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1974 jmo

1974 - Anfoy pris en charge par les sauveteurs après son accident au col d'Amoulat 2437 m

http://www.pbase.com/jmollivier/sanctus76
Deux ans après cet accident de ski Anfoy
gravissait courageusement à ski le pic Sanctus
au-dessus de Gourette.

Récit de l'accident

Dimanche 28 Avril 1974 – Tentative de traversée à ski Gourette – Eaux Bonnes.
L’accident de François sous le col d’Amoulat
Equipe : François et Jean jusqu’à l’accident.

Hier donc, au cours de nos descentes de Pene Blanque nous avions évoqué la possibilité de rejoindre les Eaux-Bonnes depuis le col de l’Amoulat, en laissant une voiture aux Eaux-Bonnes pour retrouver celle qui nous aura amenés à Gourette. Fantastique dénivelé ! Et découverte d’une région encore inconnue de nous. Et va donc pour cette expédition !
C’est devenu de la routine pour atteindre le col de l’Amoulat. De là rien que de la descente sur des terrains vierges à l’exception de quelques traces, nos anciennes traces du 21 Avril dernier. Nous sommes chez nous ! Pistes privées. Curieusement personne n’a l’idée de venir skier par ici. Peur de se perdre, peur du temps nécessaire pour regagner Gourette, peur de l’inconnu car ici rien n’est balisé et les secours en cas de problème sont bien loin. Laissons les moutons là où ils sont.
Le temps est moins beau qu’hier. Le soleil s’est caché et lorsque nous parvenons au col le brouillard l’a déjà encotonné ainsi que les sommets environnants. Un temps triste, une neige un peu lourde. Nous hésitons un moment. Renoncer ? Pourquoi donc, nous sommes certains que nous allons traverser la couche de nuages et trouver plus bas des conditions plus clémentes. La voiture nous attend à Eaux-Bonnes, ne la faisons pas lanterner.
François est rapidement ski aux pieds pour la descente. Il lui tarde d’expérimenter ses skis équipés « de neuf » avec les nouvelles fixations, et il est pressé de sortir de ce brouillard oppressant et de partir à l’aventure. En général c’est moi qui ouvre la trace et évalue le terrain. Anfoy plonge dans la pente très raide située sous le col et disparaît de ma vue en quelques instants. A peine suis-je moi-même prêt à affronter la descente que j’entends un claquement sec, semblable à celui d’une branche qui se brise. Première idée qui me vient à l’esprit : zut ! il a cassé un ski, la balade est à l’eau. Sans imaginer un instant qu’il y ait pu se passer autre chose. Voilà ce qui se passe avec ces vieux skis datant du siècle passé. A pied dans cette neige lourde et profonde le retour à Gourette menace d’être une sacrée corvée. Un cri lugubre coupe court mes pensées bassement utilitaires : « Je viens de me casser la jambe ! Viens vite ! » Venant de la part d’un toubib le diagnostic est sûrement vrai et il me glace littéralement. Déchaussant mes skis je cours le rejoindre. Il est couché sur le dos, la tête en bas, les skis coincés dans la neige au-dessus de lui. L’une de ses jambes fait un angle bizarre avec sa chaussure. C’est manifestement un tibia fracturé, blessure classique lors des accidents de ski, et toujours redoutée. Après Cécile voilà Anfoy qui rejoint le club. Le ski est un sport dangereux disait notre ami Francis qui évoluait en escalade dans l’extrêmement difficile. Dont acte.
Première urgence, détacher les skis tant que la souffrance n’est pas trop installée, car déjà François grimace, respire vite et étouffe des gémissements de douleur. L’affaire est vite expédiée. Je cale François tant bien que mal dans un trou de neige, le recouvre de tout ce que j’ai de chaud dans le sac. Heureusement il y a un duvet – téméraires mais pas fous nous étions. Ce duvet, si souvent transporté pour pallier un tel problème trouvait là son utilité, car après un choc pareil l’hypothermie s’installe.
Mais ce n’est pas tout, loin de là. Il faut alerter les secours le plus vite possible. Pas de portable évidemment et la première station habitée (la station intermédiaire des œufs) est à des km. Il faut que je la rejoigne au plus vite avant qu’elle ne ferme et ne soit désertée. Le brouillard s’est épaissi, ainsi que la couche nuageuse supérieure car il fait sombre et tout devient gris uniforme. Le manque de visibilité est tel qu’il est impossible de voir les obstacles sur la neige, de discerner le sol, le bas du haut. Il n’y a plus un chat sur les pistes. Les bruits mécaniques de la jonction supérieure des œufs se sont arrêtés. Le temps presse. Je me dois de foncer le plus vite possible, en évitant si possible de me fracturer un membre à mon tour. On a peine à imaginer ce qu’il serait advenu si une telle hypothèse s’était réalisée. Mais elle est dans ma tête et je redouble de prudence tout en pensant au pauvre Anfoy, seul là-haut, souffrant l’enfer, autant moral que physique. Je skie comme un crapaud, sautant prudemment de bosses en trous, abusant du chasse-neige, évitant les ressauts trop raides, si tant est que je puisse les discerner. Le jour baisse dangereusement.
Lorsque j’atteins la station intermédiaire, encore éclairée, les employés sont en train de procéder aux opérations de fermeture. J’arrive donc in extremis. Avoir un peu de chance dans toute cette misère n’est pas un luxe. Car, si cette station avait été fermée, à quelle heure serais-je arrivé à Gourette ? Il aurait fallu rapatrier les sauveteurs dispersés entre la station et la vallée. Et de là à remettre les opérations de sauvetage au lendemain…
Grâce au téléphone l’alerte est vite donnée, Dieu soit loué. Il faut bien sûr attendre que les sauveteurs et le traineau parviennent à la station intermédiaire. Cela paraît long, très long. Une fois qu’ils sont sur place, conciliabule, calé sur les informations que je leur fournis. Le plus rapide consiste à faire monter à la station supérieure des œufs les hommes et le matériel et refaire le parcours réalisé ce matin par François et moi. Je servirai de guide.
L’affaire est rondement menée. J’ai du mal à suivre, dure journée. Nous retrouvons le pauvre François recroquevillé de douleur dans son trou de neige, visage blême et crispé. Que le temps a dû lui paraître long. Mais il n’en dit rien. L’un des CRS sauveteurs lui offre du café chaud extrait d’une bouteille thermos pendant qu’un autre s’active pour insensibiliser la fracture au moyen d’une piqûre idoine, indispensable car le retour va être rude. François est ensuite harnaché sur le traîneau de secours,
Dans un premier temps le traineau et son infortuné passager sont hissés jusqu‘au col d’Amoulat à l’aide d’une longue corde, ce qui met le blessé dans une position quasi-verticale, la tête vers le haut et le poids du corps compressant les jambes. Sans antalgique puissant les souffrances auraient été insupportables. François m’avoua par la suite qu’il avait pas mal dégusté malgré tout. Pour le moment il ne dit rien.
A partir du col c’est la descente infernale vers Gourette. Le traîneau, guidé par deux sauveteurs, possède son propre système de freinage. Comme il est hors de question d’effectuer des traversées en pente raide, le traîneau risquant de se retourner, toutes les pentes, quelle que soit leur raideur sont descendues directement. J’ai un mal fou à suivre la cadence. Des couloirs plongeant abruptement ne sont même pas négociés, alors que sur mes petits skis sans freins je suis obligé d’effectuer traversées et dérapages sur une neige devenue infecte. La fatigue me gagne.
Fort heureusement tout le monde atteint sain et sauf la station intermédiaire à nuit tombée. L’installation des œufs est remise en route pour ramener tout le monde à la station. Instants de relaxation pour moi, instants de terreur pour François, suspendu en l’air dans son traîneau, à ne plus savoir où il est. Seul avantage les secousses du terrain ont disparu. Son esprit vacille entre douleur et fatalité. Il s’endort.
Et se réveille dans la lumière blafarde du poste de secours de Gourette. Le toubib de service, irrité d’avoir été dérangé en plein dîner – on n’a pas idée de skier à pareille heure – se contente de poser quelques questions bâteau à la victime et est surtout très soucieux qu’il exhibe sa carte du CAF ou tout autre titre afin de couvrir les frais engagés lors des secours. Nous voilà retournés dans le système sans état d’âme. A moitié mort sur son lit de douleur l’accidenté doit justifier quoi qu’il en soit et quoi qu’il en coûte qu’il est un bon citoyen. Sinon quoi ? Avais-je envie de dire à cet avatar sorti de nulle part. En France les secours en montagne sont gratuits, gratuits car c’est l’état qui paye [un président le dira stupidement 30 ans plus tard].Il ne faut pas confondre accident de montagne et accident en station.
La carte est retrouvée, tout le monde est content, sauf la victime bien entendu. Une ambulance est dépéchée pour rapatrier le blessé dans une clinique de Pau afin d’examiner la fracture au plus vite. Et allez pour des km de route virageuse. Manquerait plus un accident de la route pour compléter le tableau de cette journée de merde.
Mais le plus dur reste à faire. Avertir le Foufouland et Anne, l’épouse de François, pour laquelle la montagne, le ski et tout ça ne sont pas en odeur de sainteté. Quels furent ses seuls mots, sur l’air du désespoir : « Qu’est-ce que je vais devenir ? ». Je lui aurais annoncé la mort de François qu’elle n’aurait pas dit autre chose. Quant à savoir s’il avait souffert, dans quel état il se trouvait présentement, s’il était possible de faire quelque chose pour lui, rien. Cri du cœur qui veut tout dire. Qui peut se comprendre malgré son égoïsme assumé.
Je dois rendre hommage à François qui, une fois remis sur patte, a eu le courage de reprendre avec moi des randos à ski fameuses, avec de bonnes fixations et de bons skis cette fois. Puis le temps faisant son œuvre, les enfants grandissant, une propriété à aménager, la distance, le poids des ans, Anfoy résista jusqu’en 1978 puis lâcha prise en douceur, persuadé que ce n’était plus de son âge. Ainsi me surprit-il un jour, en désignant mon matériel de montagne et me posant la question qui tue : « Tu l’utilises toujours ? ». L’Anfoy d’autrefois n’existait plus. Ainsi va la vie. Tout a une fin.


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