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1955 - Quid de la vie de Mam dans la Petite Maison ?

Photo : Vue partielle de la cuisine de la Petite Maison

La vie rêvée de Mam dans cette "petite" maison

Qu’en est-il de Mam, de ses activités, elle qui ne "travaillait" pas»
selon son mari et donc était censée se rouler les pouces pendant que le
père de famille vaquait à de "nobles taches" pour soi-disant assurer l'avenir
et que les enfants usaient leur fonds de culotte sur les bancs de l’école ?
La première levée c’était Mam. Avant toute chose elle devait réactiver
l’antique cuisinière à bois de la cuisine. Elle fonctionnait toute
l’année pour fournir à la demande chaleur et eau chaude. Nous ne
sommes pas chez Néandertal mais au 20ème siècle. Or ici ni chauffe-eau
ni frigo. Pendant que le petit déjeuner réchauffe, elle va
secouer les dormeurs, débarbouiller les petits et surveiller ce que
font les grands pour qu’ils partent propres et bien coiffés et pas
habillés et chaussés n’importe comment.
Dans une maison devenue calme il s’agit de faire les lits tout d’abord,
laissés dans le plus grand désordre, après avoir aéré draps et
couvertures. Le ménage ensuite, obligatoirement quotidien, avec pour
seules armes un balai (pas d’aspirateur), des serpillères, une tête
de loup... tout doit y passer : chambres, séjour, cuisine, salle de
bain, escaliers. Vient ensuite la vaisselle sale de hier soir et du
petit déjeuner, vaisselle nettoyée à la main dans l’évier de la cuisine
(pas de machine), avec l’eau chaude puisée au réservoir spécial de la
cuisinière. Et ne pas oublier deux ou trois fois par semaine de vider
les poubelles dans un coin discret de la propriété, ce qui suppose
traverser un champ d’herbes hautes, jamais entretenues et humides
la plupart du temps. [C’était au temps où cette zone était à la périphérie
de Pau, en pleine campagne en fait. Le ramassage des ordures ménagères
n’intervint que dans les années soixante].
L’hiver c’était toujours elle qui se chargeait de
l’entretien de la chaudière à charbon, pour l’alimenter et évacuer
les cendres, surveiller la circulation de l’eau chaude, purger les
radiateurs etc... S’il fait froid dans la maison c’est elle qui se
fait engueuler.
Et dans une famille de six personnes le linge sale s’accumule de façon
récurrente, inexorable. Et la seule personne qui doit tout faire pour
éviter de crouler sous des tonnes de linge sale est notre mère. Son
outil de travail est un lavoir antique en béton, partie intégrante de
la Petite Maison, com-portant deux bacs et un plan incliné pour nettoyer
le linge. A l’eau froide ! Pour les linges sales ré-calcitrants elle
utilisait une lessiveuse, antique elle aussi, chauffée par un réchaud
à pétrole. On n’était pas loin du lavoir municipal installé au bord du
ruisseau voisin avec ses lavandières munies d’un battoir et penchées
sur leur ouvrage, leur pénible ouvrage, rien de sexy là-dedans. Elles
parais-saient toutes vieilles avant l’âge.
Et venons-en maintenant à l’objet du scandale, de la honte, de l’abandon,
de la calomnie et j’en passe : les courses. Mam doit « faire tourner
la barraque » et pour cela l’approvisionner avec les choses nécessaires
à la vie de toute la famille : nourriture, produits d’entretien,
vêtements des uns et des autres, produits d’intérêt général tels
draps et couverture, rideaux, tentures, tapis, couvre-lit, que sais-je,
les sujets ne manquent pas dans une maison abritant six personnes,
plus le chat de la famille dont il faut aller quémander la nourriture
au boucher du quartier qui fournit gratuitement abats et « mou »
(poumons). Pas de Whiskas ou de KiteKat en ce temps-là, le budget
bouffe n’y suffirait pas de toutes façons. Et si le pauvre chat crevait
la dalle, il n’avait qu’a chasser - ce qu’il était obligé de faire
lorsque la famille partait en vacances.
Malgré tout Mam aimait sincèrement les animaux. Vingt ans après elle
parlait encore avec émotion de Jip, un chien exceptionnel de Marraine.
Rien de tel chez le paternel - quoiqu’il en dise - n’a-t-il pas un jour
fait mettre bas prématurément une pauvre chatte qu’il avait jetée par
la fenêtre ? Ou un chat qu’il avait enfermé dans une malle remplie de
grains et grouillant de souris. Con à ce point c’est grave.
Mam doit donc aller en ville faire les courses. Son budget est serré.
Le maître ne lui alloue que ce qu’il estime être nécessaire. Mais qu’en
sait-il ? Il n’a jamais fait de courses de sa vie et s’en garderait bien.
Pas assez noble pour lui... Le maître sait. Il sait que lorsque Maïté
s’est mariée avec lui elle était si pauvre que son trousseau se ramenait
à très peu de choses. Quelques maigres oripaux et quelques souvenirs
personnels. Tandis que lui, fi-fils à sa maman, il amenait dans sa corbeille
une belle villa toute neuve et meublée, plantée dans un grand terrain,
un champ comme nous disions, une belle voiture dernier cri et une
garde-robe de nabab. Chez les Froment [famille d’origine de sa mère]
n’avaient de valeur et d’intérêt que ceux qui pouvaient se revendiquer
d’une fortune personnelle. Malgré ses déboires familiaux avec le père
de son fils, modeste et sans fortune, sa mère continuait à transmettre
ce critère rédhibitoire : pas riche donc pas bon. Et vlan sur la
belle-fille de modeste extraction, la voilà estampillée pauvre donc
pas bonne. Imprégné de cette culture discriminatoire le fi-fils à sa
maman fit sien ce critère et considéra la mère de ses enfants comme une
simple bonne à tout faire (une « bonniche ») durant tout le temps où
dura leur union officielle (1938-1967). Son Cahier Vert, rédigé en 1967,
est sans ambigüité sur cette question. Et de là à la charger de tous
les défauts il n’y a qu’un pas qu’il a franchi allègrement. Non que
Mam soit exempte de défauts, mais c’est vraiment vicieux de lui
trouver des défauts imaginaires ou de tordre la réalité et de
transformer ses qualités en défauts.
Il avait donc tous les droits sur elle, car, pauvre, elle ne
valait donc rien et son seul projet était, selon lui, de lui bouffer
la laine sur le dos, en d’autres termes le ruiner.
Et le voilà, tous les matins, satisfait et fier de lui, qui fait
chauffer consciencieusement la berline qu’il utilise pour le transporter
sur son lieu de travail, à quelques kilomètres seulement. Et Maïté
et ses courses ?
Qu’elle se démerde. Je distribue le fric et puis quoi
encore ? Il ne veut rien voir ni savoir. Mais à midi et ce soir vers
20 heures il sera là, et critiquera éventuellement le menu, les
dépenses, selon son humeur qu’il faudra supporter.
Mam n’avait pas de voiture à sa disposition, or
c’est elle qui devait transporter un maximum de choses. On peut
considérer qu’en 25 ans elle a véhiculé de la ville au domicile plus
de 80 tonnes de victuailles et autres nécessités. Valeur basse selon
moi. Elle ne possédait pour cela qu’une modeste bicyclette dont
le dérailleur avait disparu depuis longtemps, mais construite en
tubes Reynolds di-sait-elle fièrement.
Je ne vois pas de sacoches sur cette bicyclette, Mam accrochait ses
paniers au guidon, pas fameux pour l’équilibre de l’équipage. Sans
compter les risques liés à la circulation. Elle fut projetée deux fois
à terre, une fois par un bus, une autre fois par la voiture d’un
conducteur pressé. Le centre ville et le marché étaient assez éloignés
de la maison et les transports en commun étaient très rudimentaires.
De l’Avenue de Lons il n’y avait qu’une seule ligne de bus qui desservait
la place Clémenceau, elle-même à l’écart du marché. Mam y achetait
l’essentiel des provisions de bouche pour la famille, lesquelles étaient
à renouveler fréquemment car il n’y avait pas de réfrigéra-teur dans la
Petite Maison, rien que de simples garde-mangers à température ambiante.
On peut dire que durant son séjour dans la Petite Maison de 1938 à 1958
puis à El Patio de 1959 à 1967, Mam fit plusieurs milliers d’aller-retours
en ville avec son petit vélo, toujours le même. Chagriné par cet état
de chose et ayant déniché une 4CV d’occasion j’avais tenté d’initier
Mam à la conduite automobile. En vain, après des décennies sur son petit
vélo elle ne savait plus conduire autre chose.
Jamais de mémoire d’enfant ce père de famille imbu de
sa personne et sa petite voiture à lui n’offrit ses services pour
soulager Mam de ce pensum insupportable. Cela ne l’empêchait pas de
critiquer l’addition sans jamais se renseigner sur le prix des choses.
Or, au marché, Mam discutait âprement les prix pour faire des économies,
toujours des écono-mies, une obscession. Dans mes jeunes années il m’est
arrivé de l’accompagner et j’ai pu voir avec quel brio elle savait faire
baisser un prix. De cela le père Ollivier était bien incapable. Mam était
constamment à l’affut des soldes, pour les vêtements et le linge de maison
par exemple. Le magasin Dinand, proche du marché reçut souvent sa visite.
Elle « faisait des affaires » indubitablement, mais parfois un peu trop,
par excès de zèle économique partant d’une bonne intention. Résultats :
pro-chain repas familial gâché par des hurlements à connotations économiques,
les enfants étant pris à témoin. A témoin de quoi ? Nous n’y comprenions
goutte et ce d’autant qu’immanquablement la conversation dérivait avec
violence sur des allusions à des faits que nous ignorions.
Cette histoire a commencé avec une dispute entre les parents et elle
finit de même. Ils ont tous les deux pourri la vie de leurs enfants.
Lesquels abordaient les moments du repas, qui auraient dû se passer
sous le signe de la convivialite et du partage, avec anxiété, voire
plus. Nous redoutions par-dessus tout la phrase ou le mot qui déclencherait
les hostilités. Il nous est arrivé de nous enfuir de la table familiale,
désespérés, pour nous réfugier dans un coin de la maison, loin du vacarme,
des in-jures, des noms d’oiseau balancés sans vergogne et sans pudeur
en notre présence muette. Attitude irresponsable d’adultes immatures .
Nous voulions fuir cet enfer, et pendant que les assiettes volaient
bas dans la salle à manger, nous rêvions de fuite, d’une autre famille,
imaginions une stratégie pour nous faire adopter ailleurs, nous
rêvions de leur échapper à tout jamais. Nous commencions à les
détester, n’arrivant pas à faire la part des choses entre les
torts de l’un ou l’autre.


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