Photo : les Aguilles d'Ansabère versant Est
Mercredi, Jeudi et Vendredi, du 18 au 20 Août 1965 – Tentative
à Ansabère ou le regard des autres. Connaissance de la séduisante Renée.
Hervé-Jean
Jean-Paul et Charles Bourdeau, Renée Cazaurang.
Véhicule : 4 CV (à 5 avec de gros sacs et à 100 kmh !)
Déçu par nos tentatives ratées à l’Ossau, vexé par la victoire
des Ravier aux Pitons de la Fourche qui écrabouille le rêve insensé
de 1959, j’ai décidé de changer de massif. Le second massif prestigieux
de la région est le massif des Aiguilles d’Ansabère. Un coup d’œil
au guide Ollivier montre qu’il manque des pointillés dans la partie
centrale de la face Est de la Grande Aiguille. Un dièdre parcourt cette
zone. Il n’y a plus qu’à y aller et suivre les pointillés fictifs.
Une rencontre à Sestograd avec les frères Bourdeau fit converger nos
projets. Ils désiraient eux aussi visiter Ansabère et nous proposèrent
de nous transporter avec leur voiture. Aubaine.
Nous ignorions que leur véhicule était une vénérable 4 CV. Et en plus
de leur matériel de montagne et de camping ils avaient embarqué une
minette (Renée Cazaurang). Hervé fut très content et moi un brin
soupçonneux. Ce n’était pas prévu. Une minette n’avait pas sa place en
montagne version pure et dure. Et outre nos deux personnes, Hervé et
moi, il fallait enfourner dans la petite voiture nos énormes sacs.
Cinq personnes, cinq sacs et pas de coffre à bagage. Qu’à cela ne tienne,
à force de se serrer et de pousser les sacs dans le moindre espace libre
nous arrivâmes enfin à fermer les portières d’une voiture pleine comme
un œuf. Et fouette cocher. Cravachée par l’un des frères Bourdeau la
petite berline et son convoi poussa des pointes de vitesse à plus de
100 kmh sur la route d’Oloron, au grand fou-rire crispé de certains passagers.
La montée à Lescun fut beaucoup moins brillante.
D’incertain le temps se mit à la pluie alors que nous montions vers les
aiguilles. Afin de ménager les vêtements tout le monde se mit à poil
excepté un slip de première nécessité. Voir Renée à poil aurait été autre
chose que de contempler ces aiguilles lointaines et dédaigneuses ! Mais
les hommes ont su se tenir. Le camp fut fixé sur un replat d’herbes grasses,
sous les aiguilles. Les Bourdeau possédaient une tente assez grande pour
trois personnes. Pour des raisons de poids Hervé et moi avions prévu de
bivouaquer à la belle étoile. Fort heureusement la pluie s’était arrêtée.
Nous chahutâmes fort avant dans la nuit – la présence d’une fille
n’étant sans doute pas étrangère à ce chahut. Et la nuit elle-même fut
froide pour les deux bivouaqueurs qui eurent du mal à fermer l’œil.
Nous suivons typiquement le profil d’une chronique d’un échec annoncé.
La mauvaise nuit fut responsable d’un réveil poussif et d’une glandouille
de mauvais aloi. Zut ! Pas d’eau ! Nous finissons par en trouver sous
forme d’un misérable filet qui coule d’un vieux névé et met « trois heures »
pour remplir une gourde.
Si nous avions été lucides nous aurions arrêté là notre projet de
grande première sur la Grande Aiguille. Ce n’était pas le jour, manifestement.
Mais non, nous devions assumer notre statut de grands grimpeurs que
rien n’arrête et le projet fut maintenu.
Il est déjà tard lorsque les cinq fêtards s’ébranlent vers les
aiguilles. Le groupe se scinde lorsqu’il parvient entre les deux aiguilles.
Le groupe Bourdeau se dirige vers la Petite Aiguille pour en grimper
la voie normale, Hervé et moi poursuivons vers la Grande Aiguille.
La disposition des lieux est telle que nous pourrons nous observer
les uns les autres toute la journée.
Pour nous c’est déjà tout un cirque pour surmonter le contrefort
qui s’appuie sur l’aiguille proprement dite. Nous sommes obligés de
sortir la corde et de perdre un temps précieux. Décidément ce n’est pas le jour.
Du haut du contrefort Hervé attaque la fissure centrale et y passe
l’après-midi. Pourquoi n’ai-je pas insisté pour arrêter là les frais
et rejoindre les autres qui ont failli mourir de peur au milieu des roches
pourries de la Petite Aiguille ? Au lieu de cela je monte rejoindre Hervé
et enchaîne la longueur suivante. Stupidité, car j’ai bien réalisé que
la course tombe à l’eau par manque de temps, de nourriture etc. Ces
perspectives me paralysent. Monter, descendre ? Dessous Hervé s’inquiète.
La nuit vient à mon secours. Je descends rejoindre Hervé et nous passons
stupidement la nuit suspendus dans nos étriers juste au-dessus de la brèche
accueillante d’où nous sommes partis tantôt. Qu’espérions-nous sans nous
le dire ? Hervé semblait toujours partant et moi je n’osais dire qu’il
fallait abandonner, toute honte bue. Aux Pitons de la Fourche tout avait
été clair entre nous, devant un évidence nous avions eu la même analyse.
Mais ici il y avait un blocage. Le regard des autres, Hervé qui a flashé
sur Renée ? Certainement. La suite le prouvera.
Curieusement la nuit passa relativement vite mais les ficelles des étriers
nous ont cruellement mordu les chairs et nous sommes complètement raides,
affamés, assoiffés. De façon complètement irréaliste nous reprenons l’ascension
et je me retrouve au point atteint hier soir, ne comprenant plus ce que nous
faisons ici. Tout se ligue pour que nous arrêtions, fatigue, faim, soif, auquel
s’ajoute maintenant une grave chute de moral devant l’entreprise qui nous
attend si nous poursuivons. Un second bivouac à coup sûr, mais avec quoi ?
Nous finissons par tomber d’accord pour renoncer. L’été n’est pas fini,
nous reviendrons mieux armés… et sans minette de service n’ai-je point
ajouté mais pensé tout bas. Nous optons pour la descente du contrefort, si
péniblement escaladé hier, par le versant Pince de Homard. Nous y découvrons
la vraie nature de bien des rochers d’Ansabère (dont la VN de la Petite Aiguille)
: un véritable merdier de pourriture de rocher. Tout part en miettes,
du rocher en lambeaux aux fins éboulis qui coulent comme de l’eau.
Nous retrouvons les autres, Hervé revit, et le chahut de hier soir
reprend de plus belle… Hervé et Renée se marièrent officiellement le
1er Août 1970.