C'est en cherchant les cavernes Malarode
que j'ai fait découvrir à mon ami Hervé
ce qui allait devenir Sestograd.
Voilà un an que j’ai quitté le Collège de l’Immaculée
Conception à Pau pour préparer au Lycée Louis Barthou
ce que l’on appelait à l’époque le «premier bac», que
je viens de réussir en septembre. J’ai laissé au collège
un art de vivre qui me convenait et quelques bons
camarades. Parmi ceux-ci Henri Abadie, avec lequel
je suis resté en relation bien qu’étant dans un autre
établissement. Nous étions coutumiers de longues
conversations, entre deux cours au moment de la
récréation. Parmi tous les thèmes de discussions
que nous abordions tout en marchant entre les platanes
séculaires de la cours de récré des «grands» il en est
deux qui nous tenaient à cœur : les maquettes de planeurs
et la spéléologie. (Henri devint pilote, de mon côté
je n’ai pas persévéré dans la spéléologie).
Henri avait participé avec un groupe de scouts à une
initiation spéléologique et m’avait transmis un
bref croquis succinct
du chemin à suivre pour explorer des grottes qu’il me décrivit
comme sensationnelles du côté d’Arudy, région à cette
époque inconnue de moi, à l’exception du petit rocher
du Bouvier où j’avais naguère accompagné mon père et
ses amis qui avaient trouvé là un sympathique terrain
d’entraînement à l’escalade.
Ce croquis eut d’emblée sur moi l’effet d’une carte au
trésor, le sésame qui allait me permettre de traverser
une porte invisible donnant sur de nouveaux espaces et une
liberté enfin conquise. Rien n’est aussi bon que ce
que l’on choisit.
C’est avec mon jeune frère Pierre que je fis à vélo les
premières reconnaissances au cours de l’année 58. Il
accompagnait courageusement un grand frère pas toujour
s commode avec lui. Sans le savoir nous n’étions pas
arrivés bien loin de l’objet de nos recherches et avions
à cette occasion mis les pieds pour la première fois dans
ce qui allait devenir plus tard,
le paradis des grimpeurs que nous allions, Hervé et moi-même,
développer plus tard. Pour le moment d’immenses ronciers
défendaient l’accès au cirque rocheux et le souvenir qui
me reste de ces explorations, outre la déception de n’avoir
pas trouvé les cavernes, est l’impression de submersion
dans un océan végétal agressif, agrémenté de vastes pierriers
moussus et glissants. Echec donc.
Sur ces entrefaites, au mois de septembre 1958, ma mère croise
en ville, à Pau, mon ancien camarade de classe Hervé Butel,
prend de ses nouvelles et l’informe de ma disponibilité.
Hervé rentrait de plusieurs années passées dans le terrible
collège de « gèzes » de Sarlat, où son père l’avait placé
à la suite de ses échecs au petit séminaire de Nay (le père
d’Hervé, Yves Butel, rédacteur en chef à l’Eclair des Pyrénées
et bon catholique pratiquant, souhaitait qu’au moins l’un de ses
enfants devienne prêtre). Depuis Nay et Sarlat je n’avais pas
revu Hervé, c’est à dire depuis la fin de l’année de la Sixième
au collège de l’Immaculée Conception, soit 1953. Mais depuis la
maternelle à l’Institution Saint Maur, puis à l’Immaculée Conception,
nous étions au cours des six années écoulées devenus de bons copains
et même cinq ans plus tard il en restait quelque chose de solide.
Son histoire de séminaire, qu’il présentait comme un choix personnel,
m’avait paru curieuse et peu conforme à ce que je connaissais du
personnage. Mais comme on me l’avait inculqué, il ne fallait jamais
s’opposer à une vocation. Je m’étais donc bien gardé de l’en
dissuader, tout en regrettant profondément son départ. Il n’était
pas de soir où nous n’inventions quelque chose de farfelu à faire
en sortant du collège et en rentrant chez nous, sa maison étant
sur le trajet de la mienne…
Nous habitions en effet à trois rues d’intervalle débouchant toutes
sur la route de Bordeaux, lui chemin rural Cazalis (devenu depuis
une rue) et moi avenue de Lons, et malgré cette proximité Hervé se
fendit d’une lettre tout ce qu’il y a d’officiel, lettre que par
miracle je possède encore en 2020 et pour lonftemps :
« Mon vieux,
C’est clair, je m’ennuie, tu t’ennuies (paraît-il) ;
il serait peut-être alors possible de se revoir. Tu
connais mon adresse »
hervé butel
Posté le 24-9-1958
Pour se mettre en jambe je lui propose d’aller à la recherche de
ces satanées cavernes qui me trottent dans la tête. Cette idée
l’intéresse au plus haut point et nous prenons rendez-vous pour
le dimanche suivant, le 12 octobre 1958. Seule condition qu’il
pose : être rentré suffisamment tôt afin d’assister à l’office
du soir, étant donné que le matin il ne pourrait pas assister à
la messe en famille. Cette condition était exigée par ses parents.
Je m’occupe du matériel, lui part en quête d’un vélo.
Dimanche 7 heures, chaussés de godillots et chacun avec son vélo
nous nous retrouvons devant la maison où il habite avec ses parents,
la villa Mamaïta, gardée par le «terrible» chien Gaucho (que nous
faisions enrager).
C’est, sans que nous nous en doutions, le top départ d’aventures
partagées durant de nombreuses années à venir.
Nous nous dépêchons donc sur la route qui allait bientôt nous
devenir très familière au point d’en connaître par cœur toutes
les subtilités que seuls les cyclistes peuvent percevoir,
surtout les côtes !
Pau-Gan-Rébénacq-Sévignacq-Arudy. Nous ferons de façon quasiment
rituelle une pause près du moulin peu avant Rébénacq où nous avions
repéré une petite source dont nous goûtions l’eau chaque fois, puis
au sommet du Petit Moure où une petite fontaine nous attendait
à l’ombre d’un splendide néflier. Nous reprenions notre souffle
en haut du Grand Moure, orné en son milieu d’un grand mur de
soutènement. A Sévignacq c’était la joie de la descente débridée
vers Arudy… Cette «marche d’approche» avait la vertu d’échauffer
nos muscles et surtout de créer un espace, une coupure franche
avec notre quotidien. Nous en ressentions un profond bien-être.
En ce dimanche 12 octobre je peux faire à Hervé les honneurs et
de la route et des endroits précédemment explorés en essayant
d’interpréter les hiéroglyphes de l’ami Henri.
Nous passons ainsi beaucoup de temps à fureter, interroger. Henri
n’avait pas nommé les cavernes, ce qui ne simplifiait pas nos
recherches. On nous envoyait bien vers la grotte Saint Michel,
la grotte d’Espalungue, et même la grotte de Poeymaü près de
la Fonderie, sites connus du fait de leur intérêt archéologique
et dans le périmètre immédiat de la petite ville… mais tout
cela ne correspondait pas du tout à la description que m’en
avait faite Henri, ni aux indications de son précieux «crobar».
Or, sans le savoir, nous nous en étions approché au plus
près lorsqu'un chemin nous amena en vue du Cirque d'Anglas,
déjà entr'aperçu quelques mois auparavant avec mon frère
(voir plus haut).
De fil en aiguille et par éliminations successives nous
décidons d’explorer une zone relativement éloignée d’Arudy,
du côté de la route du Bager.
Nous abandonnons les vélos et nous lançons à travers prés et
bois dans la direction qui nous paraît la meilleure, mais
sans trop d’illusions tout de même. J’ai bien amené la carte
dite d’Etat Major de la région. Son graphisme en noir et blanc
est rustique, elle est au 1/50000 ème, d’après la carte au
1/80000, révision de 1900, sans courbes de niveau et avec
mise à jour partielle de 1955. Très partielle, oui, et
approximative, voire fausse. Et d’aucun secours pour nous.
Elle a cependant le mérite inestimab
le et involontaire de transformer une simple randonnée en
exploration aventureuse. Parenthèse : sommes-nous plus heureux
aujourd’hui, bardés de cartes de précision, de GPS et
tout le toutim ??
Notre imagination sait pallier les insuffisances des vieux
grimoires, mais ces dernières nous mettent présentement
en rage. La journée s’allonge et les cavernes vont m’échapper
une fois de plus. C’est à désespérer. Hervé reste zen.
La providence – ou la fatalité ? – veut que nous rencontrions
un chasseur pour lequel la journée était terminée et qui
rentrait chez lui. A tout hasard nous l’interrogeons et
il nous confirme qu’il y a bien des cavernes à proximité et
nous fournit quelques précieuses indications.
Et nous avons tôt fait de découvrir une sorte de vallon
mgique, à la sérénité préhistorique. Nous sommes tout
de suite envoûtés par le calme des lieux. C’est un endroit
encaissé et humide, isolé du monde. Le sol est jonché de
pierres recouvertes de mousse, et entre les pierres poussent
de grandes fougères scolopendres d’un vert presque fluorescent.
Des arbres tamisent la lumière. Le silence est profond.
Notre quête n’a pas été vaine. Trouver un endroit pareil
nous satisfait déjà pleinement. Et sur peu de distance
nous découvrons bientôt les entrées de deux cavernes.
La plus au sud offre un grand porche, et la seconde
sur le versant opposé et en contrebas possède une entrée
plus discrète (aujourd’hui fermée pour cause de fouilles archéologiques).
Satisfaits et heureux d’avoir enfin atteint au but,
nous nous ménageons une pause sous le porche de la
grande caverne afin de faire honneur aux frugales
victuailles. Ces petits pique-niques sauvages et
rustiques, assis sur des cailloux en devisant de
choses et d’autres, parfois devant un petit feu par
temps de grand froid ont toujours fait notre régal.
Un Opinel, un bout de pain et une boîte de Criquasâ
(sardines à la tomate espagnoles) nous comblaient de
félicité et nous mettaient de la meilleure humeur du monde.
Quand nous avons terminé, l’après-midi est déjà entamé
et nous tenons absolument à explorer les grottes. Nous
coiffons les casques folkloriques dénichés à la cave
ou au grenier de nos domiciles et que nous avons équipés
d’une lampe frontale. Pour le reste nous sommes habillés
très classiquement, comme pour une randonnée en plein air.
Tant pis pour l’argile qui va les maculer.
Pour nous la terre ce n’est pas sale.