Année 1867 -
[Voir en [1838] les actes de naissance et de décès de Perrine Joséphine Olivier]
Jeudi 14 Mars 1867 – Naissance de Joseph Jean-Marie Ollivier, fils de Perrine Joséphine
Alors là ! le scandale ! Fille-mère, vous pensez… mais où va-t-on ? Père inconnu,
mais c’est quoi ? Fille perdue, va ! On ne veut pas de ça dans la famille.
Tu n’existes pas, non, mieux, tu n’as jamais existé.
Ah, oui, mais ? Et le petit Joseph dans cette histoire où la lubricité le dispute
à l’immoralité au travers des jugements à l’emporte-pièce de certains descendants
directs ou colatéraux ? Il est là, bien vivant et deviendra un fringant capitaine
qui séduira notre blonde Blanche aux yeux bleus et prolongera la lignée Ollivier
avec un petit Robert, lequel….
Nous ne savons pas ce qu’a fornicoté cette arrière grand-mère « qui n’existe
pas » pour certains descendants, mais on doit pouvoir arranger les choses, pense
la part bien-pensante de la famille Froment. Lui ôter totalement la responsabilité
de ce qui lui est arrivé, une ancêtre Ollivier ne peut pas avoir été fille-mère
de son plein gré, avec un père inconnu de surcroît, il doit y avoir autre chose.
L’histoire a-t-elle commencé à être écrite par Perrine elle-même ? Puis
véhiculée par son fils auquel elle l’aurait racontée, en manière d’excuse ?
Une sorte de secret de famille chuchoté à table entre la poire et le fromage ?
Ce fut ainsi que mon père me confia ces secrets de famille, subrepticement,
sans autres détails, me laissant sans voix devant la cruauté du monde. [Il en
fit de même pour me parler du suicide de son père – officiellement mort selon
lui sur le champ d’honneur en 1914 – un suicide est indigne des bons bourgeois,
preuve d’une faiblesse de caractère insupportable, tandis que le champ d’honneur,
quelle gloire !]. Selon la légende à laquelle il semble croire, sa grand-mère,
sans laquelle lui, Robert Ollivier n’existerait pas, aurait été violée après
avoir été chloroformée, et de ce viol serait né Joseph. Qui l’a violée, comment,
où, pourquoi ? Où sont les preuves ? Qui a inventé cette histoire ?
Pour moi la réalité est sans doute beaucoup plus prosaïque, et disons-le,
naturelle, d’une banalité ordinaire et dont sont victimes quantités de jeunes
femmes, aujourd’hui comme hier. Posons comme préambule qu’à 25 ans elle n’allait
pas vivre comme une nonne ayant fait des vœux de chasteté perpétuelle.
Quelles distractions en dehors de la routine minutée des bourgeois qu’elle
servait, sans doute au pair d’ailleurs et devant s’estimer bien heureuse
qu’il en soit ainsi ? Avait-elle seulement des nouvelles de sa famille ?
Des lettres ? Mais comment ? Personne ne sait ni lire ni écrire là-bas autant
qu’ici. Des voyages vers la lointaine Mayenne ? Le train n’est pas à la
portée de sa bourse, une bourse inexistante pour elle qui est simplement
logée, nourrie, et habillée avec les chiffons périmés de la famille bourgeoise,
et a-t-elle seulement droit à des « vacances » ?. Aucun salaire en tout cas.
Une façon de la tenir par force au service de ces bourgeois très bien sur eux
et très méprisants vis à vis des petites gens. C’était le style de l’époque.
Une forme d’esclavage qui se veut civilisée et dont Perrine a été l’une des
innombrables victimes.
A Paris, seule, loin de tout, extraite brutalement de son cocon familial,
ayant quitté une campagne quasiment déserte pour l’enfer d’une grande métropole
grouillante, et pas seulement peuplée d’honnêtes gens, cette campagnarde
analphabète et naïve est une proie facile. Si elle a bénéficié d’une quelconque
éducation de la part d’un père qui savait juste mettre une croix en guise
de nom lorsqu’on lui demandait de signer un document, ce n’est certainement
pas celle qui pouvait la préparer à affronter la vie complexe d’une grande
cité pleine de dangers.
Nous pouvons émettre plusieurs hypothèses sur ce qu’à pu être la vie à Paris
d’une jeune provinciale, brute de coffrage, jusqu’à la naissance de son enfant.
Evacuons tout d’abord ce qui a toujours paru comme une horreur indicible,
un destin inexprimable, pour le père Ollivier (Robert) en particulier, qui
redoutait plus que tout ce destin pour ses filles. Nous n’avons aucune idée
de l’apparence physique et du caractère de Perrine. Etait-ce une belle femme,
avait-elle un physique ordinaire ou était-ce un laideron, était-elle timide,
délurée, bête, futée ? N’aurait-elle pas par hasard était tentée d’arrondir
ses fins de mois, qui n’existaient malheureusement pas, en se prostituant à
la petite semaine, jusqu’à l’accident final qui est advenu alors qu’elle
était âgée de 28 ans et que cela faisait au moins 7 ans qu’elle vivait à Paris ?
Bien malin qui pourrait répondre. N’ayant, apparemment, pas été chassée
par son « employeur », on peut exclure cette première hypothèse. Mais qui
en relance une autre, presque de même nature, et qui rentre dans le cadre
des amours ancillaires. Les jeunes femmes accortes au service quotidien
des gens, aisés ou non, s’exposent à la concupiscence des mâles domestiques.
Et comment y échapper ? Comment échapper au chantage brandi par les patrons ?
Si tu n’es pas compréhensive tu iras chercher du travail ailleurs et
ailleurs ils seront informés par nos soins que tu n’es pas une personne
honnête. Coincée.
Ce peut être le fils de la famille qu’il faut « déniaiser », plutôt que
de le voir courir la gueuse dans les bas-fonds de Paris. Ce peut être le
chef de famille, lassé par une femme sur le retour d’âge et qui ne veut
plus de lui, ou un coureur de jupons qui se prend pour Casanova. Il n’est
pas exclu non plus que Perrine ait eu un faible pour l’un des mâles de la
famille parmi laquelle elle travaillait, la vie est si compliquée !
Maintenant, hypothèse on ne peut plus banale, Perrine avait trouvé un petit
copain qui égayait ses rares moments de liberté. Le « forfait » accompli il
n’a plus fait parler de lui et s’est évanoui dans la nature, laissant la
pauvre Perrine se démerder avec son môme dont elle s’est, semble-t-il,
occupée jusqu’à sa mort, finissant par le reconnaître comme son fils
un an avant son décès.
Enfin, autre possibilité, qui peut paraître étrange aujourd’hui, mais qui
était fréquemment pratiquée autrefois par les gens aisés : ils se payaient
une nourrice. Cest ce qu’a fait Blanche avec son fils Robert durant les
premiers mois de sa vie, elle a loué les services d’une nourrice afin de
« s’économiser ». Ces nourrices étaient généralement bien payées, car rares.
Perrine a peut-être profité de l’aubaine, suite à son « accident », à moins
qu’elle ne l’ait provoqué ? Elle seule aurait pu le dire, avant d’emporter
son secret dans la tombe… pardon, la fosse commune, Où elle fut sans doute
jetée comme un déchet avarié.
Tout cela semble évoquer une vie de rien du tout, presque d’une survie, mais
une vie humaine qui fut le maillon qui nous lie à tous les ancêtres de cette
lignée. Quelles étaient ses qualités ? Qu’aurait-elle pu devenir si elle avait
bénéficié d’une bonne éducation ? L’hérédité n’étant pas un vain mot, une part
d’elle même au travers du partage générationnel des gènes, survit en ses
descendants, dont son arrière petit-fils, si doué pour les sciences. Peut-être
lui doit-il ce don et le respect qui va avec.
Acte de naissance de Joseph Jean Marie, extrait des archives de Paris
Acte 834 – Ce Jeudi quatorze Mars mil huit cent soixante sept, une
heure et demie de relevée, acte de naissance de Joseph Jean Marie, né hier
soir à trois heures, rue Vieille du Temple N° 11, fils de père non dénommé
et de Perrine Joséphine Olivier, âgée de vingt huit ans, cuisinière,
domicilée susdite maison, non mariés.
Le présent acte a été dressé par nous Paul Lemaître adjoint au maire du
quatrième arrondissement de Paris, officier de l’Etat Civil, sur la
déclaration de Adrienne Oury, femme Lefèvre, âgée de 27 ans, sage-femme,
domiciliée susdite maison, sur la présentation de l’enfant en présence
d’Adolphe Lefèvre, âgé de ans, employé domicilié susdite maison et …
Jules …….Pilot, âgé de cinquante cinq ans, garçon de magasin, domicilié
rue de la Cité, n°5, lesquels ont signé le présent acte avec la déclarante
et nous, après lecture.
Suivent 4 signatures.
Samedi 3 Novembre 1883 – Reconnaissance de Joseph Jean Marie (16 ans,
de qui tient-il ce prénom ?) par Perrine Joséphine.
(Ecrit en marge de l’acte de naissance du dit Joseph).
Acte de reconnaissance de Joseph par Perrine Olivier, extrait des
archives de Paris
Par acte dressé en cette mairie, le trois novembre mil huit
cent quatre vingt trois, Perrine Joséphine Ollivier [on vient
de gagner un L] a reconnu pour son fils, l’enfant dont l’acte de
naissance est ci-contre. La présente mention faite le même jour,
par nous Maire officier de l’Etat Civil du Quatrième arrondissement
de Paris.
Signé le Maire
Dimanche 10 Novembre 1884 – Décès de Perrine Joséphine Olivier
à l’hôpital Laennec, pavillon des incurables, section des femmes.
Hypothèses familiales émises à propos de la mort de Perrine.
Elles sont cette fois un peu moins fantaisistes et délirantes
que les supputations politiquement correctes des circonstances de
la naissance de Joseph Ollivier évoquées plus haut par la famille
Ollivier. L’hypothèse d’une mort provoquée par le choléra tient la
route. Mais Perrine aurait pu décéder des suites d’un cancer (sein
par exemple), d’une pneumonie, de tuberculose etc. la faucheuse ne
fait pas le détail, tous les moyens lui sont bons.
La réalité de Laennec, hôpital dans lequel est décédée Perrine.
C'était l'hôpital des "incurables", ceux pour lesquels la médecine
de l’époque ne pouvait plus rien. Un mouroir en fait, avec, pour le
petit peuple seul et démuni, un billet direct pour la fosse commune
anonyme.
Perrine Joséphine Olivier y est décédée le 10 novembre 1884, à 46 ans,
peut-être après avoir contracté le choléra (rumeur familiale peut-être
fondée), lors de l'épidémie de 1884.
Aucune pierre tombale, aucune stèle pour perpétuer le souvenir de
cette grand-mère héroïque, que j’imagine toujours jeune. Il faut
remédier à cet état de fait.
2021 : j’ai fait graver une modeste stèle, mais où la poser ?
Acte de décès de Perrine Joséphine Olivier [établi] le 11 Novembre 1884
Tiré des Archives Départementales de Paris
[Transmis par SP Généalogie], côte 5 Mi3/1180.
Acte Olivier 2164 - L’an mil huit cent quatre vingt quatre le onze
novembre à midi. – Acte de décès de Joséphine Olivier, âgée de quarante
huit six ans, Domestique, née à Montenay (Mayenne), demeurant à Paris,
rue Saint Placide n°21, décédée rue de Sèvres n°42 [l’Hôpital Laennec],
hier matin à une heure ; fille de père et mère dont les noms ne nous sont
pas connus ; Célibataire.
Dressé par nous Ernest Pierre Brouardel, adjoint au Maire, officier
de l’Etat Civil du septième arrondissement de Paris, sur la déclaration
de Eugèe Champeaux âgé de cinquante trois ans, et de Joseph Deshors, âgé
de vingt six ans tous deux employés demeurant rue de Sèvres 42, qui ont
signé avec nous, après lecture
Champeaux Deshors Brouardel
Cet hôpital Laennec, lorsque j’ai visité les lieux en 2010 etait
en cours de démolition.
Tiré du web :
Laennec : la forteresse.
Dans le 7è arrondissement, cet hôpital construit à partir de 1635 est
un témoignage méconnu du Grand Siècle, classé monument historique. Une
enclave de près de 4 hectares, fermée par un haut mur, très dégradée
et déserte depuis 2000. L'architecte Gamard (1585-1659) a édifié un
ensemble formé de deux croix potencées, réunies par une chapelle
ouverte sur une cour d'honneur. Au fil du temps, les vastes salles
voûtées ont été cloisonnées dans tous les sens. Des bâtiments ont
été ajoutés au XIXè et au début du XXè siècle ¬ ils vont être détruits.
Projets pour utiliser l’emplacement de l’hôpital Laennec :
Le premier à intervenir ici va donc être l'architecte en chef
des Monuments historiques, Benjamin Mouton, qui doit rétablir l'aspect
d'origine de ces édifices. En poussant le zèle jusqu'à reconstruire
deux bâtiments du XVIIe siècle, disparus. Une restauration dont le
public ne profitera que très peu.
C'est la société immobilière Cogedim qui a racheté ce morceau de
l'arrondissement le plus cher de Paris, pour plus de 80 millions d'euros.
Elle a présenté son projet le 25 mai (Le Monde du 27 mai). Les bâtiments
classés vont accueillir 20 000 m2 de bureaux. Et 240 logements vont être
créés dans des immeubles reconstruits côté rue Vaneau et rue de Sèvres
par les architectes Valode et Pistre.
"Ces bâtiments reprennent la trame parcellaire des rues pour s'y intégrer
sans heurts et accueillent des commerces en rez-de-chaussée" , soulignent
les responsables de la Cogedim. Mais le mur d'enceinte, classé, sera
conservé et l'accès du parc paysager autour du monument historique sera
réservé aux seuls résidents. Autant dire que, si la reconversion du site
semble prometteuse, son ouverture sur la ville est plus que limitée.
La municipalité a toutefois obtenu que 130 logements sociaux (dont 50 pour
des étudiants) soient inclus dans le programme et que la Cogedim ouvre
un petit jardin public.