1950jm : 8 ans-9 ans - Année scolaire 9ème (CE2) à l’Immac avec Mme….
Lundi 3 Octobre 1949 - Je suis heureux dans cette classe de 9ème.
J’y ai retrouvé mes copains de Saint Maur et les programmes me plaisent.
La rigueur des bonnes sœurs de Saint Maur porte ses fruits. Succès
scolaires donc, comparés à ceux d’autres élèves qui peinent à suivre.
Je me vois encore en train de regarder par dessus l’épaule d’un voisin
qui est en train de mettre un s sur un mot qui se termine par z. Je
crois lui avoir dit que ça ne se faisait pas mais il ne m’a pas cru.
Il avait retenu une règle et oublié d’apprendre les exceptions.
Avantages d’être scolarisé à l’Immac, c’est nettement plus près de
la maison et je suis enfin débarrassé de mon insupportable sœur. De
plus je pourrai bientôt faire le parcours en vélo. Le standing monte.
Dans la soirée, après l’école et avoir marché un bout de chemin avec
Hervé (qui habite tout près de l’Immac), et fait parfois les 400
coups, je vais goûter et rédiger mes devoirs dans le calme serein de
la chambre de Blanche, sur une petite table spécialement aménagée
pour moi, loin du chahut et du désordre permanent de la Petite Maison.
En face de moi ma grand-mère est en train de lire en profitant de la
lumière dispensée par une grande fenêtre donnant sur la partie sud
de son jardin. A ma droite un poêle à bois rudimentaire, simple
parallélépipède de mince tôle, mais qui dispensait en hiver une douce
chaleur bienfaisante, propice à la réflexion. C’est d’ailleurs dans
ce contexte de rassurante tranquillité que j’ai été témoin du changement
de mon écriture, ce qui m’a procuré le plus grand des plaisirs. D’une
écriture de chat ébouillanté au sortir de Saint Maur et de ses nones
à la gifle allègre, je me retrouve progressivement en train d’élaborer
une écriture régulière, agréable à regarder, couvrant la page blanche
d’un graphisme réparti harmonieusement. La rédaction des « devoirs »
devenait un plaisir. Je maîtrisais enfin l’écriture cursive
Le reste de la pièce où vivait ma grand-mère, bien que vaste,
était un tantinet encombré car tout pour vivre devait s’y trouver
rassemblé. Sur le plancher, au centre de la pièce, un tapis de laine
épais qui garde belle allure malgré son âge et sur lequel les enfants
pouvaient jouer. A l’Ouest et de gauche à droite une grande armoire en
acajou, vaste garde-manger rempli de biscottes, sucre, pain, biscuits
variés etc. ainsi que d’autres objets que je n’ai jamais eu l’occasion
d’identifier, tels que théière, cafetière, nappe, serviettes de table
et autre. A droite de l’armoire une magnifique cheminée de marbre rose
supportant une belle pendule que Blanche remontait scrupuleusement tous
les15 jours, pendule
dont les tic tac rythmaient le temps qui passe. Elle était surmontée d’une
grande glace. Le poêle mentionné plus haut était connecté à cette cheminée.
Ma grand-mère Blanche était hostile au chauffage central qui équipait
la maison. A quoi bon tout chauffer alors qu’elle n’occupait qu’une seule
pièce ? La chaudière trônait au loin dans une buanderie froide du rez-de
-chaussée. Chaudière qu’il fallait alimenter avec un charbon sale stocké
dans une soute obscure, chaudière qu’il fallait débarrasser de ses cendres
régulièrement. Une plaie pour elle.
Plus loin à droite de la cheminée, sur le même mur de l’Ouest, un guéridon
et de menus objets-souvenirs, de petits sous-verres de ses parents, de
son frère Louis, mort jeune, genre d’objet qui se trouvaient également sur
le tablier de la cheminée mentionnée plus haut.
Contre le mur Nord de la pièce, de gauche à droite, à nouveau un guéridon
supportant un énorme poste de radio aux gros boutons et au dos arondi, réglé
sur la radio nationale qui dispensait des « nouvelles » teintées de propagande.
Sous le poste un tourne-disque 33 tours, acquisition récente, et des disques
de musique classique. A droite de toute cette technologie, le lit, grand,
large, majestueux. Au-dessus du lit, accroché au mur, une grande photo richement
encadrée de son premier mari, mon grand-père, en tenue d’officier de
l’armée, Joseph Jean Marie Ollivier. Blanche ne l’a jamais décroché, même
en présence de son second mari, l’insignifiant Eugène Meyjonade. Elle ne
m’expliqua jamais de quoi il était mort. Guerre de 14 était suffisant.
Et pour cause. (voir [1867]). A droite du lit en regardant le mur, la
table de nuit et tout le nécessaire dont lampe de chevet, livre… Et encore
à droite une porte donnant sur une anti-chambre s’ouvrant également sur les
toilettes et la salle de bain. C’est cette porte que je franchissais pour
rendre visite à Blanche. Frappè-je à cette porte avant d’entrer ?
Mur Est, de gauche à droite, une porte protégée à l’extérieur par un
lourd rideau, donnant sur le vaste « hall » et quasiment condamnée. A sa
droite une grande armoire normande aux portes sculptées de motifs,
très beau meuble contenant la garde-robe figée de Blanche. Laquelle
ne s’encombrait pas de falbalas et restait habillée simplement, sauf
pour sortir en ville faire des courses, lorsqu’elle le pouvait.
Mur Sud, de gauche à droite : une grande commode à tiroirs sur
laquelle était posée une belle horloge ancienne, à côté de laquelle
vint s’inviter un jour un combiné téléphonique, grande concession de
Blanche à la modernité, concession qu’elle pressentait indispensable.
Ce combiné, noir et massif, était proche de sa chaise-longue et de
la fenêtre qui éclairait le mur au sud. Au-dessus de la commode, le
portrait d’un ou d’une ancêtre apportait par son évocation la sérénité
qui séyait au dernier lieu de vie de ma grand-mère.
Voilà la chambre de vie de ma grand-mère Blanche, que j’appelais
Marraine, telle qu’elle reste à jamais dans mes souvenirs.
Blanche, veuve, seule, entourée d’êtres vivants ne l’aimant pas,
voire hostiles ou intéressés, laissait s’écouler le temps étendue sur
sa « chaise-longue » ou dormeuse, à lire ou tricoter, près de la fenêtre
d’où elle guêtait quelques mouvements improbables dans son jardin, avec
ses poules, ou sur l’allée voisine qui desservait la Petite Maison,
simplement curieuse de la vie alentour, afin de meubler ses journées
solitaires. Ma mère, qui pensait être observée et jugée lorsqu’elle
était à portée de vue de sa belle-mère abhorrée, traitait devant nous
ma grand-mère de vieille araignée et autres qualificatifs déshonorants
(pour elle). Elle la détestait et le faisait savoir à qui voula
it l’entendre, même à ceux qui n’en n’avaient rien à faire. Sans
rémission. Blanche habitait à 50 mètres de la Petite Maison – qu’elle
avait fait bâtir pour son fils avec ses sous – et, de mémoire, elle ne
fut jamais invitée pour un repas ou un simple thé. Au cours de ses
lectures elle me lisait parfois quelque passage qui l’avait interpellée,
comme celui de la « clé des générations futures ». Je ne compris que
bien plus tard ce qui avait suscité son intérêt et sa surprise : à 72 ou
73 ans, après deux mariages elle découvrait enfin, avec une horreur
teintée d’envie, la fellation. Sûr qu’elle n’avait jamais dû tailler de
pipe à ses conjoints, et amants peut-être. A son ton j’ai senti que ça
lui avait enfin, mais trop tard, ouvert des horizons !
S’étant abonnée à une guilde du disque et équipée du matériel idoine
elle prenait plaisir à écouter, et me faire écouter, ce qu’elle appelait
la grande musique en se passant des microsillons 30 cm. « Quelle scie
disait-elle d’une musique qu’elle n’appréciait pas. De même que tous
les importuns étaient des « enflés ». Du plus loin que je me souvienne
je l’ai aidée à entretenir son jardin. Pour elle – qui portant n’avait
jamais travaillé – tout travail mérite salaire. Elle me donnait donc un
petit quelque chose en pièces jaunes pour mes prestations. Je sollicitais
aussi moi-même un travail auprès d’elle lorsque j’avais besoin d’un peu
d’argent pour acheter une bd ou autre chose. Car chez nous pas de
distribution d’argent de poche. Mais c’est un bon moyen d’éducation
pour montrer que l’argent ne tombe pas du ciel.
Vers 19 h elle allumait son énorme poste radio à lampes, qui avait
traversé les générations, pour écouter les informations. Surgissait
alors, presqu’immenquablement, son fils Robert qui entrait sans frapper,
et lui intimait l’ordre d’éteindre immédiatement sa foutue radio car
il avait des choses importantes à lui dire, ou plutôt à lui demander.
Il avait toujours besoin d’argent et la pension que fournissait cette
mère à cet enfant mal élevé hyper gâté n’était jamais suffisante.
C’est simple, pour obtenir satisfaction il commençait par engueuler
sa créditrice. Et le pire, selon moi, c’est qu’il obtenait généralement
satisfaction. La peur qu’il s’en aille ? Réflexe de mère sans doute.
Mais quel exemple déplorable pour un enfant de 8 ans.
Durant les 10 années où j’ai vraiment connu ma grand-mère Blanche je
l’ai toujours vue habiter cette chambre solitaire de la villa El Patio
et parfois, en été, profiter de son jardin depuis le petit kiosque de
loisir bâti devant la façade nord de sa villa. J’en ai un souvenir amer, pour elle.
25 Juin 1950 - Au cours d’un séjour à Gourette, escalade de l’arête
des Coutchets au Ger avec mon père, Popo et d’autres. C’est évidemment
Popo qui a assuré le spectacle. Alors que j’avais l’estomac noué de
terreur à la vue de ce qu’il fallait bientôt grimper, elle est partie
dans un grand discours sur ce qu’il fallait éviter de manger si on
voulait échapper à ce qui lui arrivait présentement : une énorme
chiasse. Et de se précipiter derrière un caillou, à peine cachée,
car le petit col est exigu, et de lacher bruyamment un flot puant
dont les arômes exquis empuantirent bientôt l’air si pur de la haute
montagne. Sitôt recullotée elle se confondit en excuses avant
d’engueuler ceux qui se moquaient d’elle en leur souhaitant les
pires malheurs chiatoires afin qu’ils comprennent mieux.
Telle était Popo.
Malgré les apparences trompeuses l’escalade de l’arête Est du
Ger fut facile. Une grande satisfaction pour moi, ainsi qu’un
profond soulagement. A cet âge les escalades ne m’intéressaient
pas et je ne me voyais pas du tout faire carrière dans ce sport
de fou. Le « cassé figure » de l’enfant de six ans était
toujours d’actualité pour moi à 8 ans.
Octobre 1950, rentrée scolaire en classe de 8ème (CM1) dans
la même école (l’Immac).