Samedi 3 Novembre 1962 – Sesto avec Pierre, voie en Z.
Equipe : Pierre et Jean
Véhicule : Super-Néocide
Pierre est curieux de mes activités de grimpeur. Il n’est pas
tout à fait novice en la matière, il a déjà grimpé à Bagnères
de Bigorre et dans les Calanques où il a réussi notamment le
Pouce d’En Vau avec moi et diverses bricoles escaladeuses. Il
ne connaît ces rochers d’Arudy que pour les avoir vus de loin
durant l’automne 1958 alors que nous recherchions les cavernes
Malarode au cours d’une expédition en vélo. Il va avoir 12 ans en
décembre.
Il est curieux également de tester le « monstre », la Super-Néocide.
En panne d’équipiers aujourd’hui je lui propose de faire un tour
jusqu’à Arudy pour voir les rochers. D’une pierre deux coups. Nous
filons donc, légers et courts vêtus, brûler le bitume de la route
bien connue.
La moto c’est bien, les rochers c’est bien, mais si l’on y faisait
une petite grimpette ? Las, la corde d’escalade n’était pas du voyage,
est-ce un oubli ou est-ce délibéré ? Nous montons néanmoins au bivouac
de Sesto, lequel, comme chacun sait, jouxte le départ de la voie en Z.
Quelle tentation ! Cette voie si facile à comparer aux autres horreurs
du secteur. Un truc banal, un truc de débutant. Pedro mon frère n’est
pas un débutant, je l’ai écrit plus haut. C’est le départ de la voie qui
est la partie la plus difficile, le reste n’est que broutilles, le vide
en prime néanmoins. Pedro s’essaye donc et finalement réussit bien. Nous
pouvons donc y aller sans corde. Je pars devant et il suit sans problème,
dans toutes les branches du Z.
Mais je ne referais jamais ça. Quelle mouche m’a piqué ? Quelle assurance !
Quel manque d’objectivité. Faire cela l’année où j’ai failli périr dans un
accident. Il est des âges où l’on est incorrigible, inconscient mais où l’on
a une foi inébranlable en la vie. Où l’on n’est pas encalaminé dans je ne sais
quel principe de précaution qui empêche de faire quoi que ce soit. Où l’on
accepte le risque en ignorant volontairement les conséquences, ce qui n’est
pas très courageux.
Version de Pedro, qui n’est pas dupe et qui règle (enfin !) des comptes en 2007 :
« Réflexions de l'intéressé, 45 ans plus tard :
Ah mon cochon !!
Retrouvé sur le livre d'or d'Arudy...Et ta mémoire alors !
M'en souviens très bien de cette équipée. Soumis, docile, mais
non consentant, me voilà encore embarqué dans une de tes folles
aventures. Beau temps, départ de Pau sur Néocide (c'était un dimanche
si mes souvenirs sont bons), une réflexion de ta part : "il me semble
qu'on a oublié quelque chose...") Et pour cause !
Arrivés sur les lieux, après avoir mis pied à terre, te voilà qui te frappe
le creux de la main gauche avec le poing de la main droite et de dire :
"on a oublié la corde". Et moi de penser : chouette, on va rentrer.
Caca pour moi, oui, car toi de dire : "on ne va pas rentrer comme ça,
j'ai une idée, on va faire la voie de la Vire". Moi de dire, toujours
aussi benêt, : "et le surplomb..." Toi de répondre : "non, non, on
finira tout droit " Et moi de penser : "fin de parcours pourri, avalancheux et plein de vipères".
Pour me rassurer, tu me précises que tu sera juste derrière moi durant
la grimpette. OK, jusque là, ça me va.
Mais au point de départ, "léger changement de programme" : tu
m'annonces que tu pars devant et que tu m'appelleras pour commencer
l'ascension et te rejoindre. Trahison totale, qui a bien failli faire que je
ne pourrais aujourd'hui relater ce souvenir toujours aussi vivace.
A ton signal, je démarre la grimpette. Je ne pouvais te voir, car la pente,
au départ de la voie, est en léger surplomb.
Courageusement, je commence l'ascension quand, à 10 mètres du départ
environ, ça "lâche". Réaction de survie, je réussis à me reprendre et à me
plaquer à la paroi; collé à la paroi, je reprenais mon souffle et
j'entends quoi... "Alors, ça vient ?" Et merde, que je pensais...Et de
répondre: "ouai, ouai..." le temps de me raisonner, je poursuis et te rejoins.
Pour la suite, rassuré, l'ascension se termine comme tu l'avais prévue.
Vite, vite, on rentre et je me dis : "le coup du Pouce (En vau - tu t'étais
trompé de voie) et celui-ci, ça suffit". . . »
Pedro
http://www.pbase.com/jmollivier/image/109943219
Je tiens à souligner que je n’ai forcé personne. Pedro était
assez heureux de me montrer ce qu’il était capable de faire.
voir ici