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jmo

1951 - Lieu des révisions scolaires, sans oublier le viatique - Les malheurs de Claire Lévy

Villa El Patio. Le piano avec la statuette

Dans le bureau d'El Patio devenu ma chambre après avoir été celle du jeune Robert.
Table légère en osier, et dessus :
Les livres, documents, encrier, bracelet-montre....
Le cass'dal pour tenir une bonne partie de la nuit (pain et bol contenant
quelque chose)
Au mur une étoile de mer offerte par les cousins de Guadeloupe et au-dessus
une photo encadrée,
souvenir d'un joyeux camping familial au bord du lac d'Orédon en 1957.
sur le piano un petit personnage en "biscuit", une carte de bonne année
encadrée et représentant
un magnifique voilier, carte offerte par Jacques Prosé, fidèle camarade
d'enfance.

Claire Lévy, ma prof de piano

Claire Lévy était professeur de musique à l’Ecole de Musique de Pau,
école située dans une rue passante en centre ville et donnant sur
la Poste (elle a déménagé depuis).
Elle avait loué à Blanche une pièce de sa maison El Patio pour y
vivre. Blanche louait de temps en temps des chambres de sa grande
villa plutôt pour s’occuper que pour améliorer sa retraite et les
revenus qu’elle touchait de ses immeubles parisiens de la rue Vineuse,
où elle était née. Je me souviens d’un locataire grand amateur de
bandes dessinées, dont des « pulps » américaines pleines d’histoires
fantastiques et de science fiction, que j’allais récupérer dans la
poubelle où il les jetait lorsqu’il les avaient lues. On a l’éducation
qu’on peut, et celle-là était bonne bien que formellement interdite].
Claire, petite personne célibataire, menue et discrète, sans famille
connue, dont je n’ai même pas une photo gagnait chichement sa vie à
l’Ecole de musique où elle était prestataire à temps partiel, aussi
donnait-elle des cours particuliers sur son propre piano installé
dans sa chambre à El Patio. Cette chambre était à l’origine destinée
à être une salle à manger, s’ouvrant sur la pièce centrale, le Patio,
une fenêtre à l’Est et une grande baie vitrée la séparant d’un salon
en rotonde jamais utilisé. Elle était donc suffisamment grande pour
que Claire y organise toute sa petite vie en autonomie complète : chambre
à coucher, salle à manger, cabinet de toilette, salle de cours avec
le piano droit s’appuyant sur le mur Est, à droite de la fenêtre, et
une petite table sur laquelle elle écrivait avec ses bics multicolores.
Des paravants cloisonnaient la pièce pour séparer les différentes activités.
A 9-10 ans je ne réalisais pas la misère de cette situation, d’autant
que ma grand-mère vivait pratiquement de la même façon de l’autre côté
du hall, le Patio, n’utilisant plus sa cuisine et les dépendances depuis
longtemps (voir Elisabeth Blanche à 1877), à l’exception de la salle de bain.
Blanche possédait un piano droit, installé dans ce qui fut la chambre
de jeune homme de Robert, [puis la mienne plus tard]. Elle avait appris
le piano dans sa jeunesse et aimait se délier les doigts en interprêtant
de grands classiques. Elle avait donc la musique en commun avec Claire,
néanmoins la professionnelle. Cela donnait lieu à des discussions passionnées
à propos de tel ou tel auteur, de telle ou telle interprêtation. Ma mère
voyait en ces discussions de simples disputes et ricanait en se moquant
du duo fratricide Blanche-Claire. Claire était une fan absolue de Beethoven,
dont elle possédait un portrait dans sa chambre-appartement-salle de
cours et ne jurait que par lui. Blanche était plus éclectique et écoutait
dans sa chambre les œuvres des grands pianistes sur les 33 tours tout
récents qu’elle avait achetés et dont elle me faisait souvent profiter, me
donnant ainsi des bases pour ma culture musicale. Mais pour qu’elle soit
plus aboutie elle proposa que Claire, qui était là à portée de main,
m’initie au piano, et que pour cela elle lui paierait les leçons. Il
ne manquait plus que mon accord qui fut total, car j’ai réalisé à l’époque,
malgré mon jeune âge, que j’avais une chance inouïe d’avoir sur place
et le piano et le prof. Et que j’aimais la musique.
Durant une année les leçons s’enchaînèrent, semaine après semaine.
Je faisais des progrès sur l’instrument, apprenais le solfège, réalisais
même des dictées musicales avec Claire – qui n’en revenait pas d’avoir un
élève aussi doué disait-elle [qu’est-ce que devaient être les autres élèves
alors !]. Tant et si bien qu’elle proposa de me faire rentrer à l’Ecole de
Musique où elle professait. Cela me paraissait lointain, sans implications
particulières à première vue, et puisque j’étais si doué, pourquoi pas ?
Mais pourquoi aller à l’école de musique alors que j’avais le prof sur
place ? Je n’ai pas percuté à l’époque, on ne m’a rien expliqué en dehors
du fait que c’était une promotion. Il existe deux explications possibles :
soit Claire doit déménager ou partir à la retraite, soit le coût des leçons
particulières est trop élevé pour Blanche et le concours permet peut-être
de bénéficier d’une bourse. Côté paternel c’était silence radio, donc
silence budget. Il semblait neutre vis à vis de mon activité musicale tant
que ça ne lui coûtait rien et que ça ne gênait pas mon travail d’écolier.
Pour bénéficier de l’Ecole de Musique, m’a-t-on expliqué, il faut passer
un concours pour s’en montrer digne. Qu’es aco ? Je n’ai pas passé de
concours pour bénéficier des cours de piano de Claire. Perplexité, mais
je ne creuse pas plus avant la raison. Comme d’habitude on n’explique
rien aux enfants Il faut donc que je me prépare à exécuter un morceau
de piano de haut niveau en public. J’ai tout l’été pour ça. C’est pour
la rentrée, en même temps que celle de la Sixième à l’Immac. Nous sommes en 1951.
Et moi qui pensais passer des grandes vacances tranquilles, c’est raté !
Il faut bosser quotidiennement le morceau de musique choisi par Claire,
sur le piano de Blanche, dans une chambre située à deux pas de celle
de Claire. Qui entend tout ! Très consciencieuse, attentive à ce que
je prépare le plus sérieusement possible ma prestation, elle veille au
grain. Le seul inconvénient du piano est qu’il est sonore, le profane
dira qu’il fait du bruit que l’on entend de loin. J’étais parfois tenté
par de digressions, d’exécutions fantaisistes, de gammes faites un peu
n’importe comment. Claire surgissait aussitôt, un crayon à la main,
pour me taper sur les doigts et me faire la leçon. Je râlais sur
le moment mais je découvre aujourd’hui qu’elle était adorable avec
son enfant de musique, qu’elle rêvait tant de voir réussir. Comment
aurais-je pu deviner cela à 10 ans ? Je la respectais, l’admirais même,
mais la laissais à ses responsabilités de grande personne, comme tout
enfant qui se respecte.
J’ai appris le morceau consciencieusement et savais l’exécuter
« par cœur ». J’étais prêt. Et c’est à ce moment-là que mon père
m’influença très habilement, sans m’imposer une quelconque contrainte.
J’entrais en sixième, d’un niveau plus exigeant que les classes du
primaire dans lesquelles il est facile de briller. Il faudra maintenant
bien considérer, que si je suis reçu au concours, je devrais aller à
l’Ecole de Musique, le soir à 19h, au moins une fois par semaine après
une journée bien remplie à l’Immac. L’hiver, la nuit, la pluie, la
circulation au centre ville, il faudra que je me débrouille seul. En
outre, en plus des devoirs donnés par les profs du collège, je serais
obligé de continuer à faire mes gammes, autrement dit les exercices
exigés par l’Ecole de Musique.
J’ai vite compris. Au diable le concours, tant pis pour l’Ecole de
Musique. Adieu les rêves de virtuose, de chef d’orchestre. La réalité
m’avait rattrapé dans les grandes largeurs. Puisque j’avais apparemment
le choix, je renonçais à une carrière de pianiste. A moins d’être Lang
Lang, ou faire partie du Grand Orchestre de France, ça ne paye pas en plus.
Et les quelques musiciens professionnels que j’ai connus dans ma vie me
l’ont bien confirmé. J’avais une envie confuse d’autre chose.
Claire fut bien déçue, mais comprit ma décision. Je ne sais ce
qu’elle a pu penser en son fors intérieur car je ne la revis quasiment
plus. Mon père en pétard permanent avec ma mère matérialisa
sa séparation d’avec elle en exigeant que Blanche lui cède la chambre
de Claire et donc qu’elle vire Claire. Ce qui fut fait sans ménagement
car Robert, enfant peu aimé, était devenu horrible avec sa mère. La pauvre
Claire eut juste le temps de se trouver un petit studio triste et pas
cher dans une maison de la rue proche de la rue du Pin.
Elle se réorganisa comme elle put avec ses quelques petites affaires
et continua à travailler quelque temps à l’Ecole de Musique jusqu’au
moment où l’administrateur de cette dernière lui signifia qu’il n’avait
plus besoin de ses services….
Seule, sans le sou, désespérée, elle ouvrit le gaz et attendit la
mort. Elle était de la vieille génération pour laquelle le gaz de ville,
fabriqué à partir du charbon, contenait un gaz mortel, l’oxyde de carbone,
ce qui n’était plus le cas. Elle attendit donc la mort en vain. L’odeur de
gaz ayant envahi la maison et le quartier, l’alerte fut donnée et les
pompiers sont intervenus. Claire fut néanmoins transportée à l’hôpital.
Mon histoire de Claire s’arrête là, car je ne sais pas ce qu’elle est
devenue, petite chose insignifiante qui avait fini par presque s’excuser d’exister.
Le monde est cruel, égoïste, sans pitié. A commencer par le père Ollive.
Nous ne risquions pas d’apprendre ce qu’est la solidarité humaine avec
lui. Mais il était satisfait : il s’était aménagé un superbe bureau dans
l’ex-chambre de Claire, avec un divan dans un coin. Ayant réintégré El
Patio il se trouvait dans une situation stratégique pour surveiller sa
mère, tout en fuyant une famille qu’il avait pourtant fondée. En fait, en
faux fils prodigue, il était revenu chez sa mère qu’il n’aurait jamais
dû quitter, après une absence de quinze ans, quinze ans seulement
pourrais-je dire, pour savourer une vengeance qu’il ruminait depuis
son enfance et en tirer tous les profits possibles. Car Blanche était
riche sous ses dehors simples où tout luxe inutile était bânni. Et ça,
son teigneux de fils le savait et il était bien décidé à lui faire rendre
gorge. Ô la joie d’avoir un enfant qui déteste sa mère et ne pense qu'à l'héritage !


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