Samedi 1er Juillet 1961 - Baptème de l’air pour Maïky et ouverture de la Cima Ovest
Participants : Hervé, Mahiki (sic), Jean. – Voiture : 2CV – Pau-Arudy
Cours de conduite le matin à 9 h. Cela limite nos ambitions à Arudy. Nous
avons décidé, Hervé et moi, de « sortir » la Cima Ovest, coûte que
coûte. Hervé part dans les Alpes pour deux mois ½. Il faut « sortir
quelque chose » avant de se quitter.
Depuis quelque temps une sorte de vampire maléfique rode autour de la
famille Ollivier. Elle nous fut amenée par Christine, elle aussi sorte
de malédiction incarnée et écervelée de la famille. Ces deux minettes
se sont connues au collège catholique St Dominique à Pau et à défaut
de mecs elles se sont livrées à des jeux que la morale d’alors réprouvait.
Pas étonnant de la part de Christine qui fonce tête baissée dans n’importe
quel traquenard.
Marie-Christiane Bornard, car tel est le nom du vampire, alias Maïky,
s’est immiscée assez rapidement au sein d’une famille désorganisée,
théâtre de haines sourdes et de disputes permanentes. Même Mam s’était
entichée de cette créature qui jouait un rôle pervers de mignonne
séductrice et fouteuse de merde, et la prit même comme confidente en
lui confiant imprudemment tous les secrets de la famille !
Toujours est-il, qu’ayant décroché le permis de conduire et disposant
d’une 2CV offerte par ses parents, elle m’offrit ses services pour
me transporter là où ça me plairait. Pas besoin de chercher bien
loin. Cette chère Cima Ovest m’attend avec impatience et à défaut
de me tendre les bras ou les lèvres elle attend que je vienne parcouri
r son grand corps langoureux qui n’a jamais connu d’homme, sans doute
à cause de son apparence revêche.
Nous allons donc prendre Hervé chez lui. Il est charmé par ce chauffeur
bénévole. Je pense que ce fut réciproque, la suite nous le dira.
Christine aurait dû venir faire le chaperon. Mais elle soigne une
angine au fond de son lit de douleur.
Nous sommes vite rendus à Arudy après quelques frayeurs sur la route
et un babillage où la séduction futile se mêlait (le disputait) aux
autres choses de la vie. En passant à Sévignacq nous nous sommes bien
gardés d’évoquer l’épisode Sennès de la pancarte brisée [voir plus
haut]. Il faut savoir préserver l’avenir. Qui peut connaître en outre les
pensées abritées dans cette mignonne frimousse aux airs si innocents ?
{étonnant, voir la page 52 du Cahier Vert écrit en 1967}. Mais foin
de ces soucis, les garçons rugueux que nous sommes pensent qu’il n’y
en a pas, et qu’il ne tient qu’à eux d’alimenter l’imaginaire fantasmé
de cette vierge (croyons-nous) qui joue les innocentes aux yeux candides.
Quelle erreur !
Mais revenons au sujet principal qui nous a amenés ici, la belle,
l’irrésistible Cima Ovest.
C’est une véritable petite course, dont on peut, vue son extraordinaire
raideur (pour une hauteur de 40 m il y a 20 m de dévers), facilement
imaginer la continuité des difficultés. Imaginons que les longueurs
extrêmes soient entrecoupées de 4 ou 5 longueurs de difficultés
raisonnables (du IV au V par exemple, un V pas trop O.P.), nous
aurions là une véritable course de montagne pouvant supporter la
comparaison avec des voies difficiles des Dolomites. La qualité du
rocher est formidable, sauf dans le bas où une poudre blanche recouvre
toutes les prises, et se révèle assez facile à pitonner, sans avoir
recours à des moyens technologiques qui défigurent la beauté de la «
vraie » escalade engagée, celle des risques assumés.
Maïky nous accompagne au départ de la voie. Envoûtés que nous étions
par la Cima Ovest, la plus belle fille du monde n’aurait pu nous
écarter de notre objectif : posséder enfin cette cathédrale de pierre
qui nous semblait si vivante, si charnelle. Dans un grand élan de
magnanimité nous décidons que cette prêtresse de second ordre, sorte
de victime expiatoire, puisse nous accompagner. Elle tiendra la
chandelle. Elle accepte, sans se rendre compte où elle va aller promener
son petit cul et le reste. Elle se retrouve harnachée de pied en cap
et attend assise sur un caillou que nous ayons fini de négocier
la première longueur.
Nous n’allons pas refaire la traversée, c’est bien trop long. Et Maïky
là-dedans ? De plus le pont de corde semble pourri. Nous faisons alors
un lancer de corde par-dessus l’arbre-relais de la fin de la traversée
et grimpons à cette corde. Après 1h1/2 d’efforts nous sommes tous réunis
sur la plate-forme improbable formée par l’arbre et un rebord de la paroi.
Sans l’arbre ce serait un relais sur étrier, beaucoup moins «confortable».
Il a fallu hisser Mahiki (sic) comme un sac de patates. Poids plume. Comme
quoi le poids du vice n’interfère en rien avec le poids réel de la personne.
Une fois installée et accrochée à la paroi tel un bibelot fragile, elle
arrêta de crier, et, les yeux hagards, elle se mit à trembler en parmanence
de tout son corps. S’était-elle mis en tête que ces deux mâles velus et
vigoureux allaient la violer sans vergogne ?
Ils avaient bien d’autres idées en tête à ce moment-là, et rien ne pouvaient
les écarter de leur objectif sacré. J’attaque donc le plus vite possible,
et après quelques manœuvres je retrouve la courte traversée à gauche qui
se termine par un délicat rétablissement sur un piton qui me paraît peu
sûr. Me voici maintenant seul sur un éperon vertigineux, avec un gaz
extraordinaire. Hervé et Mahiki, depuis ma position, apparaissent absorbés
par la paroi, loin de moi et en retrait, comme à l’intérieur de la
muraille. Le dévers est sensationnel, j’ai la sensation de grimper
dans un plafond. Je remonte l’éperon grâce à trois pitons assez rapprochés,
et, après quelques hésitations compréhensibles, je pars en libre dans
le plafond, accroché par les bras à de bonnes prises. Je sais que si
je tombe je ne toucherai pas la paroi. Mais je n’ai pas envie de tomber.
J’ai un mal terrible pour progresser à cause du frottement des cordes
et toutes les peines du monde pour me rétablir sur ce que je pense être
une petite plate-forme et qui passe son temps à me rejeter vers le vide.
Le déversé des lieux est tel qu’il modifie toutes les perspectives et ma
petite plate-forme est en fait une niche suspendue en plein ciel au plancher
fortement incliné vers le vide. Je m’y blottis en me faisant tout petit.
Un petit piton m’aide à retrouver mon équilibre et à mieux distinguer
le haut du bas. Je peux enfin me reposer.
Un relais ici serait très problématique, aussi je décide de continuer
dans ce faux plafond vertigineux mais bien fourni en grandes prises.
Je me propose d’atteindre une autre niche. Arrivé à son niveau j’arrache
frénétiquement une touffe d’herbe qui me cache la seule bonne prise et,
en grand écart, je me rétablis. Mais c’est tellement déversé que je me
retrouve suspendu par une main, laquelle est vérouillée dans la fissure
où je plante la cornière qui va me retenir à cette paroi diabolique.
Je suis loin d’Hervé et Maïky à présent ; Hervé a suivi avec anxiété
ma progression et m’a avoué avoir été époustouflé que je sois parti en
libre sur l’éperon. Merci Hervé.
J’installe un relais sur piton. Je multiplie les points d’assurance et
je m’installe sur deux étriers, me balançant en plein vide. Ce serait
maintenant au tour de Mahiki de venir me rejoindre. Mais devant la
difficulté de cette longueur je lui propose de la descendre en rappel.
Elle ne se fait pas prier ! Et hop ! le sac de patates rejoint pronto le
terrain des vaches. Et elle va errer dans le pierrier de base telle une
fourmi désorientée, mais soulagée. Ses tremblements, qui ont atteint
un paroxysme au cours de la descente, ont cessé. Elle a retrouvé la parole
et commence à nous injurier. Des ricanements lui répondent.
Hervé démarre et se fait bien suer dans la traversée où il doit abandonner
un piton. Il en a laissé un autre, au-dessus, indéracinable. Il arrive
au relais plein ciel et me trouve horriblement gonflé d’être parti
en libre. Il s’installe sur la planchette prévue pour ce type de relais.
Pendant qu’il prenait son temps pour monter jusqu’à moi j’ai gravé nos
initiales au marteu sur une sorte de marche. Ce sera désormais la
« Niche aux initiales ». [Hervé m’a initié aux secrets de base de la
calligraphie, et tout le reste de ma vie je me suis évertué à lui
communiquer ce que je connaissais : escalade et montagne, photographie…].
Il était temps de faire grosse ripaille, grâce au sac rempli de
victuailles que nous avons traîné jusque là. Pendant ce temps en bas
dans le pierrier Mahiki dort. Lorsque nous avons fini de nous goinfrer
nous lui expédions ce qu’il reste de nourriture avec la troisième corde,
hormis le petit sac de Mahiki, qui a déjà pris la voie des airs afin de
soulager le pauvre petit être fragile qui miaule encore dans la caillasse.
Quelle que soit l’heure et les attentes de la « mousmée des roches » qui
nous attend en bas, nous continuons vers le haut. Hervé part en tête dans
la cheminée déversée qui fait suite à celle que j’ai grimpée. Et déjà, à deux
mètres au-dessus de moi, il semble voler dans les airs, à mon « extérieur »,
comme une mouche marchant sur un plafond. Toujours le plafond… A l’aide
de quelques pitons il va chercher plus à droite une ligne qui évite le
toit qui a interrompu sa progression directe. Il se retrouve sur une dalle
grise compacte couronnée d’un surplomb, au-dessus duquel il fait relais sur un buis.
Nous nous sentons près du sommet. Je dépitonne et le rejoins. A propos de
pitons je retrouve les fameux hervé-pitons à peine plantés et que l’on
peut extraire d’une chiquenaude. En cas de dévissage il se serait retrouvé
comme une araign
ée pendue à son fil. Ne sachant pas faire le nœud de Prussik que serait-il
devenu ? La solution serait sans doute venue des étriers et de la troisième
corde, sans doute ou peut-être car sans baudrier l’étouffement arrive vite.
J’étais très perplexe en finissant cette longueur pour rejoindre Hervé.
J’enchaîne en tête. A moi la suite et fin de cette belle escalade. Youpiiii !
Un petit ressaut m’amène au ,pied d’une belle fissure, sans doute la plus
belle d’Arudy, verticale et régulière enfin, le passage esthétique, quoi…
Joyeux et heureux nous débouchons au sommet. Si le bonheur dure [60 ans plus
tard il est encore là], la joie non, car nous venons d’apercevoir la 403
paternelle qui vient d’arriver et le pater qui commence à faire fonctionner
son gueuloir…
Dans mes notes d’alors je n’ai pas écrit ce qu’il a pu nous raconter
lorsque nous l’avons rejoint. Je me souviens seulement qu’il ne nous
écoutait pas Hervé et moi. Nous étions toujours sur notre petit nuage,
voulant le faire participer à notre succès avant que Mahiki ne nous
casse la baraque ; et lui broyait du noir, comme de coutume. Gueule
sinistre, accusatrice, jargon délirant qui a tant traumatisé Mam.
Que veut-il et pourquoi est-il là ? C’est louche cette assiduité à venir
à Arudy. C’est pour venir me chercher et non pour me rendre service.
Je subis sa gueule jusqu’à Pau, sans trop comprendre pourquoi. Il n’est
pas clair. Il me tue une journée qui a été si belle et si bien remplie
jusqu’à présent. Hervé rentre à Pau avec Mahiki dans la petite 2CV.
Il pourra lui conter fleurette tant qu’il voudra. Il y aura une suite
épistolaire lorsqu’il sera à Chamonix, prélude du « drame de Mont Vert »
Dans un premier temps il en vient donc à se mêler de mes affaires perso,
il redoute ma fréquentation avec Mahiki (sic), il pense que ça va nuire
à mes études, que je vais gâcher ma vie. Quel hypocrite faux cul ! Il
est jaloux de moi et peut-être a-t-il des vues sur Mahiki. Car quand même,
aussitôt rencardé par Mam ou Christine, il fonce en voiture à Arudy !
Mais si je veux garder un bon esprit, je pourrais rattacher cette action
à une autre intervention disons sécuritaire lorsqu’il nous rattrapa, Hervé
et moi en vélo, sur la route de Gan [Quand ?] pour nous confisquer le
matériel d’escalade et ainsi bloquer toute tentative aventureuse et montagnarde.
Sauf que cette fois-ci l’enjeu est plus ambigu.
Il est vrai qu’avec l’expérience Christine-Bernard il a peut-être des
raisons personnelles de s’inquiéter. Il ne voit pas de rapports homme-femme
autrement que par la baise et parfois (quand ça l’arange), le mariage.