Pour la vue generale, voir :
http://www.pbase.com/image/26834143
Samedi à Lundi du 12 au 14 Juin 1965 – Eperon Est de la Pointe Jean-Santé.
Hervé, François, Minnie, Jean. François et Minnie à POmbie, Hervé et Jean à l’Eperon Est de la pointe Jean-Santé (voie ED).
Véhicules : 500cc RGST, 2 CV et auto-stop.
François veut faire connaître l’Ossau à sa copine Minnie. Avec Hervé le programme est des plus sérieux : faire l’éperon Est de la Pointe Jean-Santé qu’il avait loupé récemment à cause d’un excès de neige…
Nous montons donc ensemble à Pombie. Le petit gave de Brousset près du parking et qu’il faut traverser à gué effraie Minnie. Heureusement François est là. Le col de Pombie est orné d’une gigantesque congère qu’Hervé s’amuse à gravir. Quelques photos immortalisent cet enneigement exceptionnel.
François retrouve des copains au refuge de Pombie. Lequel est bientôt envahi par une horde du CAF. Heureusement nous avons emporté les tentes qui nous ont permis d’avoir une tranquillité relative. Le temps et l’Ossau sont assez sinistres ce soir.
Lever 4h. Temps magnifique. Petit déjeuner conséquent et au galop dans le pierrier de la Grande Raillère sauf que… nous avons oublié le topo de la voie ! Déjà du temps perdu pour aller le récupérer. La vire ascendante qui conduit à l’éperon Est est vite atteinte. Nous décidons de la parcourir non encordés. Facile au début elle prend vite de la hauteur et devient de plus en plus aérienne à mesure que les prises s’amenuisent, deviennent friables, que le rocher est humide et glissant en plus d’être froid. Dure mise en route qui sème quelques angoisses.
La vire bute sur un névé très raide qui descend du couloir Pombie-Suzon. Il a un peu fondu depuis la dernière tentative d’Hervé et a libéré le dièdre d’attaque qui est face au couloir.
J’assiste ensuite à une escalade typiquement Herr Wick. Nous sommes attachés à la même corde et il n’y a aucune protection sur notre bout de vire suspendue au-dessus du vide. Hervé part en tête, évite le premier surplomb en creusant des marches sur le névé tout proche mais très raide, mouille ses chaussures, refroidit ses mains au contact de la neige et manque de dévisser en prenant pied sur le rocher au-dessus du surplomb. Ses pieds ont ripé par manque d’adhérence. Ses doigts gelés au cours de son ascension du névé ne sentent plus le rocher. Et pourtant il a tenu ! En bas, au bout de la corde je n’ose plus respirer. A quel dieu devons-nous d’être encore en vie ? Et ce n’est que le début. Je ne suis vraiment pas venu pour ça. Ça c’est le jeu de roulette russe qu’a l’air d’affectionner Hervé. A-t-il eu peur ? Je n’en suis même pas sûr.
Je le rejoins en passant par le surplomb et non par ce stupide névé humide. C’est vite enlevé. Le relais sur lequel Hervé m’a fait venir étant par trop inconfortable, nous nous installons sur une plate-forme digne de ce nom et je poursuis en tête. Je tombe tout de suite sur un surplomb « velu » qui m’oblige à placer un étrier tellement il est déversé. Au-dessus c’est fin et soutenu avec un point d’orgue au niveau d’une traversé qui me permet de rejoindre une nouvelle plate-forme où j’installe un relais solide pour faire venir Hervé. Il enchaîne ensuite par une longueur d’escalade artificielle qui bute sur des surplombs hostiles. Sa corde, virevoltant dans tous les sens de mousquetons en mousquetons, finit par se bloquer et il ne peut plus avancer. Il est obligé de faire un relais sur étrier – ce qui ne figure pas sur le topo !
De mon côté je commence à faire l’expérience des pitons enfoncés dans la roche cristalline ultra-dure de l’Ossau (andésite), ils sont quasi-inenlevables !
Depuis le relais sur étrier Hervé souhaite continuer en tête vers les surplombs hideux qui ont l’air de lui en vouloir selon ses dires. Au cours de sa tentative les surplombs sortent les dents et lui font barrage. Inquiet, voire apeuré, il me cède la place pour que je trouve une solution à ce problème. Comme je préfère grimper en tête je ne me fais pas prier. Le problème est plus psychologique que réel. Pour moi tout se passe bien et, au-dessus des surplombs-dents de la mer je peux bientôt me vautrer sur un solarium grand luxe, une aubaine dans cette paroi vertigineuse et hostile.
Je fais venir Hervé qui trouve le moyen de (presque) dévisser en second. Toujours parcimonieux et économe côté matériel il a utilisé un vieil anneau de corde en fin de vie en guise d’étrier. L’anneau a pété, mais heureusement la corde l’a retenu. La leçon du Penemedaa ne lui avait pas suffi [voir l’escalade du Penemedaa en 1963]. De toute façon il oublie tout. Les femmes adorent. Pas les compagnons de cordée.
Je continue en tête pour la longueur suivante, assez facile hormis un pas vicieux. Hervé enchaîne la longueur suivante, puis me cède la place. J’arrive au pied d’un vaste mur sombre de sinistre apparence. Autrement dit il a une sale gueule et ne présage rien de bon. Un excellent relais permet d’assurer la cordée. Spectacle assuré pour le second, moi en l’occurrence, puisque c’est au tour d’Hervé de franchir l’obstacle.
Hervé se lance. Une mouche sur une vitre inspirerait davantage de confiance. De mon poste d’observation je m’attends à tout instant à le voir voler, non pas comme une mouche mais plutôt comme un fer à repasser. Je renforce la sécurité du relais et avale ma salive. Je trouve le temps long. La progression est lente, cela doit être difficile. Vivement qu’il sorte de là. Je passe un très mauvais quart d’heure. Plusieurs en fait.
Je suis heureux de rejoindre Hervé. C’est difficile mais sans plus. Le style Herr Wick n’inspire pas confiance et derrière lui je ne suis pas tranquille, je manque de sérénité. J’entreprends la longueur suivante, assez classique, et qui se termine par le franchissement d’une grosse écaille surmontée en duelfer. Le relais est excellent.. Une ligne de pitons nous indique la voie à suivre. C’est de l’escalade artificielle (pour nous, car c’est certainement faisable en libre). Cela prend du temps, exige des relais sur étriers, également le hissage des sacs, et nous mène enfin sur la partie intermédiaire de l’éperon Est, l’Epaule. Elle est bien visible sur les photos.
Nous pensons l’affaire dans la poche. Que nenni ! Il est loin le sommet. Ce nid d’aigle, en plein milieu de l’éperon Est domine l’effrayant couloir Pombie-Suzon qui résonne constamment de la chutes des pierres de tout calibre qui se ruent dans ce sinistre entonnoir. Comment peut-on avoir l’idée de grimper là-dedans, dans cette cave insalubre qui ressemble à un tout-à-l’égout ?
L’idée que le gros des difficulté est derrière nous a fait retomber la tension et nous prenons conscience d’une certaine fatigue. L’après-midi est bien avancée, voilà au moins 12 heures que nous nous activons sans répit. Au-dessus de nous les fissures de sortie, telles des tuyaux d’orgue géants, ont une allure vraiment menaçante. Il faut nous préparer à affronter les difficultés d’une nouvelle course. Hervé avoue qu’il est crevé, aveu bien rare de sa part. Nous tirons au sort celui qui partira le premier en tête. Cela tombe sur Hervé.
L’enthousiasme dévastateur qui l’avait fait rigoler lors du dérapage contrôlé de justesse de la première longueur est bien loin. La progression devient très lente, nous nous traînons. J’en suis presque à m’endormir sur un relais alors qu’Hervé en bave à mort dans une longueur impitoyable. Cahin caha nous surmontons les fissures et butons enfin sur les surplombs qui les couronnent. C’est mon tour de passer en tête. En second il faut l’avouer humblement je me suis reposé et j’ai quelque peu récupéré. La perspective d’une sortie imminente me gavanise et je négocie assez bien l’ultime difficulté de la voie. Il est 21h lorsque nous émergeons au sommet de l’Eperon Est.
… Profitant des dernières lueurs du jour, puis du clair de lune ayant pris le relais et de nos frontales enfin utiles, nous dévalons le Cirque Gris, puis la Voie des Vires. Au moment d’atteindre le névé de base de cette voie, à 23h30, un grondement catactéristique se fait entendre accompagné d’explosions proches de nous. Nous vivons une fois de plus l’effondrement en direct de la grande montagne qui, un jour, ne sera plus qu’un tas de ces cailloux… et nous dessous si ça se trouve !
Afin d’échapper à un pareil destin nous effectuons une ramasse-éclair sur le névé et courons à sauve-qui-peut dans la caillasse de la Grande Raillère.
Nous retrouvons le refuge de Pombie vide d’habitants. François est finalement parti avec Minnie, nous abandonnant à notre (triste ?) sort et laissant l’intérieur du refuge dans un fieffé bordel. Manque de solidarité. Après force vitupérations avec pour thème « ces pauvres cons qui se font mener par le bout du nez par leurs tristes minettes du moment», nous nous calmons un peu et nous restaurons généreusement, n’ayant pratiquement rien mangé depuis le petit déjeuner à 4h. du matin.
Hervé choisit de rester dans le refuge pour dormir, quant à moi je réintègre ma tente. Nuit réparatrice s’il en fut.
Je suis levé le premier. Un soleil généreux envoie ses premiers rayons sur le colosse qui prend alors de subtiles teintes cuivrées. Il semble veiller comme aux premiers âges sur la quiétude sereine de ce petit coin de Pombie, son lac, sa petite maison, dans un silence de cathédrale. « Ô temps suspends ton vol ! ». Le bonheur à l’état pur. Et dire qu’hier nous étions quelque part là-haut !
En attendant qu’Hervé se réveille je récolte des brindilles de rhododendron mort pour faire un petit feu destiné à la préparation du thé matinal. Après deux heures de soins attentifs, l’eau ayant chauffé suffisamment, le thé tant désiré est enfin prêt. Tout le thé disponible a été utilisé. Impossible de faire du rab. Et à ce moment-là je me demande encore ce qui a pris à Hervé. J’avais construit un petit foyer contre le mur sud du refuge à l’abri du vent avec des pierres grossièrement cubiques, puis allumé le feu et déposé au-dessus une gamelle remplie d’eau. Dispositif parfait qui fonctionnait gentiment. Lorsque tout fut prêt Hervé fut pris d’un besoin soudain d’apporter de la perfection à la perfection. Selon lui quelque chose clochait dans mon édifice et il fallait absolument corriger cette aberration, insupportable à ses yeux. En une fraction de seconde tout le thé de la Perette et du cornichon qui l’avait préparé chuta sur le feu qu’il étouffa instantanément. Tout n’était même pas à refaire, car il ne restait ni thé ni brindilles. Il ne restait qu’une immense colère retenue et une frustration à nulle autre pareille…
Nous en fumes réduits au régime sec, pain dur et saucisson racis. Mais c’était bon quand même, nous en avions vu d’autre. Le cadre dans lequel nous savourions ces miettes apportait tout ce qui pouvait manquer à notre repas improvisé. La sérénité propre à ces lieux nous avait enfin gagnés. Nous étions heureux. Nous n’allions tout de même pas nous disputer pour une banale histoire de thé, m’enfin !
Tout cela est bien bon mais il fallait maintenant songer à rentrer à Pau sans la 2 CV de François qui nous avait traitreusement abandonnés, Minnie travaillant sans doute en ce lundi.
Nous descendons directement le val de Pombie avec l’intention d’aller faire du stop au Pont de Camps. Ce val est un régal printanier avec ses fleurs, ses eaux vives et quelques isards qui gambadent dans cette nature digne du paradis terrestre tel qu’on l’imagine. A mesure que nous descendons le soleil devient de plus en plus généreux, il fait carrément chaud. Dans la fôrêt qui suit le val nous débarrassons des arbres d’affiches publicitaires en plastique signalant je ne sais quelle manifestation de zozos autour de l’Ossau. A cul les Velrans !
Au Pont de Camps la première voiture rencontrée nous prend en stop et nous dépose au Parc Beaumont à Pau. Plus que quelques km à pied dans une ville surchauffée et nous serons chez nous.
Et quoi d’autre maintenant dans cette plaine abhorrée ? Des exams, laisser-passer nécessaires pour préserver la vie future, des fiançailles, pour mieux se faire claquemurer derrière les barreaux de la prison sociale ? N’en jetez plus