout par les « paras » ils se réfugient à Orléansville.
Mais il n’y a pas longtemps on en a reçu, pas beaucoup, une poignée
d’hommes, mais cela suffit largement. Avec l’armée de communards
(communistes), on peut dormir tranquille ((enfin, qu’ils ont (les
Orléansvillois), pas moi parce que je suis maintenant marseillais)).
Avant que je parte une ferme située à deux ou trois kilomètres de la
ville a été attaquée par d’audacieux bandits. Les occupants ont eu le
temps de téléphoner (la ligne téléphonique n’était pas coupée), on leur
a répondu (l’armée) qu’ils venaient. Ils ont attendu, angoissés, dans
cette ferme harcelée, entourée de hangars enflammés. Enfin, n’en pouvant
plus d’attendre, ils ont lancé vingt et une fusées signalant que la ferme
est attaquée. Ce n’est pas pour autant que l’armée s’est dérangée. Enfin,
le matin, ils sont partis – on comptait à peu près 500 types armés
jusqu’aux dents – laissant derrière eux une ferme pillée.
Je te quitte ce soir car il se fait tard et j’ai sommeil.
A bientôt Jacques
NB Mon adresse provisoire : Mr. Jacques, 26 rue de la Rotonde,
Hôtel de la Rotonde, Marseille Ier (mets derrière l’enveloppe ton
adresse, on ne sait jamais).
26 Mars 1957
Marseille le
Cher Jean
Je n’ai pas reçu de réponse de toi.
Excuse-moi de ne pas t’avoir vite répondu. Figure-toi que je t’avais
fait unelettre à tout cassé (sic), avec des photos des évènements etc.
et puis au moment de partir, j’ai fouillé dans un tiroir et je la
retrouve, 20 jours plus tard. Ça fait que tu n’as pas eu de
lettre de moi avant mon départ.
J’aurais bien voulu t’écrire sur le bateau, mais je n’ai pas eu
le temps. J’avais même pas le temps de visiter le bateau entièrement.
Et voilà. Nous sommes marseillais maintenant. Nous dormons dans
un hôtel pour le moment et nous mangeons à la cantine des PTT. Nous
cherchons un petit commerce. Cependant nous en avons trouvé un assez
important. Il est dans une rue transversale à une rue qui se trouve
au bout de la Canebière – pouah, quel charabia.
Si le propriétaire nous fait des facilités de paiement, elle sera
(peut-être) à nous. C’est une épicerie.
Je termine ma lettre car ma sœur se fait insupportable. Tu peux en
juger à la tâche que tu vois de l’autre côté [de la lettre].
Je te quitte en espérant que je tu m’écriras bien vite. Fais mes
amitiés à tes parents.
PS. Ecris-moi à : Centre de Repos des PTT, 51 Allées Léon Gambetta.
Marseille. (C’est l’adresse de la cantine).
28 Mars et 4 Avril 1957 (lettre postée le 10 Avril)
Cher camarade
J’ai reçu ta lettre il y a quelques heures à peine.
Je m’empresse donc de te répondre.
Tu me poses des questions auxquelles je vais essayer de te satisfaire.
Pour le nom de ton camarade [sans doute le marseillais émigré à Pau,
inconsolable de sa ville, que j’avais connu à l’Immac] cela ne me
coûte rien de voir en Seconde, peut-être, avec un peu de chance,
(je dis peut-être) j’arriverai à le dénicher. Pour la 203 [il confond
avec 403 du père de Maya] avec AA comme Auguste, Aristote, Antoine,
Alain etc.. c’est plutôt dur. Mais je vais quand même essayer.
Mais, changeons de conversation. Si tu le permets, je vais te
raconter ma vie ici. Je loge (pas seul, bien sûr, avec mes parents),
je loge, donc, dans un hôtel. Ça fait le quatrième que je fais, mais
je crois avoir trouvé satisfaction. Il se situe au début du Bd de la
Libération, et je prends naturellement comme point de repaire (sic)
la Canebière. C’est une rue (ou un boulevard, comme tu veux)
qui continue la Canebière.
Enfin bref. Quand à dire où je vais loger, car on ne peut pas
s’éterniser dans un hôtel c’est une question qui, je crois, est presque
résolue. Je te l’avais dit dans ma dernière lettre. C’est une épicerie
qui est située presqu’à l’angle de la rue de la République, ou plus
exactement la rue qui part du Vieux Port, à une ruelle. Il y a un vaste
appartement et, entre nous, si tu viens par là cet été, tu seras dans
l’obligation de venir passer quelques jours chez moi. Oh, mais n’aie pas
peur, tu ne viendras pas chez moi pour te barber dans la ville, on ira se
baigner à Cassis qui, je crois, est une ville dont tu me parles dans
une de tes lettres. Enfin. Bref.
………..
Excuse-moi d’interrompre brusquement mais (dessin d’un poisson) Poisson
d’Avril. Je continue ma lettre le 4 Avri. J’étais fatigué d’écrire,
je me suis arrêté et je n’ai plus continuer (sic). Alors je te dis au-revoir
et à la prochaine. Jacques.
Jeudi 9 Mai 1957
Cher Jean,
J’ai reçu ta lettre il y a quelques jours [petit dessin d’un break].
Excuse moi de ne pas t’avoir répondu assez vite comme je le désirais.
Que veux-tu ? Je n’ai vraiment pas le temps. Aujourd’hui J’ai fini mes
devoirs tôt, il n’y a pas beaucoup de monde au magasin, alors, j’ai pensé
que cela te ferait plaisir.
Tiens, justement, nous avons eu deux visites aujourd’hui. Ce sont
des Orléansvillois qui sont venus nous dire bonjour. Il y a à peine
quelques instants l’autre vient de partir.
Ah ! autre chose. En me promenant dans la Canebière (qui n’est pas loi
de chez nous) j’ai vu une 203 camionnette comme tu me l’as décrite,
qui m’a frapper (sic) la vue. Pourtant je n’ai pas vu le numéro. Je me
suis mis à courir derrière pour voir où elle allait. Je dévalais sur les
trottoirs dans l’espoir de mieux l’observer. Bousculant tout le monde,
marchant sur les pieds des gens, je filais à toute allure quand je
l’aperçus bloquée par un feu rouge. J’ai pu alors, essouflé, l’observer
et j’ai pu alors constater que le numéro était de 1420 ou 2420, je ne
m’en rappelle plus. AC 91 : c’était ce 91 qui m’avait frappé la vue (91,
numéro du dnt d’Alger. Bref, j’avais envie de casser la figure au conducteur.
Mais assez de bavardage. Pour l’Algérie, toujours la même chose. Les
journaux ne nous apprennent rien de bon. Nous apprenons chaque jour qu’un
européen s’est fait assassiner à Orléansville. C’est devenu la région la
plus infestée. La paix est rétablie complètement dans le Constantinois,
et, à Alger cela commence lentement, mais, aussi les paras de Bigeot (sic)
n’y vont pas par 36 chemins et c’est à Orléansville qu’ils [fellagha ?].
Mais j’ai maintenant une adresse, moi, et fixe, la voici : Mr. Jacques etc.
Alimentation de la Mutualité, 14, rue François Moisson, Marseille (IIème).
Sur ce, je te quitte en espérant bientôt te revoir.
Ton ami Jacques
PJ. Un papillon avec un numéro minéralogique : 6764 AA 13 [sans doute celui
du breack 403 du père de Maya]. J’avais demandé à Jacques de la chercher
dans Marseille. En amour rien d’impossible.
Dimanche 25 Mai 1957
Cher Jean,
Et voilà, l’année scolaire va bientôt se terminer. Vive les vacances !
Pour notre Alimentation, demain on attaque les fruits et légumes.
Cela va être très difficile mais il le faut.
Mon oncle, qui est venu cet été à Pau nous a écrit en nous disant
qu’il viendrait cet été pour 15 jours. Il ne voulait pas et puis il s’est
décidé. Pendant qu’il sera là, cela fera un parent de moins qui nous fera
faire du souci.
A propos, j’ai vu au cinéma, aux actualités, le grand prix de Pau
d’automobile. Mais je ne peux pas me représenter où se trouve la piste.
Je ne vois vraiment pas. Il m’a semblé reconnaître le pont quand on prend
la descente pour aller à la gare. Jusque dessus se trouve la route pour
aller au parc Beaumont.
Dans des boites de chocolat qu’on a reçues, il y avait des timbres.
Je t’n envoie quelques-uns, seulement je te demande simplement de me
revoyer ceux que tu as, comme ça je pourrais t’envoyer encore d’autres
autant que t voudras.
A bientôt Jacques
PS Si tu fais d’autres collections, dit moi le (sic), j’essaierait de
te procurer ce que tu as besoin.
25 Juin 1957 – Carte de Bonne Fête stéréo à deux plans
Vive les vacances ! Et… Bonne Fête !
Moi, pour mon anniversaire le 20 Juillet, ma tante me fait cadeau d’un
appareil photo de 15000 F Kodak Penny 135. Je me suis acheté un voilier :
le NOVA. Le dessin que tu vois représente la mare aux canards du parc
Borelly. C’est là que je fais naviguer mo bateau. Je compte m’acheter une
vedette splendide longue de 70 cm avec le gouvernail qui se dirige avec
une vraie barre, un moteur électrique des portes et fenêtres qui s’ouvrent,
qui va à peu près à la même vitesse que quand on marche sans se presser.
Mais il faut la construire. Ils nous donnent le nessessaire (sic) (comme
un planeur). La boîte de construction 2200 F et le moteur 1500 F. Je vais
d’abord m’acheter la boîte, ensuite le moteur.
Sur ce, je te dis au revoir et à bientôt. Jacques
12 Juillet 1957
Lettre envoyée depuis Alimentation de la Mutualité,
14, Rue François-Moisson MARSEILLE (2e). Téléph. CO. 17-89.
Cher Camarade
Je n’ai rien « de ben » à te raconter. Ma petite sœur est
rentrée à l’hôpital ces jours-ci. Elle a une très forte sinusite
et puis comme une méningite. Enfin, je ne sais pas au juste, mais
il paraît que c’est très grave, surtout dans son cas, comme tu la connais !
J’ai voulu prendre deux photos du voilier et regarde un peu les
pellicules. Catastrophique ! Enfin, j’ai acheté une autre bobine.
Je vais essayer de le reprendre en photo.
Avec cette polio je suis resté chez moi à rien faire… si ce n’est
pas dommage d’habiter si près de la mer et de ne pas pouvoir se baigner.
Mais je crois que c’est fini et je vais pouvoir faire trempête (sic)
mais loi de Marseille.
Je voudrais que tu m’envoies une photo de toi car je vais oublier
ta « tronche ». Tu vas t’étonner, mais tu ne m’avais jamais vu avec
des lunettes, celles que me vois sur le nez ont été achetées à Pau
uste le jour de ton départ. D’ailleurs, ta sœur Christine a dû me
voir avec ces lorgnons.
Enfin je te dis à bientôt et j’espère que tu vas passer de bonnes
vacances*. Jacques.
*Vacances à Orédon vraisemblablement.
Pièces jointes : 2 négatifs (voilés) du voilier, une photo d’identité
de Jacques.
Jeudi 1er Août 1957
Cher camarade
Et ces vacances ? cela vient à peine de commencer et il manque 2 mois.
Je te remercie pour les photos. Ton planeur doit être splendide d’après
la photo. Il est presque aussi grand que Pierre.
Comme je te l’ai dit dans ma dernière lettre ma petite sœur est
gravement malade. Ce n’est pas une méningite, bien pire. Comme tu le
savais ma petite sœur avait des convulsions et c’est dans sa maladie que
ses convulsions ont été décelées [en fait c’est l’inverse]. Il s’agissait
de deux petits vaisseaux situés de chaque côté du cerveau qui gonflaient
et comprimaient le cerveau, ce qui lui donnait ces convulsions. Or, un de
ces vaisseaux a éclaté dernièrement, et, représente-toi ce qui a dû arriver
au cerveau. On l’a naturellement opérée mais c’est une opération trop
conséquente. Reste à savoir les suites de cette opération ????
Enfin, elle a été opérée, paraît-il, par un très bon prof, Paillas.
On dit que c’est le meilleur de la région et un des meilleurs de la France.
Pour les Marseillais c’est un dieu [comme Raoult en 2020 !], qui ramène
les plus malades et les perdus à la vie, qu’il a sauvé d’innombrables personnes.
L’opération de ma sœur a duré 4 heures. Depuis seulement deux jours
elle respire sans appareil, par ses propres moyens et s’alimente normalement,
pas par la bouche seule car elle ne pourrait pas, mais par une sonde
qui passe par le nez jusque dans l’estomac par où on lui donne des jus
d’orange, de la soupe, bref, du liquide. On prévoit une autre opération
pour l’autre vaisseau dans d
eux mois, avant qu’il n’éclate, lui aussi.
Enfin, je ne vois plus rien à te dire sauf de te souhaiter de bonnes
vacances. Ton camarade.
Jacques.
Jeudi 15 Août 1957
Cher Camarade
15 Août ! jour de la fête de ma petite sœur. Et elle ne sera même pas
éveillée pour qu’on la souhaite. Je ne dis pas guérie, ce serait trop
demander, mais au moins éveillée ! Hier elle a failli s’étouffer. Le
matin, de 8h à 11h mes parents ne purent rester auprès d’elle car c’est
la visite des médecins. Comme il n’y avait personne pour la tourner et
pour appeler une infirmière, une glaire s’est placée dans le fond de sa
gorge et l’étouffait. Heureusement qu’ue infirmière s’en est aperçue
en venant lui prendre sa température. On lui a vite enlevé ses glaires
avec une mach appareil, puis injecté de l’oxygène. Il était temps,
elle devenait noire. Ma mère a demandé de pouvoir rester auprès d’elle,
mais je ne sais pas si la ma…. Acceptera. On la laisse
exceptionnellement dormir là-bas !!!
Enfin, parlons d’autre chose. Je ne pourrais t’envoyer les photos
que j’ai prises que lorsque la pellicule sera remplie de photos. Il m’en
manque deux. Comme tu le dis, je mitraille tout ce qui se présente devant
moi. Mais il y a un inconvénient, tu as dû le deviner, c’est que je ne
suis pas dans mes photos. Il faudrait un déclencheur automatique. J’en
avais un mais je l’ai cassé en jouant avec, je m’en servais comme moteur
de petite bagnole.
Dans ta photo [j’ai lui avais envoyé une de mes photos d’identité
avec tous les synonymes argotiques de « tête »], tu as oublié un mot de
vocabulaire : ma bidoche.
Ah ! Tu dis que tu dis que tu t’ennuies là-bas et moi que devrais-je
dire ? Oh, pour sûr je ne me roule pas les pouces, je suis du matin au
soir au magasin, c’est mes vacances ! Ce soir je vais essayer d’aller
me baigner. Enfin j’espère que toi, au moins, tu respires l’air pur, mais
mais !! Enfin je te dis à la prochaine lettre. Jacques
11 Septembre 1957 : carte postale envoyée de Marseille représentant le Vieux
Port et ND de la Garde.
Cher Jean,
Excuse-moi de ne pas avoir répondu plus tôt à ta lettre car ma petite sœur
Marie Andrée a fait une rechute. On l’a opérée d’urgence, mais elle est
décédée deux jours après (le 7 de ce mois). Je t’enverrai tantôt une plus
longue lettre. Mes amitiés aux tiens. Prosé Jacques.
5 Octobre 1957
Marseille le 5/10/57
Cher Jean
Et voilà, déjà rentrée. Mais une rentrée qui est pour nous pas comme
les autres car il manque ma petite sœur parmi nous. Après deux mois de
souffrance, elle est morte le lendemain de sa deuxième opération qui
n’a servi à rien car on s’et aperçu que son cerveau était abimé, ou
tout au moins sa partie vitale. Plus rien à faire !! On l’a soignée
parce qu’il fallait la soigner mais on savait que c’était fini et le
lendemain après-midi ça y était, hélas ! Que faut-il faire ? Le destin
et le malheur est pour tout le monde, même pour ton cousin Jacques.
Je me représente l’état dans lequel doit être sa mère. Si ma mémoire
est exacte il avait, je crois, sept ou huit ans – on lui en aurait
donné au moins dix, si bien portan ! Tué stupidement dans un accident !...
Enfin ne parlons plus de malheurs. Comme tu t’en aperçois, je t’écris
avec de l’encre, chose que je ne faisais pas cet été puisque j’écrivais
au qtylo à bille. Traduisons donc que si j’écris au stylo c’est que j’ai
acheté un stylo et de l’encre et si j’ai acheté un stylo et de l’encre,
c’est pour m’en servir, c’est à dire de faire mes devoirs, mes punitions
etc etc. Concluons donc que c’est la rentrée des CLASSES oui ! c’est la
rentrée. Je parie que tu ne le savais pas, hein ! déjà trois mois de passés.
Tiens, ce soir, comme je n’ai pas eu classe, j’ai été à la pêche avec
mon père qui prend seulement son congé. On a rapporté quelques poissons
qu’on va « s’enquiller » comme dit ma grand’mère.
Dessin de poisson poisson que j’ai rapporté. Grandeur naturelle.
Je termine rapidement malettre car je dois débarrasser la table pour souper.
Adresse mes condoléances à la mère aux parents de Jacques si tu as
l’occasion de lui leur écrire. Jacques
19 Octobre 1957
Marseille le 19/10/57
Cher camarade
Sacrebleu, tonnerre de Brest ! Trouves-tu ça normal, toi, que j’aille
à l’école pendant une semaine, avec un temps merveilleux (on envisageait
d’aller à la plage Dimanche), et que, maintenant, il fait un «
temps de chien » ? Il y a de quoi se révolter. Je voulais aller à
la pêche cet après-midi, et, naturellement, j’ai dû faire « tintin ». grrr.
Alors tu n’as pas encore retenu les places pour aller dans la
lune ? Ou dans le prochain satellite ? Il est vrai que s’il est
aussi petit que le premier, je te plains sincèrement. A moins
que tu ne fasses une crise de décroissance.
A propos, les Russes ont donné une sérieuse « raclée » à toutes
les nations et en particulier aux Amériquains (sic). Ils essaient
maintenant de se racheter pour en construire un qu’ils vont, paraît-il,
lancer prochainement. On n eparle que de ça dans les journaux.
Tu n’as pas entendu ses bip bip bip ?
Enfin, espérons que les Marsiens (sic) ne nous tombent pas sur
la tête un de ces jours !!!
Sur ce je te dis « à la prochaine » (lettre)
Remarque : Ajouté sur le manuscrit avec des bip bip bip sur la marge
gauche, la Terre et le Spoutnik qui en fait le tour, et un dessin
humoristique du « bébé lune » ou Spoutnik, sorte de sorcière, bras
et jambes écartés et émettant des bip, poussée par sa fusée porteuse,
notée « factice ».
30 Décembre 1957 – Carte de vœux représentant un magnifique galion
toutes voiles dehors. Elle orna longtemps ma chambre-bureau d’El Patio.
Que 58 voit la réalisation de tous tes rêves et de tous tes projets.
Bonne santé et présente mes vœux à tes parents. Ton ami Jacques.
Voir 1958 pour autre courrierde Jacques