Mardi et Mercredi 3 et 4 Octobre 1961 – Voie Mailly.
Cordée : Robert-Jean
Je ne sais ce qui a décidé le dégonflé de la face Nord de la Pique Longue d’accepter ma proposition d’aller grimper la Sud-Est de la Pointe Jean-Santé. Le fait que j’en ai gravie une partie ? Vouloir briller, mais aux yeux de qui ? Régler un compte avec l’Ossau ? Mais plus prosaïquement se faire pardonner l’infâme trahison, dont je ne savais pas encore que c’était Maïky qui l’avait diaboliquement orchestrée. Quelle histoire !
Moi aussi je veux régler un compte, des comptes mêmes. Mais ma forme n’est pas idéale. Je sors d’une période d’examens précédée de longs jours d’étude à ma table de travail. [L’examen, que j’ai réussi, et le propédeutique Sciences – MPC, soit Maths – Physique – Chimie]. Les autres histoires, liées à Maïky, n’étaient pas faites pour me donner le moral. Le bougre, la traitresse et l’infâme gougnafié.
Nous allons donc dormir à Pombie, un Pombie déserté. Par malheur, mercredi matin, le temps n’est pas idéal, ce qui nous fait opter pour une course de même niveau que la SE mais plus courte, la voie Mailly.
Je pars en tête. La première longueur réclame déjà une grande attention et des gestes précis. Raideur, prises rondes et rares, peu de pitons. Elle se termine par un beau mouvement d’opposition de type Dülfer. La seconde longueur, moins difficile, hormis un pas, mais plus aérienne achève de réchauffer les muscles et nous met dans le bain ; nous voilà prêts à affronter les difficultés principales de la voie. Après une fissure à coincement amusante nous sommes à pied d’œuvre. J’établis le relais au pied du premier dièdre surplombant. Deux pitons plus haut j’atteins le « crux ». Il y a un pas où il faut se lancer, dilemme qui se pose souvent dans les surplombs. Puisqu’il faut se lancer allons-y, inutile d’attendre. Et hop ! Durant quelques secondes l’équilibre est assez instable Une touffe d’herbe me sauve la mise, en espérant que ça tienne. Ça tient ! Au-dessus l’escalade est soutenue mais la difficulté moins grande. Des oppositions de toutes sortes offrent une bonne sécurité jusqu’à un pas délicat à gauche où il faut à nouveau se lancer sur des grattons minuscules. Tout se passe bien et j’installe le nouveau relais. Problème, le piton rentre mal. J’en ajoute d’autres. Mais l’échafaudage pitonnique est plus que branlant [un bon ring et on n’en parlerait plus - Des abrutis sanguinaires autant que stupides sont allés déséquiper les relais de la Sud-Est, 20 ou 30 ans plus tard, et s’en sont vantés – Christian Ravier entre autre. Dans les années soixante cet ayatolha épris de pureté de Bellefon a enlevé les barres à mines de la VN de l’Ossau (c’est plus pyrénéiste ainsi), quitte à faire chier tout le monde aujourd,hui et à provoquer des accidents].
Pour soulager l’échafaudage je retiens une partie du poids du second à la main. Tout se passe bien. Le dièdre qui suit immédiatement a l’air moins rébarbatif qu’il ne l’est en réalité. J’ai des difficultés pour m’élever ; des oppositions des pieds assez techniques, je dirais même savantes, me permettent de progresser. Piton. Ce n’est pas fini. Au-dessus l’escalade reste très soutenue et d’un pas à l’autre je ne suis sûr de rien. Les prises se dévoilent au fur et à mesure et je dois me balancer d’un équilibre à l’autre, maintenant trahi par une infâme « Machine à Coudre » (tremblement des muscles des jambes soumis trop longtemps à une trop forte tension). Je ne m’éternise donc pas dans ce passage et rejoins au plus vite une zone facile. J’en déduis que ce passage est beaucoup plus calé que le précédent, alors que ne payant pas de mine et étant côté moins difficile dans le guide.
Une grande sheminée de 50 mètres nous domine maintenant. D’en bas elle a l’air facile, mais je connais l’Ossau ! Et en effet elle est soutenue. De bonnes oppositions, faites avec réflexion, offrent toute la sécurité voulue à ce passage. Relais à mi-cheminée sur une touffe d’herbe. La suite est identique et nouveau relais sur une autre touffe d’herbe. La cheminée s’est avérée soutenue du bas en haut.
Papa part ensuite en tête, car je suis un peu fatigué. Un dernier surplomb nous permet de croiser la voie des vires inférieures, celle que j’ai parcourue avec JP Besson il y a un an à peine. Nous cassons la croûte à cet endroit. Puis rejoignons au-dessus la voie des vires classique, avec un nouveau passage difficile à la clé. Un piton perdu, et un beau piton neuf impossible à enlever.
La voie pourrait continuer par la Fissure Ollivier. Ce sera pour une autre fois. Elle ne fait pas partie de la voie Mailly.
Retour au refuge de Pombie et à Pau sans s’en faire. C’est la première grande course que je mène. C’est à l’Ossau. Je suis content. J’ai oublié pour un temps les faits divers.