12 octobre 1961 - Les Quatre Pointes de l’Ossau en 1961
Equipe : François Hervé Jean
Heureusement qu’Hervé, avec son entraînement alpin, nous réveille François et moi, abrutis de sommeil, aux alentours de 5h.
Bientôt nous remontons allégrement la Grande Raillère. En une demie heure nous sommes à l’attaque de la voie des Vires. Les longueurs de corde filent à toute allure : Vire du Crépuscule, Eperon Gris, Vire des Aviateurs, plate-forme des accidentés de l’an passé, Cirque Suspendu que nous remontons en courant, Ressaut aux Cristaux, Pentagone, Vire à Bicyclette comblée de neige assez instable et qui demande quelques précautions. J’aborde le cône terminal de la Pointe Jean-Santé par son arête orientale, au lieu de vasouiller jusqu’à la brèche. Un beau passage de IV et c’est le sommet. 2h après l’attaque. Il est 9h15. Un soleil jeune nous réchauffe. Photo, grignottage. Ciel pur, vent nul, neige éclatante et la face Sud de la Pointe d’Aragon resplendissante de lumière. Très sympa. Mais où sont les neiges d’antan ? Les neiges du cauchemar vécu il y a un an avec JP Besson ? Les montagnes n’y sont pour rien. C’est nous.
Nous filons ensuite sur les traces que nous avons laissées il y a deux jours. Elles sont utiles. Nous nous assurons tout de même pour la traversée du couloir Sanchette en utilisant les becs de rocher qui nous ont servi lors de notre précédent passage.
La progression reprend, rapide ; de temps à autre nous posons les anneaux [càd que nous nous assurons]. Nous découvrons en souriant les passages où nous nous sommes débattus l’autre soir. Evidemment, de jour, ça n’a l’air de rien. De la relativité des choses.
Bloc coincé, Epaule d’Aragon. Nous décidons d’atteindre la Pointe par les Fissures Sud. J’examine celle de droite. Brr… trop étroite et trop haute. Celle de gauche va mieux. Elle ne présente qu’une sortie un peu délicate. Les sacs sont hissés avant que François et Hervé ne grimpent. Tout va bien, c’est beau.
Du coin confortable d’où j’assure la cordée, ma vue embrasse les lointains espagnols dont les différents plans sont soulignés par une légère brume bleutée, dont les lunettes alpines d’Hervé soulignent le contraste. Quelle beauté ! Cette image radieuse restera longtemps gravée dans ma mémoire. Autour de moi des roches ocre-rouge et parfumées, au-dessus un ciel indigo, et loin en bas des mamelons roux autour du lac vert émeraude et le refuge, intrus familier et minuscule. L’esprit rêve devant ces lointains irréels, ces horizons aux confins des espérances humaines… Marie-Jo pourquoi es-tu partie ?
Deux longueurs nous conduisent au sommet de la seconde pointe, enneigée comme la première. Le Grand Pic est en face de nous, écrasant de sa masse. Un petit casse-croûte, assez frugal d’ailleurs et l’on repart. Le morceau d’escalade suivant se déroule sur l’arête qui relie la Pointe d’Aragon au Grand Pic. Le neige complique un peu l’affaire ; ça commence par une cheminée amusante, puis par la descente d’un couloir enneigé. Précautions d’usage. Rien n’est laissé au hasard. La sensation de sécurité renforce la joie profonde que procure une course comme celle-là.
L’arête se poursuit sur un terrain varié, présentant un certain nombre de passages de III. L’escalade d’un gendarme se révèle être l’un des délices de la course. Du bon rocher solide, à forts tranchants, on s’en met pleinla tronche.Rien à voir avec le petit calcaire qui vous jette à la figure des poignées de confettis.
Un dernier mur à descendre et nous sommes arrivés à la brèche d’Aragon, porte pour le Rein de Pombie. Peu de temps après nous parcourons le manteau neigeux qui le couvre, étincelant de lumière. La luminosité et la pureté de l’air sont telles que l’on distingue les immeubles de la ville de Pau ainsi que tous les villages de poupées de la Vallée d’Ossau. C’est splendide. La neige se laisse assez bien faire, et dans un jaillissement de poudreuse nous émergeons au sommet du Grand Pic, la 3ème pointe de notre parcours. Bref arrêt pour dévorer les dernières miettes. Vers l’Espagne, au Sud, c’est toujours aussi beau.
Descente rapide vers le Petit Pic pour essayer de tenir l’horaire, car nous sommes en retard de deux heures sur celui que nous nous étions fixé. Au cours de la descente nous tirons trop à gauche, ce qui nous oblige à un peu d’acrobatie pour atteindre la Fourche. Quelques dérapages sur le névé de base du Petit Pic, au-dessus de la Fourche. C’est quasiment de la glace. Et en trois bonds nous sommes au sommet du Petit Pic. Photo. Nous suçons quelques bonbons de dextro-sport (glucose) [C’est Hervé qui pensait qu’il suffisait d’un peu de glucose pour tenir durant toute une journée. Il testa ce régime lors de nos années spéléo, en 1959. Je servais de groupe témoin, nourri normalement. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’Hervé implore à genoux un bout de saucisson, une petite tranche de fromage et quelques miettes de pain. Il n’a jamais réitéré cette expérience ! Comme quoi rien ne vaut l’expérience].
Nous dévalons rapidement l’arête de Peyreget, enfin libérés de nos cordes. François s’écrase le petit doigt gauche en dévissant avec un fragment de dalle qui s’est brusquement détaché. Sa chute est très courte.
Nous prenons un raccourci vers la Grande Raillère pour gagner du temps. Mais après cette randonnée de pointe en pointe sur l’Ossau la caillasse se montre ingrate et fatigue les jambes.
Le vrai repas de la journée se prend au refuge, face au Palas qui s’enflamme aux derniers rayons du soleil. Spectacle magique offert tous les soirs gratuitement dans l’immense théâtre offert par le panorama qui nous entoure.
Nous atteignons la route du Pourtalet à la nuit. Il faut rentrer par nos propres moyens. Sur l’instant nous la trouvons mauvaise. Qui va se charger de trois hirsutes avec leurs gros sacs ? Clopin-clopant nous parcourons 6 ou 7 km et une estafette s’arrête à notre hauteur. Ce sont les douaniers du col qui ont pitié de nous et nous transportent jusqu’à Eaux-Chaudes. En avaient-ils le droit ? En tout cas c’est sympa, et c’est toujours ça de gagné sur le retour.
Hervé, grand seigneur, décide d’aller dîner au restaurant, c’est lui qui paye avec l’argent gagné à Chamonix. Le malheur est que nous sommes servis par un spécimen parfait d’abruti pyrénéen, comme il en subsiste encore dans ces vallées reculées.
Qu’importe. Sitôt le repas engouffré nous fuyons cet hote misérable et reprenons la route vers Laruns. A pied bien sûr. Le temps de faire quelques km un automobiliste conduisant une ID19 nous fait la gentillesse de nous transporter jusqu’à Izeste. Nous continuons à pied jusqu’à Arudy. Le vent du Sud s’est levé et nous en avons plein les pattes. Depuis Aneu nous avons marché une quinzaine de km, en grosses chaussures et les sacs sur le dos, cela après les Quatre Pointes de l’Ossau. Parvenus au carrefour du pont sur le gave, juste avant la côte de Sévignacq, nous décidons d’arrêter de marcher et attendons le bon samaritain couchés par terre.
Les conducteurs de plusieurs voitures refusent de s’arrêter. Finalement un jeune gars en Simca nous prend à bord et 25 km plus loin nous dépose aux feux du Boulevard d’Alsace, à proximité du collège de notre enfance (l’Immac). Ouf !
A 23h15 nous entrons à Mamaïta et sommes accueillis en héros, ce qui me change diablement d’El Patio, l’enfer des Ollivier. Grosse réception donc. Nous sommes entourés de gens sympathiques et bienveillants, papa Butel en tête, qui tiennent absolument à nous offrir un collation – tant pis pour le repas des Eaux-Chaudes. L’appétit vient en mangeant et en racontant nos exploits. Marie-Jo était-elle là ? Point de trace dans mes anciennes notes.
Il est bien tard pour rentrer chez nous, à François et moi. Et par quels moyens ? Le mieux est de dormir sur place, dans la chambre d’Hervé, à la fenêtre de laquelle j’envoyais des cailloux pour le réveiller lors de nos départs matinaux spéléologiques ou arudyens. Nous nous retrouvons comme au refuge de Pombie. Personne ne s’est plaint de ronflements.
Nous sommes réveillés par les grondements sourds et persistants d’un bulldozer au travail qui nous transforme la tête en citrouille pour la journée. L’immobilier se porte bien dans ce quartier autrefois bien tranquille… Chemin rural Cazalis, c’est bien fini.