Photo : Mam 20 ans après ses exploits à Sesto
Dimanche 17 Novembre 1963 – Sesto – Première visite de Mam, Loulou et Pierre.
Participants : François, Jean, Leire, Podevin, Martine Lignac, Chantal Flouch,
Mam, Loulou, Pierre Ollivier, Bernard Claviez (connu à Louis Barthou), Larrouy, Debat.
Véhicules : 2 CV (François et moi) (Loulou, Mam et Pierre), DS 19 (Leire,
Podevin, Martine et Chantal), 203 Peugeot (Larrouy et Debat), autres…
François vient me chercher à El Patio vers 11h. C’est un peu tard mais
le temps est correct.
En arrivant à Sesto nous retrouvons Leire et Podevin au pied de la Dalle
Artificielle [à gauche de la voie des Soupirs]. Ça fait plus de deux heures
qu’ils y sont et aucun des deux n’est arrivé à planter plus de trois pitons
! Ils sont maintenant en train de battre en retraite en enlevant les pitons
si difficilement plantés. Podevin veut laisser le dernier, mais Leire,
furieux, tire sur la corde et fait dévisser Podevin. Il était trop contrarié
à l’idée que nous puissions récupérer ne serait-ce que l’un de SES pitons
On voit là le côté mesquin et microscopique de cette grande gigue de Leire.
Très vilain.
Ils continuent ensemble malgré tout et grimpent la voie des Soupirs
désormais équipée..
De leur côté Martine et Chantal parcourent la voie en Z. C’est la première
féminine intégrale [curieusement Chantal n’en a pas gardé le souvenir].
Quant à François et moi nous retournons à la sortie directe de la voie
en Z pour se remettre en forme. François franchit la première partie en
tête de façon très sûre. J’enchaîne par un passage très aérien à gauche
pourvu de bonnes prises, avant de casser la croûte au bivouac. Les steaks
grillés à la flamme sont excellents. Sur ces entrefaites Larrrouy et Debat rappliquent.
Sitôt restaurés nous nous ruons à nouveau vers les rochers. Michel (Podevin),
François et moi allons à la voie des Soupirs [décidément !]. Pendant ce temps
Leire, les filles, Larrouy et Debat s’attaquent à la facette Sud de la voie
normale ( ?). Nous y entendons force cris.
François grimpe en tête la voie des Soupirs, baptisée d’un coup de peinture
[la même que celle que j’ai utilisée pour repeindre les volets d’El Patio,
une sorte de rouge basque]. Podevin prend ensuite la tête pour s’attaquer à
la Vire des Pianistes. Il démarre bien mais ses doigts finissent par fatiguer
et malgré tous ses efforts il lâche prise et chute de près de six mètres,
la tête vers le bas. Ouf ! Il s’en tire bien et remonte, un peu pâle.
Pendant ce temps nous apercevons des nouveaux venus dans le pierrier dont
ma maman, Mam, Pierre et Loulou qui a fait le chauffeur avec sa petite 2 CV.
Suivent trois nouveaux dont l’un ne m’est pas inconnu : Bernard Claviez !
Un gay martyrisé au lycée Louis Barthou que j’avais connu en 1957 ou 1958
et qui m’avait pris d’amitié. Grâce à lui j’ai pu avoir mon baptême de l’air
dans un NordAtlas deux ponts de l’armée de l’Air, qui n’était réservé qu’aux
délégués de classe dont il faisait parti, élu par dérision cruelle par les
élèves informés de sa singularité. Au premier jour de classe il ne restait
qu’une place libre lorsque j’ai enfin trouvé la bonne salle, celle de la table
qu’occupait Claviez. Je me suis donc assis à côté de lui et ait été aussitôt
assimilé gay ! Et nommé délégué adjoint en punition. Et j’ai pu apprécier
comment les gays étaient traités en ce temps-là. J’ai mis du temps à comprendre
l’ampleur de la connerie des gens… Il habite actuellement le même immeuble
que Martine (d’où sa présence ici). Ses deux copains ont déclaré forfait
au pied du pierrier.
A la vue de cette « invasion » toutes sorte de cris d’animaux et autres
injures jaillissent des parois à jet continu. Les nouveaux sont surpris –
on le serait à moins – et ne ripostent pas. Serait-on hostiles par ici ?
A la facette Sud c’est un effroyable carnage. Leire, Martine et Debat
sont montés, les autres trépignent et hurlent.
François et moi emmenons Mam (52 ans) à la Verte. Bizarre comme nous ne
doutions de rien. Voilà au moins 25 ans que Mam n’avait rien grimpé,
son âge, et voilà que je lui collais le dièdre initial de la Verte où
même un super-grimpeur comme Yannick Seigneur va devoir s’employer
ferme quand il s’y attaquera. Evidemment elle n’y arrive pas. Nous
lui promettons alors la voie en Z classique. En attendant je rejoins
François au relais de la Verte et continue par la gauche de la fissure,
passage assez intéressant. Je dois le débarrasser de pierres branlantes
et de la végétaion luxuriante et m’emploie à hurler comme un sauvage
pour que tout le monde s’écarte du pied des parois.
Comme promis Mam fait la voie en Z avec François et moi, et se débrouille
très bien. Pendant ce temps Pierre parcourt la voie du Bloc Coincé-Vire
avec Leire et Podevin.
La nuit tombant bienrôt, les plus timorés débarrassent le plancher
et sont accompagnés dans leur « fuite » de jurons infernaux. Il ne
reste que les plus courageux pour prendre le thé au bivouac et casser
une bonne croûte. Nous avons nos lampes frontales pour affronter
le terrible pierrier. Ce beau pierrier est un bon filtre qui permet
d’éliminer tous les cloportes inutiles qui viendraient parasiter
dangereusement le pied des parois. Car, cloportes ou pas, si l’un
d’eux est touché, où irions-nous ? Enquêtes, rocher fermé, notre
petit paradis interdit sine die. Nous avions l’air écervelés mais
nous n’ignorions pas de telles contingences. Nos cris et injures
étaient là pour préserver le territoire. Nous retrouvions vite les
vieux instincts tribaux toujours vivaces cachés au fond de notre inconscient.
Dimanche 2 Février 1964 – Récupération de pitons à Arudy
En solo.
Véhicule : 2 CV conduite par Loulou, accompagnée de Mam
En ces temps héroïques nous, les grimpeurs, étions pauvres. Etudiant
je vivais encore chez mes parents depuis ma majorité en septembre 1962.
Une chance qu’à cette époque elle soit fixée à 21 ans. Considérant
alors que je devais subvenir à mes besoins mon père m’avait coupé les
maigres vivres d’argent de poche et tolérait que je squatte la maison
familiale - dans laquelle il ne vivait pas - durant mes études supérieures,
à condition qu’elles ne durent pas trop longtemps. Quelques cours particuliers
m’aidaient à payer un peu d’essence pour la mobylette ou la moto, un peu
de tabac pour la pipe etc… Le matériel de montagne est onéreux et l’achat
du moindre piton constituait une saignée importante dans un budget microscopique.
D’où la nécessité de récupérer nos pitons. Ce qui était dommage pour
l’intégrité du rocher.
Nous n’avions pas en ce temps-là assez d’argent pour équiper une falaise,
et la récupération des pitons était une nécessité. Lorsque les voies
d’escalade étaient fréquemment répétées, comme dans les Calanques de
Marseille, on assistait à une dégradation spectaculaire des fissures
pitonnables de ce calcaire relativement tendre.
Je programme donc une sortie sur Arudy pour regarnir mon stock de pitons
et être paré pour une course importante ou d’autres voies à ouvrir.
Je fais la route transporté par Loulou accompagnée de Mam dans sa 2 CV. J
e profite de la balade qu’elles ont organisée en vallée d’Ossau pour
venir récupérer des pitons, le Doigt de Pombie ayant effectué une coupe
sombre dans mon stock.
Je me laisse déposer à la Fonderie et monte au groupe de la Cima Ovest.
Je m’attaque à la voie des Nichons depuis le bas. Mais je ne monte pas
très haut, n’étant pas sûr de l’assurage. J’opte plutôt pour le rappel.
Et j’ai la sotte idée de monter par l’Eperon. Le rocher est archi-pourri,
il est raide et humide, une vraie panique. A plusieurs reprises je
regrette amèrement de m’etre engagé en solo là-dedans. J’arrive heureusement
sain et sauf en haut et jure qu’on ne m’y prendra plus. J’installe le
rappel. Mais il ne tombe pas au bon endroit et je dois gagner en escalade
le relais supérieur de la voie des Nichons pour caler la corde dans l’axe
de cette voie.
Concentré sur mes manœuvres je n’ai pas remarqué un zèbre qui m’observe
depuis le pierrier, un paysan ou un ouvrier. Ça m’énerve et au lieu d’engager
une conversation normale l’envie me prend de l’envoyer balader avec des
injures. Mais je préfère l’ignorer et achever le dépitonnage. Il vaut mieux
ménager les naturels du pays. Le paysan doit être un craintif car il plie
bagage dès que j’ai mis un pied au sol.
Je remonte ensuite récupérer la corde de rappel, mais pas par l’Eperon
cette fois ! Et e file ensuite à Sestograd City à travers champs. J’y fais
une pause pour casser une petite croûte et déséquipe Da Doo Ron Ron et
la Verte, ce qui n’est pas du tout facile. Après une revue générale de
Sesto je vais attendre Loulou à l’intersection des routes, à 18h30
pétantes, comme convenu