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Jean M. Ollivier | all galleries >> Scraps et souvenirs >> Secret pin's >> Dans le secret des Ollivier >> Compilé des meilleurs écrits et récits >> 12montagne > 1966 Maudite Dyna et l'hospitalité légendaire des Ollivier de Cannes- En route pour les Dol. Récit.
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1966 jmo

1966 Maudite Dyna et l'hospitalité légendaire des Ollivier de Cannes- En route pour les Dol. Récit.

Photo : La Dyna et Bruno (3 ans)

On peut dire qu'elle nous en a "fait voir" au cours du voyage de cet été 1966,
voyage de noce qui plus est. https://pbase.com/jmollivier/image/173997616

Belle en apparence, mais pourrie de l'intérieur, trop vieille, trop usée, elle
va s'ingénier à nous démontrer que tout ce qu'on lui demande n'est vraiment plus
"de son âge".
Il était prévu de traverser la France du Sud jusqu'au massif alpin de Chamonix
pour y faire un court séjour, avant de parcourir la Suisse et l'Italie du Nord
jusqu'aux massif des Dolomites
Voyage donc, rendu possible grâce au « cadeau » de mon père, une vieille Dyna
Panhard, modèle qui n'est plus fabriqué depuis des années.
Sièges fixes, donc difficile de dormir dans la voiture. Mécanique légère et très
fatiguée, ce qui nous a contraints d'emporter un véritable atelier dédié à la
mécanique auto. Lequel, nous le verrons plus loin, ne suffira pas. Car, quel
optimisme joyeux que de vouloir aller visiter les mythiques dolomites à près
de 2000 km de chez nous dans cette ruine roulante - roulante oui, pour le moment !
Mais avant de visiter les si désirées Dolomites, le voyage devait nous conduire
à Chamonix afin de soutenir le moral de notre ami Hervé. Passionné de montagne
et désireux d'être guide il présentait cette année le concours d'entrée à l'ENSA
(Ecole Nationale de Ski et d'Alpinisme).
Après Chamonix rendez-vous avait été pris avec le père Ollivier, au Breuil en
Italie, ou à Zermatt en Suisse, pour gravir le Cervin. Il n'avait pu réaliser
cette ascension pour des raisons diverses et elle lui tenait à cœur. M'est avis
que le "cadeau" de la voiture n'était pas si innocent que cela.
Le début du voyage de Pau à Chamonix se passe sans encombres, tout va bien.
Ce qui permet de nourrir les plus grandes espérances quant au long voyage
projeté jusqu'aux Dolomites.

Départ donc le mardi 26 juillet 1966 de
bonne heure, de notre logement provisoire
à Pau, 19 rue Bayard.
Arrêt pique-nique au Mas d'azil dans l'Ariège, dont nous visitons
le site. La route nous conduit ensuite à Belmont, en Auvergne (Loire),
l'auto ronronne paisiblement.
Le lendemain nous traversons les superbes gorges du Tarn, visitons l'Aven Armand
et allons déjeuner sur les plateaux des Grands Causses, magnifiques et
désertiques. Une longue route très accidentée nous conduit ensuite à
Voiron (Isère). La voiture semble en pleine forme, c'est nous qui sommes fatigués.
Le jeudi 28 juillet nous visitons l'admirable région de Chambéry, Aix-les Bains
et Annecy (lac du Bourget et lac d'Annecy) dans laquelle nous trouvons un coin
idéal de camping sauvage dans une forêt digne des schtroumpffs. La voiture est
toujours docile, vaillante et semble prendre plaisir à rouler.
Le 29 juillet nous sommes à Chamonix et nous prenons le temps d'explorer
la région car nous ne savons pas où Hervé a atterri. Visite de Vallorcine
et camp posé au col des Montets (1461 m), non loin de la frontière avec la Suisse.
Samedi 30 Juillet les grosses emmerdes mécaniques commencent et ne
nous quitteront plus jusqu'au retour, le 7 septembre. En descendant
le col des Montets vers Chamonix les freins lâchent ! Moment de panique.
Horrible panique est-il indiqué dans les notes de l'époque. Entre frein
à main et frein moteur, à vitesse réduite, j'arrive à gagner Chamonix.
Les garages sont fermés, c'est samedi. De plus notre maigre budget (1000
francs de l'époque, environ 150 €, pour vivre un mois et parcourir
4 à 5000 km) ne nous permet pas de faire des folies. Et pourtant les
freins... Un premier incident survenu quelques jours avant le départ
(6 juillet) m'avait pourtant alerté : au retour d'une escalade à
Arudy (ouverture du Dièdre Rayé) avec Chantal et François, dans
la descente d'un chemin étroit qui nous ramenait au Foufouland
[ http://www.pbase.com/jmollivier/foufouland ], nous nous sommes
trouvés face à face avec un furieux
qui montait la côte à tout berzingue. Les freins n'ont pas répondu
tout de suite et le choc frontal quoique bénin plia le capot de la
voiture. Une fois le circuit de freinage vérifié, une durite changée
et le capot remplacé (par le capot d'une Dyna encore plus vieille
achetée à un ancien copain de collège, Henri Abadie), tout semblait
correctement fonctionner. Et ce d'autant plus qu'au cours des trajets
effectués avant le grand départ (Arudy, dune du Pyla où nous avions
accompagné François et Minnie Daste (Anne) pour y passer la nuit les
10 et 11 juillet) rien de notable ne s'était passé. La voiture, la Dyna,
roulait, tenait formidablement bien la route et même freinait ! Ce souci
de freins défaillants était donc évacué. La suite nous a montré qu'on
ne perdait rien pour attendre...
Le territoire snob et touristique de Chamonix ne se prêtant pas à la
mécanique en plein air, je décide de remonter au col des Montets pour
réparer moi-même. Le coin
que nous avions choisi le soir précédent pour camper est tranquille,
l'herbe moelleuse. La réparation s'avère difficile mais le résultat
est là : les freins fonctionnent à nouveau..
Aussi sec nous redescendons à Chamonix pour les tester, et accessoirement
pour chercher à nouveau Hervé et Renée sa fiancée. Nous finissons par
les retrouver.
Nous allons ensuite dormir au Bois des Praz, près du torrent l'Arveyron
(issu de la Mer de Glace), au milieu de sympathiques petits sapins.
Le lundi 1er Août nous laissons la voiture dans un garage de Chamonix
pour vérification des freins et éventuellement renforcement de ma réparation.
Deux précautions valent mieux qu'une dorénavant !
Nous récupérons la voiture dans la soirée, en principe bien réparée.

Mercredi 3 août, devant le temps incertain peu propice aux balades en
montagne nous décidons d'aller à Martigny, en Suisse, de l'autre côté
du col des Montets. Nous transportons Mendola, l'alpiniste qui a réussi
la voie Bonatti aux Drus, Danielle (la sœur de Monique Gautreau) et
Renée Cazaurang la fiancée de Hervé. Aux inconscients les mains pleines :
ah s'ils avaient su dans quel cercueil roulant ils avaient embarqué !
L'inconscient c'est aussi le conducteur de cette épave, très sûr de ses
réparations.
Nous rentrons à Chamonix le soir sous la pluie. Personne n'est mort !

Devant le mauvais temps persistant, et pour respecter la date du
rendez-vous avec les Ollivier de Cannes (Robert et Maïky), nous partons
le lendemain 4 août et campons sous le col du Petit Saint-Bernard.
Titine galope comme une reine.
Néanmoins j'estime qu'un examen approfondi de la voiture s'impose avant
de partir pour l'Italie. Tout a l'air d'aller bien. Ou alors la fieffée
mécanique cache bien son jeu. L'Italie est atteinte relativement vite
après avoir franchi le Petit Saint-Bernard le 5 août. Nous visitons
Courmayeur et le Val Veni. Passons à Aoste et arrivons dans la soirée au
pied du Cervin, dans la station du Breuil (ou Breuil-Cervinia). C'est le
lieu où nous avons rendez-vous avec Robert et Maïky, dans un jour ou deux.
Ce qui nous laisse le temps d’arpenter l’immense et interminable vallon
jusqu’au col proche du Cervin et qui domine Zermatt (col de Furggen , 3273 m),
Bonne mise en jambes pour les projets futurs !
Il faut noter que jusqu’au Breuil la voiture s'est faite oublier et a obéi
à son maître au doigt et à l'œil. Il semble que l'on a définitivement conjuré
le mauvais oeil.
Nous repartons du Breuil le 8 août en compagnie de Robert et Maïka qui
nous devancent dans leur Taunus jusqu'au Lac Majeur, à Stresa, d'où nous
visitons les îles Borromées le lendemain 9 août. Tout baigne. La Dyna
suit vaillamment la Ford Taunus de 15 ans sa cadette. Mais là tout se
complique. Après avoir quitté le Lac Majeur dans la soirée pour Domodossola,
petite ville du Piémont, la route est rendue d'autant plus pénible que
la voiture se met à faire un bruit suspect qui ne la quitte plus.
L'anxiété gagne alors ses passagers. Qu'est-ce qui va lâcher ? Et quand ?
La voiture arrive sans encombres le 10 août à Saint-Nicolas, dans
la vallée de Zermatt. Le soir au camping, cependant, je m'astreins
à faire de la mécanique, pour découvrir la cause du bruit incongru
qui trouble la sérénité des pauvres voyageurs trimballés dans ce
carrosse de fée Carabosse. Miracle, j'en découvre la cause et répare
ce qui aurait pu être le motif d'un retour prématuré à pied, en train,
en stop, que sais-je, avec l'abandon de la plupart de nos affaires.
Ouf ! Mais c'est au prix d'une soirée passée à ramper sous la voiture,
dans l'herbe humide, avec en prime du cambouis partout et réfractaire
au nettoyage. Heureusement le temps se maintient au beau, comme il le
fut pour l'ascension du Weisshorn (voir : http://www.pbase.com/image/26806049 )
La suite du voyage en Suisse se passe bien, hormis un temps exécrable.
Qui n'a pas l'air d'incommoder la Dyna, que nous croyons naïvement
remise de ses petits déboires "de jeunesse". En avant toute !
Nous restons dans le Val d'Anniviers jusqu'au 15 août, date à laquelle
nous rejoignons le col de Bellegarde dans les Alpes bernoises, à 1509 m,
dans le brouillard et la pluie.
Le lendemain nous roulons jusqu'à Grindelwald, joli patelin, pour faire
des courses. Continuons par Lautherbrunnen toujours sous la pluie et
passons un col assez difficile, le Gusten Pass. Nous essayons d'aider
un automobiliste en panne. Ce n'est pas un trait d'humour.
Nous rejoignons Andermatt dans la nuit et le brouillard. Dormons dans
la voiture sous le col du Saint Gothard (2108 m). Froid terrible, il
neige. Les conditions météorologiques nous font faire du souci. Nous
avons oublié la voiture et les éventuelles pannes qu'elle pourrait
nous réserver.
Mercredi 17 Août
Passage du saint-Gothard. Un petit bruit dans la voiture semble provenir
du compteur de vitesse. Il cesse au bout d'un moment. Courses à Bellinzona
(238 m, dans le Tessin).
Vers midi nous passons la frontière à Chiesa (Come). Douaniers tatillons.
Nouveau petit bruit inlocalisable dans le moteur. La route longe le lac
de Come qu'on imagine magnifique et qu'on ne voit presque pas étant donné
les trombes d'eau qui nous tombent dessus et les nappes de brouillard qui
enveloppent le paysage. Pluie. Pluie. Pluie. Déjeuner à 18 h (!) sous le
col d'Aprica (Lombardie, 1181 m). Vidange de la voiture. Recherche sans
succès de la cause du bruit anormal dans le moteur. En poursuivant la route
apparaît un nouveau bruit inquiétant, provenant toujours du moteur et
semblant couvrir le bruit précédent. A moins que les choses ne s'aggravent...
Je roule de nuit et passe par Edolo (638 m, province de Brescia en Lombardie).
Nous dormons dans la voiture sous le col de Tonale (1884 m, entre
Trentin-Haut-Adige et Lombardie) à Ponte di Legno (1200 m) dans le Val
Camonica de la province de Brescia, près d'un tas d'ordures.

Jeudi 18 Août
Arrivée sans histoire sur des routes magnifiques à Madonna di Campiglio
(1522 m) dans les Dolomites de Brenta après avoir passé le Passo Campo
Carlo Magno (1682 m). Madonna di Campiglio, la perle des Dolomites, avec
des montagnes formidables tout autour paraît-il. Il pleut, il fait froid,
il y a du brouillard. Les vitres de la voiture sont embuées. Nous visitons
néanmoins le patelin. Les gens sont emmitouflés comme en hiver. Bonnet de
laine, anorak rembourré, cache-nez, et même gants !
Nous décidons de revenir au Passo [je n'ai pas noté la raison]. En plein
milieu de cette route de montagne très fréquentée, accidentée, étroite,
ne disposant que d'un nombre restreint de zones de stationnement, le câble
de l'embrayage se rompt ! Aucun bruit suspect n'a annoncé la catastrophe
cette fois-ci. Je me gare comme je peux sur un emplacement exigu encombré
de voitures et de touristes. Nous voilà en panne au bord de la route !
Difficile, voire impossible de réparer sur place, pour le moment.
En attendant que le flux de touristes se résorbe nous allons faire un tour.
Repérons un camping. Enfin, dans la soirée, le calme étant revenu, les
touristes rentrés chez eux, je peux attaquer la réparation. Entre deux
averses. Voiture levée sur deux cricks et moi sur le dos rampant dessous,
sur un sol humide. Ah les belles vacances ! Mais la réparation réussit et
la voiture redevient "conduisible". Quelle joie cette petite victoire contre
cette adversité. Car, perdus sur une route de montagne, loin de toute
cabine téléphonique (existaient-elles ?) et quand bien même, comment
expliquer notre cas à un garagiste italien sans parler l'italien. Grosse merde.
Nous retournons vers Madonna et trouvons un emplacement convenable pour enfin
dormir sous la tente et non recroquevillés dans la voiture dont les
dossiers des sièges ne sont pas rabattables.
Vendredi 19 août
Après quelques courses à Madonna di Campiglio nous gagnons le lac de Molveno
(864 m), l'un des plus beaux lacs des Dolomites au cœur du massif de
Brenta (Crozzon di Brenta, Torre di Brenta, Cima Sella, Campanile
Basso etc). Apercevons le château de Belfort (XVIème). On tourne en
rond à Mezzolombardo (226 m) en suivant les déviations
causées par les débordements de l'Adige qui ont provoqué de
graves inondations. Il pleut toujours. Et c'est sous
la pluie que nous arrivons de nuit à Bolzano. Là aussi les inondations
nous font faire moult détours et nous nous perdons dans la ville. Quand
enfin nous trouvons la sortie on nous apprend que la route est kaputt.
Celle de Fiè Allo Sciliar (880 m) est praticable. Après quelques kilomètres
nous nous arrêtons sur le bas-côté et dressons la tente sur l'herbe humide
dans un terrain saturé d'eau.
Le cap des 2000 km est franchi. La voiture roule encore, elle freine
et débraye toujours et nous prions St Christophe que mes réparations
tiennent. Cependant des bruits nouveaux se sont faits entendre, semant
l'anxiété dans l'équipage. La voiture n'apprécie ni la montagne et tous
ces cols, ni la pluie continuelle. Elle gémit de toutes parts, grince,
hoquète, crie qu'elle n'en peut plus. Un grincement continu pareil à un
gémissement sort en effet du bloc moteur ou de sa périphérie immédiate.

Samedi 20 Août
Nous avons passé une bonne nuit réparatrice dans l'herbe mouillée de ce
bord de route tranquille. Le temps reste menaçant. Depuis le Val
d'Anniviers le bilan du voyage est plutôt négatif. Ce fut un tunnel de
pluie, nuages, brouillard, agrémenté d'ennuis mécaniques et de pays
inondés. Nous n'avons rien vu de ces Dolomites que je désirais tant
connaître et parcourir. Et qui se cachent obstinément. En outre la
voiture nous préoccupe beaucoup. Et il y a de quoi !
La conclusion s'impose d'elle même : il faut rentrer.
Nous retournons à Bolzano et de là prenons la direction de Vérone où
nous retrouvons les autoroutes du Nord de l'Italie, déroulant leurs
rubans rectilignes sur un sol enfin plat. La route se poursuit sans
encombres jusqu'à Milan, puis T
urin traversée à la nuit sans trop nous perdre. Après Turin nous prenons
une bretelle pour aller planter la tente au bord d'une route secondaire.
Un endroit favorable n'est pas facile à trouver sous "l'obscure clarté
qui tombe des étoiles"'. Il faut dégager à grands coups de coupe-coupe
(l'atelier transporté dans la voiture est très complet !) un replat
confortable en contrebas de la route. Tout l'art de mettre un environnement
hostile à son service. Y a-t-il aujourd'hui, dans nos pays, beaucoup de monde
qui défriche l'endroit où il va passer la nuit ?
Assez confortablement installés dans la tente nous pouvons envisager la suite
de la route vers notre chez nous avec un optimisme raisonnable. La voiture
a bien fait quelques manières pour monter les vitesses sur l'autoroute, mais
une fois la quatrième enclenchée (il n'y a que 4 vitesses sur la Dyna), la
route a défilé sans a-coups. Nous serrions les fesses néanmoins, à l'affût
de tout nouveau bruit suspect. Les autres font partie du décor sonore de la
randonnée. Sans dépasser la vitesse raisonnable de 100 km/h nous avons
parcouru aujourd'hui 500 km. Les Dolomites sont maintenant loin derrière
nous. Les Dolomites, quelles Dolomites ? Nous n'en avons rien vu. Déçus
mais optimistes quant à nos chances de rentrer chez nous dans cette
charrette récalcitrante, chargée de toutes nos affaires et souvenirs, nous
nous endormons du sommeil des justes.

Dimanche 21 Août
Il est noté sur le carnet de voyage ramené de l'épopée qu'aujourd'hui c'est
la fête de Jeanne de Chantal, donc de Chantal. Puisque c'est noté, nous
avons dû la fêter. Mais a-t-on pensé à le faire au cours de cette journée
maudite qui s'annonce ?
Tout va bien au début, mais une fois que la voiture est bien réveillée
monte de sous le capot avant une cacophonie à nulle autre pareille, un
concert de bruits disparates qui vont en s'amplifiant pour aboutir à un
point d'orgue terrifiant, matérialisé par une série de chocs violents qui
immobilisent la voiture. Je réussis à trouver le point mort, ce qui permet
au moteur de continuer à tourner. Considérant que c'est là un caprice
de plus de cette mécanique rebelle et non l'aboutissement d'un épuisement
total de la-dite mécanique, je mets en prise en première et redémarre.
La seconde passe aussi sans grincer. Sauvés ! Las, impossible d'accrocher
la troisième ou la quatrième malgré tous mes efforts et les prodiges de
tendresse, puis de cris de colère qui s'adressent à la voiture qui fait
la sourde oreille. C'est bien la boîte de vitesse qui est en cause. Il
doit y avoir une de ces salades là-dedans... Nous pouvons avancer, mais
tellement lentement, autour de 25 km/h, que nous devenons un obstacle
mobile sur la route. Nous sommes un dimanche du mois d'août avec grande
circulation. D'immenses bouchons se forment, malgré toute ma bonne volonté
pour laisser passer les véhicules qui nous suivent. Les insultes en langue
étrangères, italienne et allemande, pleuvent... Parce qu'ils croient sans
doute que nous roulons volontairement à vitesse réduite pour admirer le
paysage. Et accessoirement pour les emmerder. Du calme...Et il nous en faut,
car bientôt seule la première vitesse daigne entraîner la voiture. Notre
dernière cartouche. Vitesse de pointe, à éviter le plus possible : 15 km/h.
Vitesse de croisière : 10 km/h. Un vélo va plus vite.
Nous parvenons sans trop y croire au tunnel du col de Tende (1321 m - 1280 m),
qui nous évite de passer par le col (1871 m). Ce tunnel nous surprend
beaucoup [je n'en ai pas donné les raisons dans mes notes de l'époque].
Nous descendons maintenant vers la FRANCE ! Et vers Cannes, chez mon
père, où nous espérons que la Titine pourra se refaire une santé et nous
itou. L'espoir fait vivre comme on dit, et nous pensions, sans optimisme
béat, que la solidarité familiale nous aiderait à vivre une fin de voyage
un peu moins morose.
La voiture descend en "roue libre" c'est à dire au point mort. Pas de
frein moteur (on ne peut imaginer descendre en première !). Nous
dépendons entièrement de ces satanés freins qui nous ont déjà joué
des tours. Et mécaniquement, descendre au point mort... est mortel
pour la boîte de vitesse. Accessoirement pour les occupants. Pas le choix.
A la sortie du tunnel nous nous arrêtons pour fêter l'évènement,
et sans doute aussi la fête de Chantal, par un bon repas.
La route continue à descendre jusqu'à Tende (815 m-552 m) que nous
visitons. Une galère ayant remplacé l'autre, elle a laissé à la météo
le soin de s'améliorer ; et puis nous arrivons dans le Sud-Est de la
France où "il ne pleut jamais" selon mon père. Hormis quelques ruelles,
Tende ne nous charme pas. Nous allons alors faire un tour dans les
environs et parcourons ainsi pas mal de km.
Nous avions décidé de passer la fin de la journée dans les environs
de Tende car nous avions assez donné aujourd'hui en tant qu'obstacle
routier mobile, objet de la haine vindicative et des injures des automobilistes
du dimanche qui venaient de découvrir qu'il pouvait exister des
conducteurs encore pires qu'eux-mêmes. Décision fut donc prise de
partir très tôt demain matin, un lundi, afin d'être plus tranquilles (!)
sur la route.
Nous dénichons un bon endroit de camping, seulement un peu perturbé
par l'intense circulation du dimanche soir, que nous espérons plus
réduite au cours de la nuit.
Réalisant que nous avons pu parcourir plus de 1000 km depuis le premier
bruit vraiment inquiétant, nous n'en revenons pas. Nous invoquons la
chance pour expliquer ce miracle ! Un comble. Et nous pensons naïvement,
qu'ici en France, non loin de Cannes, il ne peut plus rien nous arriver,
que nous serons secourus en cas de panne définitive. Nous ne nous
faisions en l'occurence aucune illusion : la panne définitive de cette
mécanique exténuée était vraiment envisagée, objectivement. Pauvres
de nous. Nous n'avions pas encore réalisé dans quel monde minable nous vivions.
Repas du soir serein, devant la tente, l'âme soulagée, face à un horizon
immense et bien dégagé. Tel que nous imaginons notre horizon à nous.

Lundi 22 Août
Lever tôt. Ce n'est pas "l'horaire Weisshorn" (voir le carnet de voyage)
mais le soleil dort encore lorsque nous lançons notre vaillant mais
néanmoins éclopé coursier dans la pente, en roue libre, le pied prêt
à bondir sur le frein. A Tende les douaniers dorment encore et la frontière
est ouverte, sans contrôle. Schengen avant l'heure ??
La route emprunte des gorges sauvages, traversées sous "une clarté
crépusculaire". Et, à un train de sénateur, sans oser y croire, nous
arrivons à Menton, au bord de la mer Méditerranée.
La Moyenne Corniche, aux perspectives sublimes encore magnifiées par
la lumière du jour naissant, nous amène tranquillement à Cannes où nous
sortons du lit le père Ollivier et Maïky, les Ollivier de Cannes comme
nous les appelions, très étonnés de nous voir débarquer chez eux et
d'aussi bonne heure de surcroît. Paranos comme ils sont c'est tout juste
s'ils ne croient pas à un complot ! Le moins que l'on puisse dire est
qu'ils ne sautent pas de joie en nous voyant et surtout en apprenant la série
de déboires auxquels nous avons été confrontés.
Faut-il dire, que lorsque nous nous sommes quittés dans le Val d'Anniviers
il y a huit jours, ils avaient, par politesse, suggéré la visite à Cannes
comme une option sur notre trajet du retour, après les Dolomites. De notre
côté nous avions rangé cette option dans le placard des choses facultatives,
à ne faire qu'en cas de nécessité absolue, Cannes étant un concentré de tout
ce que je déteste. La nécessité absolue s'est imposée et c'est en visiteurs
intéressés voire même opportunistes, avouons-le, que nous venons ici.
Un premier contact est pris avec le garage du coin.

Mardi 23 Août
Programme de la journée tout trouvé : la mécanique. Mon atelier portatif va
pouvoir faire, une fois de plus, ses preuves. Mais où installer la voiture ?
Dans la marina ? Impossible, pour des raisons de sécurité paraît-il. Dans la
rue contiguë à l'
immeuble de l'appartement des Ollivier de Cannes ? La honte, impossible.
J'avise alors la cour intérieure de l'immeuble. Un peu ventée et en partie
ensablée (parfait po
ur la mécanique), mais ainsi l'épave sera à l'abri des regards des bien-
pensants et autres richissimes cannois (Henri Salvador est un voisin et
joue fréquemment à la pétanque sur une petite place ombragée non loin de là).
Alors des gueux couverts de cambouis s'affairant autour d'une vieille
ferraille, pensez donc ! Où allons-nous ?
Je monte la voiture sur "chandelles" et aidé de Chantal je dépose l'ensemble
moteur-boîte de vitesse hors du châssis. Puis je sépare la boîte de vitesse
du moteur. Le tout aura pris environ six heures. Pas besoin d'être grand
spécialiste pour identifier l'origine des problèmes.
Néanmoins j'insiste pour retourner cet après-midi même avec la boîte de
vitesse chez le garagiste consulté la veille, afin qu'il donne son avis.
J'ai aussi le secret espoir qu'il effectue la réparation et que le père Ollivier
assume les frais occasionnés par son cadeau pourri. De notre microscopique
budget voyage il nous reste juste de quoi payer le carburant jusqu'à Pau
en excluant tout achat supplémentaire comme de la nourriture. Nourriture
que les Ollivier de Cannes auraient souhaité nous faire payer durant notre
séjour chez eux. Qu'ils s'en étouffent. Quant à Maïky la belle-mère méprisante
elle voulait nous interdire l’accès à l’appartement tant que nous étions
«dans le cambouis» avec le risque de tout saloper, surtout la sacro-sainte
salle de bain.Le robinet de la cour (dont l'eau est gratuite, elle) est
bien suffisant pour décrotter ces manants. La garce, et ton cul il est
propre ? Les noms d’oiseaux commençaient à voler en rase-mottes chez
les Ollivier de Cannes. Cette vipère et son toutou n'avaient aucune pitié
pour notre état de dénuement extrême, nous Chantal et moi transformés
en mécanos-club med en maillots de bain au milieu de pièces de voiture
éparpillées sur le sol de la sinistre cour de l'immeuble, les mains et
même les bras couverts de ce fameux cambouis honni. Ils voyaient bien,
jour après jour, les heures laborieuses que nous passions sur cette
mécanique ingrate. Rien, zéro compassion, aucune aide même morale. Tout
dans leurs gestes et leur comportement voulait dire : "Qu'ils
foutent le camp le plus tôt possible, qu'on soit enfin tranquilles."

Mon père crut bon de calmer la polémique en désavouant mollement
sa misérable «moitié» et, fait du prince, en nous «autorisant
officiellement» l’usage de la salle de bain et le libre accès de
l’appartement, sauf pour y dormir. Des cagots nous étions devenus,
des pestiférés, à la merci du bon vouloir des seigneurs de ces lieux.
Très humiliant. Très triste aussi de ressentir à quel point un père
pouvait renier ses enfants. Ne même pas leur offrir un toit pour
la nuit. De simples amis nous auraient mieux reçus.
Mais revenons à notre mécanique et à sa science dure mais juste.
Le garagiste est formel (presque autant que moi) : la boîte est
fichue et de toutes façons irréparable, soulevant l'argument fallacieux
que ce modèle Dyna Panhard n'était plus fabriqué depuis longtemps
(construit entre 1954 et 1959) et qu'il ne disposerait pas de pièces
de rechange pour la réparer. Mon père respire, me plaint beaucoup mais
ne me propose pas d'acheter une autre voiture, fut-ce une très vieille
occasion pas chère et qui tomberait en panne loin de chez lui. Même
sous ces conditions drastiques il reste inflexible. Tu l'as acceptée,
elle est à toi, tu t'en démerdes.
Mais voilà, dans une démarche quasi-prémonitoire, pour ne pas dire
divinatoire, j'avais "désossé" le tacot que m'avait vendu le copain
Henri Abadie (voir plus haut), et mis de côté différentes pièces détachées.
On ne sait jamais. Parmi ces pièces, la boîte de vitesse ! Que ne
l'ai-je emmenée dans mon atelier portatif ! Mais ce genre de méga-panne
n'avait pas été envisagée.
Aussitôt un coup de téléphone à Pau, à Mam, ma mère. Elle va arranger
ça avec Pierre, mon frère. Enfin un peu de coopération familiale, ça
fait du bien. Nous pourrons disposer de la nouvelle boîte dans 5 ou 6 jours.
Voilà que les parasites s'incrustent chez les Ollivier de Cannes, lesquels
devront subvenir à leurs (modestes) besoins plusieurs jours encore.
Pour détendre l'atmosphère et nous distraire les Ollivier de Cannes nous
emmènent passer la soirée au cinéma voir une sombre histoire de voiture
(encore !) qui a fait la une à Cannes cette année 1966 et qu'il
faut a-b-s-o-l-u-m-e-n-t voir : Un homme et une Femme. Original comme titre.

Mercredi 24 Août
Dégagés momentanément des soucis mécaniques nous allons pouvoir enfin
profiter des charmes du pays.
Toutes voiles dehors nous étrennons le Golif, petit bâteau à voile
que mon père a acquis quand il s'est senti pousser des ailes de marin
- que dis-je, de vieux loup de mer, le jour où il n'a plus supporté
son ancienne maîtresse, Popo, les montagnes, les Pyrénées, le Béarn
et son climat, sa femme et ses enfants, et tout le reste.
Voyage donc à une encablure de Cannes, aux îles de Lérins. Déjeuner
au petit Port des Moines. Ce lieu me parle car 10 ans auparavant,
en 1956, une jolie fille m'y avait gratifié d'un sourire si beau que
je m'en souviens encore. Visite ensuite de l'ancienne abbaye fortifiée.
Nuit tranquille dans le Golif, sans les moustiques
annoncés avec un rire sardonique.

Jeudi 25 Août
Occupation toute trouvée : la mécanique ! Je m'attaque à la boîte
de vitesse pour évaluer son degré de dégradation. Une fois
ouverte elle livre la clé du mystère du vacarme insensé : des
roulements et pignons sont brisés, il y a de la limaille de fer
partout, un beau carnage. Très optimiste j'estime que ce ne va pas
être très compliqué à réparer. J'en ai vu d'autres avec mes motos
d'occasion sur lesquelles toutes les parties du moteur ou presque
ont nécessité mon intervention. Je n'arrive pas comme un nouveau-né
de la dernière pluie sur des problèmes de mécanique.
L'après-midi se passe en menues emplettes au centre de Cannes où
Chantal et moi sommes allés à pied. "C'est assez loin" noté-je dans
mon carnet de voyage.
Dodo tranquille dans le petit bateau, dans le mouillage calme de
la marina, bercé par un léger clapotis

Bonne nouvelle dans la soirée du dimanche 28 août : un coup de
téléphone nous apprend que la boîte de vitesse de rechange est
empaquetée et que Pierre viendra personnellement en train nous la livrer !
Nous nous sentons mieux, tout n'est pas pourri dans la famille.
Nous allons nous en sortir par nous-mêmes, mon vœu le plus cher !

Vendredi 26 août au lundi 29 août
Mécanique ... Mécanique ... Mécanique. Cambouis... Cambouis... Cambouis

Mardi 30 Août
Arrivée de Pierre et de la boîte de vitesse dans la matinée.
Je me mets à la mécanique tout de suite, dans la cour de l'immeuble,
malgré la pluie qui tombe dans un "pays où il ne pleut jamais". Achat
d'un roulement neuf en ville l'après-midi. La réparation avance bien.
Mercredi 31 Août
Journée entière consacrée à la mécanique. Connexion de la boîte enfin
réparée au bloc-moteur et montage de l'ensemble sur le châssis
de la Dyna. Raccords de l'alimentation en carburant, du système
d'allumage, de ventilation, du sélecteur de vitesse, de l'embrayage
etc. Pas de raccord d'eau de réfrigération sur cette voiture qui est
refroidie à l'air, comme une moto (moteur flat-twin bicylindre).
La voiture est reposée au sol sur ses quatre roues. Et maintenant
la sanction ou la récompense selon que j'aurais bien ou mal travaillé.
La confrontation au réel c'est quelque chose qui ne ment pas, qui fait
fi de toute hypocrisie. J'adore ça. Mais il y a des risques !
Contact, moteur. La bête rugit. C'est déjà une récompense. Tous les
branchements ont été correctement effectués. Ouf ! La première
vitesse s'enclenche comme au premier jour : la voiture avance !
Mais ça elle savait déjà le faire au pire moment de sa maladie et
montre simplement que je n'ai pas remonté les pignons à l'envers.
Seconde vitesse, oui, elle est là, la voilà qui revit et qui permet
une allure propice au passage en troisième... qui passe allègrement !
Je suis maintenant au bord de l'excès de vitesse dans les rues de
Cannes et loin de mon "garage". Le spectre de la panne est toujours
présent. Je ne pourrais supporter les frais d'un dépannage dans cette
cité de riches. Tant pis, je tente le tout pour le tout. La quatrième
passe comme le doigt de Mme S dans le c... de Mme U, selon une plaisanterie
salace de carabin apprise l'année suivante dans le monde merveilleux
du travail. Et me voilà qui file à 100 km/h sur la Croisette, dans la
plus pure euphorie. Et je me permets au retour un tapage diurne à
grands coups d'avertisseur dans le quartier cosy des Ollivier de Cannes !

Vendredi 2 Septembre
Après d'ultimes réglages j'essaye à nouveau la voiture en me
perdant dans la circulation pénible du centre de Cannes. L'essai
est "à peu près satisfaisant", est-il noté sur le livre de bord.

Samedi et Dimanche 3 et 4 Septembre
Ascension de la Cime Saint-Robert par la voie d'ascension où se tua quelque temps
auparavant un ancien ami de mon père. Ils s'étaient quittés en très mauvais termes
il y a environ 20 ans et ne s'étaient jamais revus. Je me demande encore pourquoi
mon père avait choisi cette course. Son choix n'était pas innocent.

Lundi 5 Septembre
Lever 6 h et départ à 7 h. Aucune effusion de la part des Ollivier
de Cannes. Ils restent à faire semblant de dormir sur leur lieu de stupre,
soi-disant fatigués de leur journée d'hier en montagne. Pensez donc,
il faudrait en plus leur souhaiter bonne route à ces squatters envahissants.
S'enquérir de leurs moyens en cas de panne, de train à prendre,
de nourriture à acheter. Et puis quoi encore, ça fait bien assez
longtemps que nous les nourrissons gratis et qu’ils s’invitent sous
prétexte que leur voiture est en panne. Du vent! En réalité, je l'ai
déjà dit, notre pécule suffira juste à payer l'essence du retour.
Le moindre imprévu... n'est pas prévu! J'aurais dû demander, ils
n'auraient pu refuser. Quel orgueil en moi, ou plutôt pour moi ces
gens n'existent plus, fantômes spatio-temporels d'une époque révolue,
hologrammes de cauchemar sans consistance. On n'emprunte pas à un
hologramme. Le jambon du frigo est bien réel, lui, et je l'emporte.
Cela suffira pour le voyage, qui doit bien se passer selon nous, et
qui nous éloignera enfin de ces narcissiques pervers et égoïstes,
la sorcière en particulier, terrorisée à l'idée que son mari puisse
renouer des relations normales avec son fils. Nous étions indifférents,
nous devenons haineux. Mais nous avons d'autre chats à fouetter.
C'est maintenant pour nous l'épreuve de vérité sur du long cours
pour la voiture. J'ai prévu un détour par les Calanques que je tiens
absolument à montrer à Chantal que j'ai dû saouler avec toutes les
histoires qui émaillent mes séjours passés dans ces lieux de rêve.
L'oreille aux aguets, nous nous attendons au pire à tout instant.
Nous avons été pavlovisés par cette voiture à la personnalité démoniaque.
Mais non, rien ne se passe, le moteur tourne comme une montre, pas le
moindre bruit suspect. Nous avons l'impression de rêver.
Cassis est atteint sans encombres à 11 h du matin. Je retrouve rapidement
le chemin des Calanques, celui qui passe à proximité d'une auberge de
jeunesse, depuis le col de la Gineste, près de Marseille. Je stationne
la voiture sur le plateau qui domine à la fois les calanques d'En-Vau
et de Port-Pin. Et, le temps de faire admirer à Chantal ces sublimes
paysages, des racailles ouvrent la Dyna (même fermée à clé c'est très
facile, tellement tout est usé sur cette voiture) et nous dérobent la
petite radio portative et tout l'argent français qui nous reste. Le
charme est rompu. Sans ces quelques misérables sous impossible de rentrer à Pau.
Nous voilà obligés de retourner à Cassis pour porter plainte et
téléphoner à Pau depuis la poste. J'ai par chance un petit billet
de 5 francs qui traîne dans une poche. Mam promet de faire le
nécessaire en nous envoyant un mandat que nous toucherons dès demain.
Quant aux flics ils nous envoient balader, arguant que le coin où nous
avons été volés ne relève pas de leur juridiction. Il faut aller
à Marseille. Tu m'as compris.
Ayant assez d'essence dans le réservoir pour faire l'aller-retour
depuis les Calanques nous retournons à l'endroit où nous avons été
volés pour passer la nuit. Un fort mistral comme il peut y en avoir
du côté de Marseille se lève. J'arrive à dormir dehors. Chantal
s'installe dans la voiture et arrive à y dormir malgré le tangage
que produisent les rafales de ce vent froid, venu du Nord.

Mardi 6 Septembre
Le mistral et le bruit lancinant qu'il produit en passant sur les pins
se calme durant la nuit. Il a dégagé l'atmosphère et au matin nous
avons droit à un lever de soleil enchanteur sur la Grande Bleue et les
falaises blanches. L'air est calme et sent bon. Quelle sérénité !
Quel contraste après ces semaines pénibles, et le mot est faible.
Nous profitons quelques heures de ce petit paradis sur terre et retournons
à Cassis où le mandat est bien arrivé. Merci Mam.
A l'époque nous n'avions même pas eu l'idée de solliciter cette aide
de la part des Ollivier de Cannes, ou si nous l'avons eue, nous l'avons
tout de suite rejetée. C'est dire le niveau de relation (économique)
que nous avions. Nous étions las de toutes ces humiliations.
Nous changeons à la banque les quelques lires qui nous restent de
notre passage en Italie et larguons les amarres. Adios Calanques !
Le seul endroit que nous quitterons avec un brin de mélancolie. Projet
immédiat : aller dormir dans le Lubéron.
Tel le tapis volant des contes des mille et une nuit la Dyna nous
transporte avec aisance dans le pays de Lubéron, plus civilisé que
nous le pensions. Nous finissons par trouver une caverne en bordure
d'une petite route, parfaite pour y installer nos sacs de couchage.
Calmitude totale. Jusqu'à 22h30, heure à laquelle la petite route
départementale s'anime tout à coup et se remplit du grondement de
quantités de véhicules de tout gabarit déboulant à grande vitesse,
certains munis de girophares bleus. Pompiers ? Militaires ? Nous nous
faisons tout petits au fond de nos sacs de couchage en espérant qu'il
ne nous verront pas. Malheur ! Ils repèrent tout de suite la Dyna qu'ils
prennent pour un véhicule volé et abandonné. Sacrée Dyna, sa malédiction
nous poursuivra-t-elle jusqu'au bout ? En les entendant épiloguer
nous sommes bien obligés de nous manifester. Font alors irruption sous
l'auvent de notre caverne plusieurs gendarmes munis de lampes-torche.
La situation les fait rire, ils nous recommandent de nous méfier des
sangliers et s'en vont aussi vite qu'ils sont venus. Ouf ! Nous nous
voyions déjà les fers aux pieds dans une geôle noire et humide pour
cause de camping illicite dans un lieu dit "protégé" (et nous alors ?),
utilisation d'un réchaud en pays combustible où toute flamme est interdite
et que sais-je encore ? Vagabondage peut-être, bien que ce ne soit plus
un délit. Tout ceci nous apprend concrètement, et ce en droite ligne des
péripéties de notre voyage, que, dès que l'on sort de son petit chez
soi privé, tous les codes de la société surgissent pour nous "cadrer",
et si l'on s'en écarte rien ne va plus. C'est ça, pas une tête qui dépasse.
Sur ces pensées faussement apaisantes nous nous endormons du sommeil de
ceux qui n'ont plus d'argent, pas encore de métier, un carrosse en ruine
et un logement provisoire qui les attend à Pau......

Mercredi 7 Septembre
Lever matinal. Repas "préhistorique" des voyageurs, accroupis sous l'auvent
de la caverne. Le carrosse va-t-il résister au long trajet que nous allons
lui imposer aujourd'hui ?
Apt, Arles, Montpellier, Carcassonne... la circulation est fluide et tout
se passe bien. Toulouse est évitée par Auterive. Rappelons ici qu'en 1966
il n'y a pas encore d'autoroutes dans cette région et que l'on traverse
toutes les villes qui figurent sur le parcours, avec les ralentissements
que cela impose et des contraintes supplémentaires pour la belle Dyna convalescente.
Entre Toulouse et Pau le carnet de voyage signale des "routes tranquilles".
Sans doute une escapade en Haute-Garonne et Ariège. Routes tranquilles,
agrestes, mais "musclées" néanmoins !
Pau est atteinte aux environs de 21 heures, sans que la voiture ne rende
son dernier soupir. Elle nous sera bien utile dans les jours et les
mois qui viennent.
Nous réintégrons l'appartement qui nous a été prêté en attendant d'en
trouver un qui corresponde à nos ressources, nulles à l'instant présent.
Nous avons là de quoi satisfaire notre soif de l'inconnu !

Ascension de la cime Saint-Robert
Robert projette de faire l’ascension de la Cime Saint-Robert par
la voie où se tua quelque temps auparavant (1961) un ancien (faux)
ami, Henri Le Breton, un juriste qui avait concocté les statuts du
futur Groupe Pyrénéiste de Haute Montagne. Il avait également
contribué à la rédaction du premier guide des ascensions difficiles
dans les Pyrénées en 1937. Mon père et lui s'étaient quittés en très
mauvais termes il y a environ 20 ans et ne s'étaient jamais revus.
Je me demande encore pourquoi mon père avait choisi cette course.
Son choix n'était pas innocent finalement.

Nous aurions pu sortir plus souvent dans ces belles Alpes Maritimes
au lieu de perdre notre temps sur ce misérable Golif à faire des ronds
dans l’eau sous les ordres d’un capitaine dont les coups de gueule
tonitruants n’avaient d’égale que son incompétence de marin d’eau
douce. Il aurait dû rêver de la Grande Bleue beaucoup plus tôt.
Il a certes du mérite de s’être lancé dans cette entreprise à son
âge, mais il s’est trompé de cible, surtout de la façon dont il fut accompagné.
Nous allons donc enfin en montagne respirer un air bien meilleur
que celui de Cannes. En plus ça va me changer de la mécanique.
Seul bémol, la Maïky a tenu à venir. Elle aussi, qui en rajoute
pourtant sur ses exploits montagnards, risque d’être un boulet
si elle est mal luné, ce qui lui arrive souvent. Nous en avons eu
un bel exemple en 1961 à l’arête de Peyreget.
Samedi nous allons planter nos tentes à la Madone de Fenestre, sorte
de camp de base pour gravir la Cime Saint-Robert. Cest une sorte de
parc national où il est interdit de faire quoi que ce soit, encore
heureux que l’on puisse y marcher et respirer. Quant à camper vous
n’y pensez pas ! Hautement interdit ! Et merde, nous campons quand
même après nous être assurés que le coin est désert et les gardes-
chiourmes sont endormis dans leurs lointaines chaumines. Interdit
de camper ? Mais il n’y a aucun hébergement disponible. On fait quoi ?
Ces interdictions, ces menaces d’expulsion manu militari en plein milieu
de la nuit, ces amendes, est-ce le monde meilleur que nous nous préparons ?
Nous pensons que nous ne dormirons que d’un œil mais en fait l’air de la
montagne, les parfums énivrants des pins et de la garigue nous plongent
dans un bon sommeil sans rêve.
L’itinéraire prévu emprunte l’arête Ouest, celle justement qui fut fatale
à Henri Le Breton et son compagnon Maurice Fourastier en 1961. Deux vieux
glandus qui se croyaient toujours jeunes et très forts et qui ont fait
n’importe quoi, reliés qu’ils étaient par une corde qui leur donnait un
faux sentiment de sécurité. La connerie de l’un a été fatale à l’autre !
Et lycée de Versailles. Voilà comment on confère une mauvaise réputation
à une belle arête granitique de difficulté très moyenne qui n’a même pas
posé de problème à l’illustre Maïky… sauf à la fin.
La marche d’approche n’a rien à voir avec les bavantes des Pyrénées.
Le paysage ponctué de petits pins et du sifflement des marmottes est
sympa. Nous nous pensons un instant revenus en Suisse, au début de
la marche d’approche vers la cabane du Weisshorn.
Nous avons donc suivi l’arête Ouest intégralement en franchissant tous l
es gendarmes. La cordée Robert-Maïky traînait un peu et nous était
généralement cachée par l’un ou l’autre gendarme. Nous entendions
leur voix plus que nous les voyions. Mais peu importe, ils ne nous
intéressaient pas.
C’est sur la fin de l’arête que nous tombons sur le passage d’escalade
le plus intéressant et de surcroît bien équipé. C’sst peut-être ici que
Le Breton s’est tué, mais pas sûr. Un faux pas, une roche branlante,
cela peut arriver n’importe où. Les exemples ne manquent pas.
Chantal passe brillamment. Mais Maïky renacle. Elle exige rien de moins
que de refaire l’arête en sens inverse plutôt que passer par là ! Du pierrier
que nous avons rejo
int nous assistons au spectacle son et lumière en ombres chinoises. « Non,
je n’irai pas ! A quoi as-tu pensé pour me faire passer par là ? Tu veux
ma mort ou quoi ? Je reste ici ! » etc. Connaissant la patience légendaire
de mon père je m’étonne qu’il n’ait pas encore élevé la voix. Mais voyant
que cette insupportable Maïky était en train de se décorder, rien que ça,
il la soulève à bout de corde et fait franchir le passage à grande vitesse
à un paquet gesticulant, hurlant et vitupérant sur tous les tons. Plus
une marmotte ne siffle ! Et cet épisode nous vaut la gueule de Maïky
jusqu’à la voiture, et peut-être même durant le voyage du retour, nous
empêchant par là-même de nous congratuler et de refaire en paroles
l’escalade de l’arête. Cette peine-à-jouir, cet éteignoir de Maïky gâche
tout, tue tous les bénéfices de cette belle journée. Son mari a voulu
la tuer, va-t-elle porter plainte ? Que nenni, pas folle la fille, que
ferait-elle avec Robert en prison et son fils à la maison ? ça ira donc
pour cette fois ! Je passe l’éponge, mais n’y revenez pas.








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