Photo : prise le 23 mai 1976. Chantal, François sur la photo
qui viennent de remonter le couloir Swann avec Jean.

Samedi et Dimanche 22 et 23 Juillet 1961 – Dalle d’Allanz au Pic Rouge de Pailla
Equipe : Robert-Jean
Les préliminaires de cette course méritent quelque développement dont je n’ai pas fait mention dans mes notes d’alors.
Je ne sais plus exactement qui a lancé ce projet d’aller grimper la face Nord de la Pique Longue. Mais étant donné mes ambitions de l’époque et mon entraînement qui m’avait permis d’avoir beaucoup d’assurance en escalade je ne pense pas que j’aurais choisi cette course ; pourquoi gravir cette immense taupinière sans difficultés notables alors que tant de belles parois m’attendaient ? La conclusion de cela est que la proposition devait provenir du paternel, peut-être par réminiscence de l’ascension du Vignemale qu’il m’imposa en 1948 ou toute autre raison de cet esprit retors. J’acceptai tout de suite et au lieu de fermer ma gueule j’en ai rajouté : grande face oui, belles perspectives oui, nous sommes capables de « faire un temps », peu de difficultés… Résultat : le paternel s’est fermé comme une huitre et des idées paranoïaques se sont déchaînées dans sa tête. Ce gamin voulait-il, se venger de l’épreuve de 1948 et de sa tentative de l’éliminer en le précipitant dans une crevasse (c’est moi qui deviens paranoïaque maintenant), allait-il me ridiculiser par sa jeunesse agile qui va enfoncer le vieux croûton de 50 balais incapable de suivre son rythme. Sa réponse : je vois que tu sous-estimes l’ampleur de cette course, que tu ne la prends pas au sérieux, que tu n’es pas assez mûr pour ça. Avec ses réflexions toutes faites je ne peux que constater qu’il a oublié qu’il est guide de montagne et que par ses discours il sous-entend que je vais mener la barque. Le voilà apeuré, pas sûr de lui, un tantinet jaloux. En gros il n’aime pas son fils qu’il considère comme un concurrent dangereux. Et pas qu’en montagne…
En un mot il se dégonfle. Et ainsi il aura perdu sur tous les tableaux.
Sa réponse fut donc qu’il avait imaginé une course qui correspondrait mieux à mon talent : la Dalle d’Allanz au Pic Rouge de Pailla. Mais où est-il allé chercher ça ? et pourquoi ? Qu’es aco ? Vite le Guide Ollivier de Gavarnie, Pyrénées tome II Ed. 1953 :
Dalle d’Allanz – D. sup. Première ascension en 1895 [De qui se moque-t-on ? Offrir cela au vainqueur de la Cima Ovest d’Arudy, des VI d’Espingo et des Calanques, du Pouce Intégral V sup, de la Voie de la Calanque, de la voie des Dalles à l’éperon Nord du Grand Pic d’Ossau (et bientôt de la fissure Calame-Carrive à Ansabère) ? La honte… mais pour qui ?]…
Descriptif issu du Guide Ollivier : « Un ou deux pitons peuvent faciliter grandement ce passage délicat et exposé… » [J’en ris d’avance !].

Reprise des notes de 1961 :

L’on devait faire la face Nord de la Pique Longue au Vignemale mais… l’on alla camper au Plateau du Pailla à Gavarnie. Le temps est mauvais. Il fait trop chaud pour gravir le couloir Swann, d’ailleurs mal enneigé.
Dimanche matin nous partons à 7h et sommes à pied d’œuvre 1h15 plus tard (700 m de dénivellation pour atteindre la Hourquette d’Allanz). Il est prévu que je fasse toute la course en tête.
Pour prendre pied sur la fameuse dalle il faut franchir un léger surplomb, pas si facile d’ailleurs.
« Haute de 35 mètres, d’une inclinaison fort accentuée (?) et dun aspect peu engageant … passage très délicat et exposé.»
Or je la grimpe sans m’en faire, il y a toutes les prises que l’on veut. J’ai franchi la dalle sans mousquetonner un seul des pitons rencontrés et estime que sa difficulté n’excède pas la III… mais je ne le crie pas trop fort, il vaut peut-être mieux. Si certains côte ce passage en V, alors le simple Départ Herr Wick d’Arudy est du V, ce qui n’est pas vrai. On peut admettre que l’ensemble de la dalle soit côté IV vu sa continuité, chaque pas n’étant que du III. Car j’ai déjà rencontré un certain nombre de passages côtés IV que j’ai eus plus de difficulté à franchir et qui étaient surtout plus exposés que cette dalle (j’allais rajouter : de rien du tout). Voir par exemple la Dalle du Myrmidon, le Dièdre du Bloc Coincé et la Vire, la Verte etc… Il n’est pas exclu cependant que ce jour-là j’aie été particulièrement en forme.
Mais à l’analyse rétrospective je ne pense pas que ce fut le cas. J’avais la forme que l’on peut avoir durant les périodes où l’envie de grimper est prédominante. J’ai fait de vrais progrès et je me sens extrêmement à l’aise en tête et suis loin des angoisses du début, j’ai un bon entraînement. C’est pourquoi j’aspire aux grandes voies, ce que le pater m’interdit tacitement – sécurité, inquiétude, souci… il n’aime pas ça. Pense à mon bien peut-être un peu. Il n’est pas pour rien que toutes mes expéditions visant de grandes voies soient tombées à l’eau.
Une autre raison, et sans doute pas la moindre, fut que je voulus lui montrer ce que je valais et qu’il était loin le petit garçon du Vignemale, docile, influençable, soumis. A lui d’en chier maintenant ; c’est bien connu, il faut « tuer » le père, et si possible sur son territoire. C’était le moment.
Pour le moment il ne me reste plus qu’une semaine de vacances (putains d’examens) et personne avec qui aller, du moins pour faire de grandes voies difficiles.
Mais revenons à notre pic rouge du Pailla. Après la dalle nous gagnons sans trop de difficultés le cône terminal. Deux fissures intéressantes mènent au sommet. 4 pitons de récupérés en tout. Descente à toute vitesse par une diagonale peu fréquentée pour fuir l’orage.

Une double page avec des pétales d’iris bleu pâle et des œillets (viennent sans doute d’Ordesa).