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Jean M. Ollivier | all galleries >> Scraps et souvenirs >> Secret pin's >> Dans le secret des Ollivier >> Compilé des meilleurs écrits et récits >> 12montagne > 1er et 3 mai 1964. Accident de Chantal
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1961 jmo

1er et 3 mai 1964. Accident de Chantal

croquis : secteur de la Fonderie, voie "Cima Ovest"
Voie ouverte depuis le bas en 1961 par
Hervé Butel et Jean Ollivier

Vendredi 1er Mai 1964 – Groupe Cima Ovest et Sesto.
Participants : Chantal, Jean, mon frère Pierre, François, Schmull
et une foule d’anonymes.
Véhicules : 500cc RGST (Chantal et Jean), 2 CV (François et Schmull) et autres.

Pendant qu’une grosse collective envahit Sestograd, Chantal
et moi allons au groupe II (la Fonderie ou Cima Ovest), grimper
la Directe dont la sortie est en bon IV+. Nous enchaînons avec
la voie IV+. Ma Chantal est toujours aussi brillante.
Ayant rejoint les autres ( ?) à Sesto je fais la Soupir avec
Pierre mon frère, puis la Super-Verte, suivie de la Dalle du
Myrmidon avec François et Schmull. Une cordée comprenant Chantal nous suit.

Page 449 du Carnet II

Dimanche 3 Mai 1964 – Gourette, Pene Sarrières arête Sud. Accident à Arudy.
Cordée : Jean-Chantal
Véhicule : 500cc RGST

Aucun commentaire dans le Carnet II.

Page 27 du Carnet III

Dimanche 3 Mai 1964 – Arête Sud du Sarrières, Chantal accidentée à Sesto
Chantal-Jean
Autres participants : Nounours, Podevin, Debat ?
Véhicules : 500cc RGST Chantal et Jean), 2 CV (Nounours)

On (c’est qui encore celui-là ??) n’aime pas le bonheur.
Nous partons, Chantal et moi, pour Gourette en moto par une
matinée splendide. Chantal est folle de joie à l’idée de
faire une course en montagne, après tout un hiver à arpenter
les pierriers de Sestograd ou de la Cima Ovest.
Il fait chaud et nous montons sans nous en faire au sommet
du Pène Sarrières. Enfin, façon de parler pour moi, car une
infâme rage de dents me tient compagnie depuis le réveil.
Elle gâche le plaisir de ces instants de bonheur, celui de
fouler les herbes raides de la montagne aux senteurs de
serpolet et de humer l’air vivifiant des cimes. Heureusement
Chantal possède un remède infaillible : une aspirine et de
doux baisers de ma chérie apaisent mes douleurs.
Au sommet, alors que nous cassons la croûte en toute tranquillité
nous apercevons du monde à l’autre bout de l’arête Sud. Zut
! Les ennuis commencent. Nous ne pensions pas si bien dire à ce moment-là.
Les envahisseurs se rapprochent. Il en est un dont la démarche
d’éléphant de mer et la voix éraillée ne peuvent prêter à
confusion : Nounours ! Il est suivi de Mitsou (surnom donné
par Martine Lignac à Michel Podevin) et d’un troisième (sans
doute Debat). Nous estimons qu’ils auraient pu nous informer
de leur balade étant donné la fréquence de nos rencontres et
la proximité du domicile de Nounours du mien, d’un Nounours
qui, jusqu’à présent, n’hésitait pas à venir sonner pour un
oui ou pour un non. Là, rien. Crainte de déranger ? Désir de
s’affranchir du « maître » parfois un peu autoritaire ? Ils
ne s’en sont pas confiés à nous. [Ils auraient mieux faits de
l’écouter le « maître » lorsque, plus tard, ils entraînèrent
une jeune fille et un jeune garçon débutants dans le couloir
Swann à Gavarnie : un mort et des blessés graves ont soldé
leur échec d’inconscients. Eu égard au mort je ne dirais
pas : bien fait !].
En observant leur progression je suis frappé par leur imprudence.
Il font tout et n’importe quoi sans utiliser les moyens d’assurance
de la corde qui les relie. La seule « utilité » de la corde est
que, si l’un d’eux dérappe, il seront trois à bénéficier de son
erreur. Podevin ne change pas. Un fou inconscient à sa manière.
Après qu’ils sont réunis sur le sommet et avec l’échange de quelques
amabilités sincères ou simulées nous convenons de nous retrouver
à Arudy. Pour eux l’arête Sud du Sarrières ce n’est vraiment pas
ça comparé aux « couennes » de Sesto, de la vraie escalade, là.
Et ils en redemandent ! Va donc pour Sesto. Sestograd est comme une
famille pour moi et il n’est de jour ou je ne souhaite prendre de ses
nouvelles et de toucher son roc !
Pour nous, en ce moment, la priorité est l’arête Sud. Pendant que
le trio descend la voie normale du Sarrières nous commençons le
parcours de l’arête Sud. Chantal se débrouille excessivement bien.
C’est moi qui ne suis pas très à l’aise aujourd’hui. Peut-être
le sac sur le dos, les séquelles de la rage de dent ou quoi ? Un
quelque chose me perturbe et je ne me sens pas dans mon assiette.
Prémonition ? bast ! Au diable ce paranormal de malheur. En cet
instant tout se passe bien, la fameuse taillante est franchie en
rigolant. La descente vers Gourette est rapide, et après d’agréables
« culling » sur les névés, souvenirs de l’hiver, et les prairies
à moutons, en route pour Arudy sur notre véloce coursier !
Il fait très chaud dans la plaine. Nous avons gagné 15 degrés au
moins par rapport au sommet du Pene Sarrières. La montée du pierrier
vers Sesto est fatigante. Un petit casse-croûte au bivouac pendant
que l’équipe du Sarrières se démène au-dessus de la voie TS qu’ils
ont parcourue, à l’exception de Nounours qui n’y est pas arrivé.
Ils défrichent à tout-va et buis, broussailles et cailloux volent
en tous sens à qui mieux mieux. Cette énergie dépensée pour améliorer
le rocher est tout à fait louable et fait plaisir à voir.
Et voici comment une connerie survient par la combinaison d’un manque
de lucidité, une trop grande confiance et le hasard d’un compor
tement humain délirant. Attendez un peu pour voir.
Chantal désire grimper la voie TS. Une idée comme ça qui lui traverse
la tête. Comme je constate qu’il y a beaucoup trop d’agitation au-
dessus de cette voie je propose de faire la Super-Verte, de difficulté
équivalente. Nous hésitons. Cette TS semble plaire à Chantal. L’activité
semblant se réduire dans ce secteur, je cède. Faiblesse coupable de
ma part. Nous avertissons les défricheurs de faire maintenant attention.
Mais rien n’y fait. Des salves de cailloux nous encadrent alors que
nous sommes à l’attaque de la voie. Fureur et engueulades salées.
Echanges musclés. Les relations se détériorent nettement. Elles
sont loin les congratulations du sommet du Sarrières !
Du coup j’hésite sérieusement à remonter cette voie. J’ai raisonnablement
peur. J’aurais dû renoncer. Orgueil, fierté, inconscience, vouloir faire
plaisir se mêlent et se renforcent pour que je fonce tête baissée
dans le traquenard. D’autant que là-haut ils se montrent tout à
fai rassurants. Ils ont compris, ils ne bougent plus et nous attendent.
J’attaque donc l’escalade un peu rasséréné et fais relais sous la
cheminée, cheminée que cette pouffiasse de Marie a été capable de
grimper. [Pourquoi ai-je écrit cela à l’époque, même pas mis entre
parenthèses ? Avais-je une dent contre Marie ? Celle d’être tombée
amoureuse d’Hervé et de tenir une attitude un peu goguenarde à mon
égard, feignant de m’ignorer? C’est l’inconscient qui a dû parler.
D’une certaine façon, et au-delà du temps et de la vie qui ont
arrondi bien des angles et poli mes sentiments comme un miroir,
j’ai toujours aimé Marie et je l’aime encore. J’aimerais le lui dire.
Mais je suis trop prudent.]
Je fais venir Chantal. Alors qu’elle commence à progresser j’ai la
vision fugace d’un caillou de taille modeste qui traverse l’air
devant moi en même temps que mes oreilles captent une parole prononcée
sur un air de plaisanterie :
« Caillouuuuuuuuu ».
Je reconnais instantanément la voix de Podevin. Vexé d’avoir été
obligé d’interrompre ses activités qu’il juge d’un intérêt supérieur
il tient là sa petite vengeance innocente, une petite provocation en
même temps qu’un gag. Tu ne voulais plus que j’envoie des cailloux,
tiens, en voilà un dernier. Aussi bête soit-il il jugeait ce caillou
innofensif et pensait qu’il n’atteindrait personne. La dernière fois
il a raté Leire de peu, cette fois c’est touché !
Le cri déchirant de Chantal, comme je ne l’ai jamais entendu, me glace.
Suivent des paroles terribles :
« Jean ! Je n’ai plus de doigt, je n’ai plus de doigt !…
le doigt du mariage !…Maman !… Je ne pourrais plus jour de piano !… »
Fou de rage et de douleur j’empoigne la corde pour aller à son
secours. Le spectacle est horrible malgré sa petitesse :
l’annulaire gauche est écrasé, presqu’entièrement sectionné.
Il pend lamentablement, retenu par quelques lambeaux de
chair sanguinolents.
J’appelle Nounours à grands cris. Pendant qu’il arrive, désescaladant
sa voie en Z fétiche, je fais descendre Chantal jusqu’au sol.
A la vue de la blessure Nounours manque tourner de l’œil.
Quelle que soit l’alternative il faut garder la tête froide
et nous dépêcher au maximun afin de trouver du secours tant
qu’il est temps, pour sauver le doigt dans la mesure du possible.
Premier obstacle, le pierrier. Le traverser avec cette blessure
relève de l’exploit et d’un sang-froid à toute épreuve. Chantal
soutient sa main gauche avec sa main droite et le descend à une
allure record, avec beaucoup de précision dans les gestes,
presque sans aide [d’où l’intérêt d’un entraînement sérieux
– un quidam quelconque serait resté près des rochers en chialant
toutes les larmes de son corps en attendant la civière salvatrice,
mais après combien de temps ?]. Nous arrivons donc à la voiture
de Nounours dans les délais les plus brefs. Auparavant j’ai couru
à la ferme (qui n’a pas le téléphone) pour avoir des renseignements
sur les toubibs du coin, savoir si l’on peut trouver une ambulance,
effectuer les premiers soins etc… Peine perdue
ils ne savent rien ou presque, sauf que le toubib qu’ils
connaissent est absent. Mais il y en a un autre à Arudy,
c’est par là disent-ils en indiquant la direction à prendre d’un
doigt hésitant. Par là ! Sauf qu’il est peut-être absent lui aussi
– vous n’y pensez pas, un dimanche ! Eh oui, le dimanche il ne faut
pas avoir besoin de toubib… Ducon, va !
Nous trouvons assez vite le toubib-qui-reste-chez-lui-le-dimanche
(toubib de service peut-être). Il nous ouvre la porte d’un air
soupçonneux. A la vue de Chantal qui tend sa main ensanglantée
à laquelle pend un morceau de doigt, il s’apitoie et propose
d’effectuer les premiers soins avant qu’elle rejoigne illico
un hôpital ou une clinique. Il commence par une piqûre pour
soulager la douleur qui est devenue intense depuis que l’anesthésie
liée au choc s’est dissipée, et nettoie la plaie avec précaution.
Je manque moi aussi de tourner de l’œil devant le spectacle.
Il maintient le doigt avec une sorte de poupée. Et ne nous fait pas payer.
Et Nounours de lâcher tous les petits chevaux encore disponibles
de sa vieille 2 CV cacochyme. Nous prions le ciel pour qu’elle
n’en profite pas pour tomber en panne. Les emmerdes, c’est bien
connu, accourent en escadrilles… Nounours se prend pour Jim Clark
[Champion F1 de 1963] et prend tous les virages pied au plancher,
au point que la caisse de sa pauvre voiture semble se désolidariser
des roues. Voilà maintenant poindre le spectre de l’accident de
la route, manquerait plus que cela à l’inventaire.
Nous arrivons entier à la clinique Marzet, boulevard d’Alsace-
Lorraine à Pau (elle existe toujours). Nous avons la chance de
tomber sur un chirurgien spécialiste des fractures d’os de très
haut niveau, le Dr. Boutin. Comme tout toubib qui se respecte il
n’y va pas par quatre chemins : à la condition que le bout de doigt
à peine accroché à la main soit toujours vascularisé demain
l’opération de reconstruction du doigt est possible. Première
lueur d’espoir depuis l’accident. Vu le carnage ce chirurgien
nous apparaît comme un magicien bienfaisant. Tout autre que lui
aurait dit : « On coupe et vous rentrez chez vous ». Ça, tout le
monde en est capable. Emu par le membre atteint et la jeunesse de
l’accidentée le Dr. Boutin était prêt à mettre en œuvre tous ses
talents de chirugien. Ce fut un long calvaire de plusieurs mois,
mais le doigt fut sauvé.
En attendant il faut prévenir la mère de Chantal, Jacquie Flouch.
J’ai sans doute mesuré mes mots au téléphone car elle n’est pas
affolée outre-mesure et accourt à la clinique. Elle dira plus tard
que l’état dans lequel elle m’a trouvé lui en a dit long sur les
sentiments que j’avais envers Chantal. Cela lui a paru plus important
que la blessure. Un doigt ? Mais il en reste neuf, voyez-vous. Et
avec un peu de chance celui-là sera récupéré. Tant qu’il y a de la vie…
Je laise enfin ma Chantal en de bonnes mains, mais avec l’horrible
souci du doigt qui rique d’être exécuté demain matin si le sang
n’y circule plus. Je meurs d’inquiétude.
Nous retournons à Arudy Nounours et moi dans sa vaillante petite
2 CV, pour récupérer le matériel et la moto.
Le soir, au pied du lit, debout puis à genoux, je fais une prière,
le plus sincérement que je peux, mais c’est difficile. Ça me rend malade.
Ma prière a sans doute était entendue car le lendemain le diagnostic
est favorable : le bout de doigt est demeuré rouge, donc
vascularisé, donc opérable. On pourra reconstruire une phalange.
Voilà une dure étape franchie…


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