Vendredi 18 Octobre 1963 – Gourette, face Ouest du Pene Sarrières.
Cordée : François-Jean
Véhicule : 2 CV
Voilà qui n’aura pas traîné ! Ils ne l’ont pas faite, eh bien nous
l’aurons. Petite compensation qui va racheter mes affres de l’attente
interminable de l’autre jour (voir plus haut). Le lecteur aura bien
compris qu’il s’agit de la face Ouest du Sarrières. Seulement cette
fois Schmull n’est pas là. L’aurions-nous invité ? Ne lui faisons
pas l’affront de lui dire que c’est trop dur pour lui dorénavant.
Le temps reste splendide, il faut en profiter et roule la petite 2 CV
sur la route qu’elle pourrait parcourir les yeux fermés. Nous arrivons
à midi et 35 minutes plus tard nous sommes au pied de la face Ouest.
Notre pique-nique plantureux nous mène à 13h15, et sans attendre nous
attaquons la voie à l’endroit le plus évident. Nous sommes tout de
suite sur de très belles dalles procurant une escalade curieuse mais
point très difficile. Le premier relais par contre est idiot et très
précaire.
La paroi se redresse pour la seconde longueur ; elle est raide et
tout en gratonnage, le vrai gratonnage où l’on ne tient que sur
3 ou 4 prises minuscules qu’il faut savoir saisir dans le bon ordre
avec le doute qu’en cas de mauvais choix ça ne passera pas et pis,
ce sera le dévissage. Je commence à être loin du premier piton,
la concentration devient maximale pour résoudre la suite sans prendre
de risques ; c’est alors que j’aperçois un second piton, quelques
mètres au-dessus de moi et tout devient plus facile. C’est là qu’on
réalise qu’une paroi équipée est beaucoup plus facile à grimper que la
même paroi vierge. Il n’y a plus d’engagement, le combat est truqué,
l’intérêt nul. Avec les équipements modernes (coinceurs, friends, etc)
beaucoup de parois pourraient retrouver leur virginité (ou presque)
et leur intérêt.
Cette seconde longueur se termine par une traversée très délicate aussi.
Ouf !! François s’en tire assez bien, mais abandonne un piton.
Un nouveau paramètre vient compliquer cette escalade. Des ouvriers
s’affairent au sol sur le tracé des pistes de ski pour aplanir le terrain,
boucher les gouffres etc. [[L’hiver dernier un skieur (Iglesias) est
tombé dans une cavité ouverte de 100 mètres de profondeur en plein
parcours skiable et s’est tué]. Ils travaillent à la dynamite. Chaque
explosion nous fait sursauter et fait trembler la paroi. Quand on est
en équilibre sur deux grattons chétifs on apprécie. Les ouvriers ont
fini par nous apercevoir (peut-être à cause de nos imprécations) et nous
ont avertis avant chaque coup de mine.
La troisième longueur, bien qu’en surplomb et débouchant sur de l’herbe
et du rocher brisé, est seulement délicate. Et les relais qui suivent
maintenant sont bons. Au cours de la quatrième longueur il faut virer
à droite et franchir un mur très raide. L’escalade est facilitée par
d’assez bonnes prises.
La cinquième longueur est astucieuse aussi et se termine par un infâme
dièdre très délité. On peut l’éviter par la gauche au prix d’une terrible
gymnastique épuisante. Le relais qui suit est peu sûr, il cohabite avec
un énorme bloc décollé de la paroi qui ne demande qu’à tomber sur le
second de cordée. Qui, lui, n’en demande pas tant !
Une duelfer en rocher douteux se présente au départ de la sixième longueur.
Je commence par vouloir l’éviter par la droite, mais le rocher est tout
aussi mauvais, sinon plus. En fait la duelfer se négocie bien, ne s’écroule
pas et permet de gagner au-dessus un méga-relais sous un toit sur lequel
repose le ressaut sommital. Nous soufflons, croyant être arrrivés. Nous
épiloguons sur une bonne sieste à l’abri du toit mais optons filalement
pour aller la faire au sommet.
Et c’est le bon choix, car cette dernière longueur (la septième) est
infâme, et serait devenue un cauchemar au sortir d’une sieste. Il vaut
mieux la grimper tant que nous sommes chauds. Du lichen jaune, gluant
d’humidité, recouvre les prises, parcimonieuses et petites. L’escalade
se poursuit sur un mur surplombant et déjeté vers la droite. Deux pitons
sont nécessaires pour venir à bout de cette longueur pas du tout commode.
Petite bulle au sommet, pas de sieste. Descente rapide pour déguster une
bonne bière brune à Gourette, en compagnie des ouvriers poseurs de mines
qui nous ont fait la grâce de nous avertir avant de déclancher chaque
détonation. La-haut ils n’ont pas compris nos injures style capitaine
Haddocq, c’est heureux… La montagne est bien petite…
Mais où sont les portefeuilles d’antan ?