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JMO

Sesto : Spleen, Directissime et Crux.Premier vol d'Hervé en 1961

Dimanche 5 Mars 1961 – Escalade à Sesto et premier vol de Hervé.
Equipe : Hervé, Christine, Jean - Véhicules : 2 vélos et un vélomoteurs – Trajet : Pau-Arudy AR.

Avec Christine à qui Hervé a prêté son vélomoteur. Hervé et moi en vélo. Vincent, le frère de Hervé est parti avec Besson faire de la spéléo.
Nous parvenons au bivouac de Sesto à 13h15 et faisons ripaille. Puis, pendant que Christine redescend la caillasse pour aller chercher l’eau que nous avons oubliée de prendre à la ferme, nous nous préparons à attaquer la paroi Hervé et moi. Il faut faire quelque chose, décidément, depuis le temps que l’on vient ici sans rien faire.
Pour commencer j’attaque par le Surplomb Patrice. Relais sous la fissure surplombante. Puis le fissure. C’est la première fois que je la grimpe en tête sans être assuré du haut ou sans moyens artificiels. C’est un joli passage ; la sortie me fait un peu suer et me chavire un peu l’estomac à cause de l’effort à fournir. C’est certainement du bon V ; en tout cas c’est très surplombant. Relais au-dessus. Hervé hésite lui aussi. Mais il se sent en très bonne forme et prêt à tout casser. Aussi part-il en tête pour le passage suivant. Il s’agit de franchir le Bloc Coincé par la gauche, alors que le passage normal est à sa droite droite. Confiants mais pas trop nou supputons un instant les chances de descellement du fameux Bloc. Bah, mieux vaut ne pas y penser. Bloc coincé ou élément d’une strate faisant partie d’un tout ? Un géologue pourrait trancher. Toujours est-il qu’une cornière et un coin de bois aident Herwick à vaincre le passage… qui n’est pas du tout facile, ce que je constate en enlevant les pitons. Herwick a tant soit peu risqué le paquet ici. Mais c’était sans grand risque. J’essaie en libre, mais finalement je dois m’aider du coin de bois pour passer. C’est aussi du bon AII/V.
Nous voilà sur le Bloc Coincé. Où aller ? La fissure directe surplombante en VI+ ? Je ne crois pas. Le Toit de la classique par la gauche ? Repitonner le passage pour le dépitonner à nouveau ne nous dit rien. Nous l’avons fait tant de fois (le 1er de la face) ! La Vire à droite, genre de Vire des Aviateurs (référence à la Voie des Vires à l’Ossau) repoussoir psychologique des premières tentative ? Trop facile maintenant. Quoi alors ?
Au-dessus de la Vire nous avisons un surplomb assez travaillé, semble-t-il ; il y a d’ailleurs longtemps [!] que je voulais passer parlà. Heewick en pleine forme et fort du passage du Bloc Coincé passé avec brio veut tenter le coup. Eh bien vas-y !
Il se démène un moment sur la vire très inclinée pour trouver son équilibre et réussit à placer une petite cornière assez haut dans le surplomb qui domine la vire. Elle chante sous les coups de marteau et s’enfonce jusqu’à la garde. L’endroit est très surplombant. Hervé a le corps rejeté en arrière et le pompon de son bonnet m’indique la verticale de façon assez surprenante de même que son marteau qui pend au bout de son fil. Mousqueton, étrier. Hervé se balance dans le vide, c’est assez inquiétant… et si le piton lâchait ? Considérant la masse d’Hervé suspendue à ce petit piton malingre je sens l’inquiétude ma gagner, je me demande s’il va tenir, s’arracher ? Hervé monte sur le dernier étage des étriers puis aborde le rocher pur et vierge en me demandant de lui laisser du mou. Je ne vois plus que le dessous de ses semelles quelques mètres au-dessus de moi, à droite. Il n’a vraiment pas l’air à l’aise. Ses jambes se mettent à trembler fortement, syndrome de la « machine à coudre ». Il se crispe et ne dit rien. S’il ne saisit pas quelque chose de solide il va ….
« Attention, je m’en vais, me dit-il d’une voix assez calme.
Et je réponds machinalement :
- Eh oh non !…
Suit un cri et c’est le dévissage !
Premier choc. Le piton malingre s’arrache instantanément avec un lamentable tintement et je vois passer Hervé devant moi comme au ralenti, comme s’il volait. Je n’ai pas le temps d’avaler la corde, y aurais-je pensé d’ailleurs ? Mon attention se focalise alors sur le piton du relais depuis lequel j’assure notre cordée. S’il vient à céder nous serons précipités au bas de la falaise. Un bref instant j’évacue la réalité, celle que je ne peux pas supporter, je suis ailleurs. Le temps s’est arrêté. Mais je tiens ferme la corde.
Puis tout s’accélère. Un choc puissant me ramène à la réalité, je suis plaqué contre le rocher, étouffé par la corde. Puis plus rien. Ça a tenu ! Nous revenons de loin. Hervé est passé sous le Bloc Coincé et je le devine se balançant au bout de la corde enserrant sa taille, à moitié étouffé lui aussi car nous n’utilisons pas de baudrier, objet inexistant à l’époque. Hervé est-il en marmelade ? Non, apparemment pas car il me demande en termes choisis de le déposer sur la prochaine plate-forme, 50 cm plus bas. Et je peux enfin le voir : sa chemise est déchirée et il a le dos rouge de sang. Mais cela a l’air superficiel. Quand il est arrivé sous le bloc et que la corde a arrêté sa chute et il s’est balancé si violemment qu’il a heurté le rocher avec presque toutes les parties du corps, sauf la tête heureusement, une vraie chance [pas de casques non plus à cette époque]. La corde l’a retenu à 50 cm de la plate-forme, ce qui lui a évité de graves blessures, voire pire. Il a les côtes mâchées et la taille écorchée par la corde. Son bonnet à pompon rouge, faisant fi de toute solidarité, s’est envolé jusqu’aux buis du bas de la paroi…
De retour près de moi Hervé m’a expliqué ce qu’il avait ressenti au cours de cet épisode : au préalable une grande peur juste avant de tomber, puis au dernier moment une grande résignation. Il est parti la tête la première, très lucide, et a vu la plate-forme jaune se rapprocher de lui à toute vitesse, le paysage se rétrécissait en se ruant à sa rencontre, comme si tout cela lui sautait aux yeux et qu’il en était spectateur. Puis le choc l’a étourdi et il ne s’est rendu compte de rien jusqu’au moment où, se balançant et tournoyant de tous côtés, il a repris conscience, me demandant calmement et presque impérativement de le déposer sur la plate-forme.
Quant à moi j’étais soulagé d’un poids immense…
Naturellement, pas question de forcer ce passage pour le moment. Une pensée me vint : et si nous étions dans une grande paroi ?
Je passe en tête la traversée par la Vire et, par l’Aiguillette, nous atteignons rapidement le sommet où Christine nous attend avec la nourriture. Nous dévorons les victuailles en profitant des derniers rayons du soleil couchant.
Retour au bivouac en vue d’aller visiter les grottes que nous avions repérées. Je prends une lampe frontale, Hervé une bougie. Ouist |surnom de Christine] suit. La première grotte est plus longue qu’on ne pensait à la voir de l’extérieur, mais elle est rapidement sans issue. Elle est ornée de concrétions blanches et de petites chauves-souris, pendues au plafond, émerveillent Ouist. La seconde grotte est encore plus petite, mais tout aussi attrayante, en pleine paroi.
Puis à 19h30 nous partons. Le vélomoteur fait un nouveau caprice, ce qui nous fait arriver à Pau à 21h15.
Journée bien remplie. Le frère d’Hervé, Vincent, a passé une journée spéléo avec Besson et est rentré à 22h.


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