Lundi 4 Avril au Samedi 9 Avril 1960
Equipe Hervé-Jean. Véhicules : vélos. Trajet : Pau-Arudy et retour.
Dalle d’artif
Tentative sur une partie de la Grande Diagonale N-S
Vire des Pianistes
Grande Diagonale Sud-Nord
Directe de la Dalle du Myrmidon
Dièdre de la Directissime
Aiguille Sud
Durant cette semaine nous avons campé à Arudy, ou plus exactement
dormi à l’air libre sous l’auvent du Bivouac de Sesto, après avoir
aplani le sol et l’avoir recouvert abondamment de mousse.
100 kg de matériel et de vivres ont été montés là-haut durant la
semaine précédente et planqués en hauteur dans la première longueur
de la voie en Z.
Lundi : départ de Pau sous la pluie. Grosse douche. Nous arrivons
trempés au bivouac : installation du camp.
Mardi : nous grimpons une voie entièrement en artificielle (la Dalle
d’Artif), assez embêtante, longue et fatigante. Un des pitons,
mal adapté à la fissure choisie, a lâché au cours de la progression
et j’ai fait un vol (mon premier) jusqu’au piton précédent
qui a bien tenu. https://pbase.com/jmollivier/image/26278092
Hervé ne souhaite pas grimper cette longueur. Je descends donc
en faisant un rappel spectaculaire.
https://pbase.com/jmollivier/image/119103853
Mercredi : Hervé part en tête [j’ai noté : Hervé est envoyé
en tête] dans la dalle d’artif équipée hier. Je dépitonne.
Nous essayons ensuite d’ouvrir une nouvelle partie de la Grande
Diagonale, ligne repérée depuis le Turon. Mais elle s’avère trop
difficile. En remontant vers le sommet, et peu avant la Cheminée
Carrée nous avisons une traversée vers l’Aklon qui pourrait faire
l’affaire, à défaut de Grande Diagonale. Ce petit passage, assez
en l’air, se fait tout sur les doigts. C’est la Vire des Pianistes.
Jeudi : J’ouvre une Grande Diagonale Sud-Nord peu difficile et je
monte une dalle en obliquant ensuite à droite [sans doute la branche
médiane de la Voie en Z, puis la partie supérieure de la dalle de la
Pointe Centrale].
Vendredi : Directe de la Dalle (du Myrmidon) en partant de la Grande
Diagonale S-N, dalle, échelle à crabes et sortie directe.
Nous grimpons ensuite le dièdre initial de la Directissime pour le
dépitonner et installer un solide relais à l’issue de cette
première longueur.
Samedi : ouverture de la voie qui rejoint l’Aiguille Sud, avec départ
commun avec la Verte.
Bilan de la semaine
En somme nous nous sommes moins amusés que l’on aurait pu croire ;
on a eu moins que ce à quoi nous nous étions attendus. Le temps
lourd avec un vent du sud orageux, permanent et pernicieux, nous
ramollissait et nous énervait.
De plus Hervé avec sa maladie de l’installation aurait volontiers
passé les 8 jours à construire une cabane. En outre l’escalade ne
l’intéresse pas autant qu’il le faudrait, il la fait plus pour me
suivre, faire qualque chose que pour la faire. Il a presque l’air
de me reprocher parfois d’être son seul camarade « efficace » et
rêve de nombreuses amitiés, que j’enfreindrais peut-être. Il a fait
de la spéléo, il fait de l’escalade, de la gymnastique, comme il
ferait tout autre chose. Que préfère-t-il au juste ? Il s’intéresse
beaucoup à l’humanité et pourtant ne peut la sentir. Il a quelquefois
des goûts bizarres et irréfléchis. Timide, il est facilement d’accord
avec les gens qu’il connaît peu, ou qu’il revoit après une absence.
Sinon, par esprit de contradiction, il n’est jamais d’accord,
pinailleur et finalement ennuyeux.
Notre projet est de faire un grand voyage jusqu’aux Dolomites.
Il est serviable, cela suffit-il ? Trop d’improvisations sur le parcours.
On risque de finir par n’être jamais d’accord. Il ne faut pas idéaliser
un voyage à deux, deux amis, surtout avec les moyens dont nous disposerons
[au mieux un vélo chacun]. Mais que faire d’autre durant les prochaines
grandes vacances ? On tâchera de sonder l’opinion en allant
passer 15 jours à l’Ossau.
Je n’ai pas noté à l’époque ce qui reste encore un poids et un
mystère pour moi soixante ans plus tard, à savoir un ou des désaccords
qui se soldèrent par deux jours de silence entre nous, sur les six que
nous avons passés dans ce que je considérais comme notre paradis sur
terre. Sans doute pas l’avis de Hervé. Ce sentiment, cette passion
a sans doute conforté mon esprit directif naturel et indisposé mon
copain. Lequel avait sans doute l’inconvénient d’être peut-être perturbé
par ses hormones et rêvait consciemment ou non à d’autres horizons,
si possible féminins. Ses réflexions le montrent : il était terrorisé
à l’idée qu’un mauvais dévissage aurait pu le châtrer comme il disait,
et il ne s’en cachait pas. Ses intentions inconscientes le montrent
également avec son idée fixe de construire son nid, la cabane.
Pour résumer j’étais envahi de passion pour ce rocher [j’ai ressenti
la même chose pour le Rocher Blanc 30 ans plus tard] et ne comprenait
pas qu’il n’en fût de même pour mon meilleur copain qu’était Hervé.
C’est ainsi qu’on peut devenir intolérant sans le faire exprès,
en toute inconscience.
Les silences de Hervé auraient dû m’alerter.