Photo : Thérèse jeune
1875-Année de naissance de George Henri Sarrailhé, dit Grorge,et que Maïté ma mère
appelait "Parrain"(17 Févrie 1875 à Pau – 13 Mars 1957 à Pau). Fils de Marie Anna Laslandes et Joseph
Sarrailhé, frère de Mamie (ma grand-mère marernelle) oncle de Maïté.
Deux ans plus tard naissait sa petite soeur Thérèse en 1877 et qui vécut
jusqu'a 1961, ce qui me permit de la connaître.
Qu’a donc fait George dans la vie ? aucune idée en ce qui me concerne ;
je n’écris ici que ce que j’ai vu ou pu apprendre au fil des conversations
des uns et des autres et de la perception que j’ai eue d'eux lors de mes visites..
Peu d'éléments connus également sur la vie de la belle Thérèse. Lorsque je
l'ai connue elle était déjà très âgée et peu bavarde. A la voir recroquevillée
dans son fauteuil penchée sur des ouvrages de couture je ne pus imaginer
qu'elle fut dans les temps passés la jolie personne que l'on peut admirer sur
les photos. Le tort des jeunes est de penser que les vieux ont toujours été vieux !
Tout le monde s'accordait à dire que c'était une artiste. Peut-être a-t-elle
"fait" les Beaux-Arts comme son frère Henri (mon parrain) qui devint architecte.
Aucun évènement notable dans la vie de Thérèse si ce n'est le bénéfice
d'un héritage inatendu provenant d'un parent lointain qui avait peut-être
aimé la belle artiste. Toujours est-il que ni elle ni George ne se sont
mariés. On ne leur connaît ni conjoint ni enfants.
Grâce à l'héritage tombé du ciel Thérèse put marérialiser un rêve dont la
réalisation était jusqu'alors impossible étant donnés ses faibles ressources
d'artiste : posséder une maison et surtout un jardin dans lequel elle pourrait
élever ses amies les plantes.
Devenue propriétaire les sollicitations ne manquèrent pas. Elle, l'artiste
modeste sans le sou était propriétaire, autrement dit bourgeoise. Les jalousies
allaient bon train dans la famille. Déçue par l'attitude de ses proches, elle
se renferma dans son petit domaine, continua à jouer de la mandoline pour charmer
les oiseaux du jardin et fit des plantations à son goût, autrement dit des plantes
rares agréables à regarder, des fleurs parfumées pour attirer les papillons etc.
Le génie artistique de Thérèse pouvait enfin s'exprimer. Les jours de mauvais
temps c'était lecture et broderie. Une vie tranquille qui ne devait rien à personne.
Elle pensait naïvement qu'il en serait toujours ainsi. De temps en temps elle
invitait son amie Jacky pour boire un thé ou un café dans le jardin en écoutant les grillons...
Mais une vie aussi parfaite et tranquille ne pouvait pas durer. Voilà-t-il pas
que son frère aîné George, criblé de dettes, se trouvant dans la dèche, ne sachant
ou aller, appelle au secours Il ne veut pas finir dans la rue. La famille fait
la sourde oreille, arguant qu'elle a assez de soucis comme ça. Désespéré George
se tourne vers Thérèse sur les conseils fielleux et pleins de sous-entendus
de sa famille . Laquelle Thérèse n'en revient pas. Voilà quelqu'un de la famille
qui la snobait et qui a besoin d'elle. Et son bon cœur prenant le dessus elle
demande à George de venir lui parler de ses misères. Il ne se fait pas prier et
arrive un après-midi, une valise à la main. Thérèse n'a pas besoin d'explications.
Voyant le désarroi de George elle lui offre tout de suite le gîte et le couvert.
Soulagé il accepte et restera là jusqu'à sa mort.
Mais ce n'est pas fini. Comme quoi posséder quelque chose attise la convoitise
de ceux qui n'ont rien, même si c'est de leur faute.
Le pire, si l'on peut dire, reste à venir. Un vague neveu, Gérard Cabanne, fils
d'une sœur de Thérèse vient de se marier avec une personne d'origine turque
et de confession juive, Marguerite, qui attend un enfant. Gérard est encore
en formation à la SNCF et en tant que stagiaire ses revenus sont faibles. Que
faire, où aller, où loger ?
Mise au courant, Thérèse leur propose de loger à l'étage de sa grande maison,
étage dont elle n'a elle-même aucune utilité. Elle pense que ce n'est qu'un
dépannage charitable et temporaire. Dépannage qui va perdurer jusqu'à sa mort
en fait. Deux enfants Cabanne naissent, Jacquekine et Michèle, et Gérard
trouve un emploi fixe (on dirait CDI aujourd'hui) comme cheminot. Tout semble
aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Thérèse est heureuse de
sa bonne action. Pas un instant elle ne se doute qu'elle vient de laisser
entrer un couple de coucous dans sa maison Intrinsèquement honnête elle
pense que tout lemonde lui ressemble. Fatale erreur. Tout son petit univers
va disparaître, broyé par des gens frustres et terre à terre, incapables de
la moindre poésie, et encore moins de comprendre Thérèse si réceptive aux
beautés de la nature
Ce pauvre George et sa sœur Thérèse vivaient reclus, dans deux chambres
se faisant vis à vis, de part et d’autre d’un couloir, chacune ayant
une fenêtre donnant au sud sur le jardin qu’ils ont tant fait prospérer
dans leur jeunesse. Mais maintenant qu’ils sont vieux, fatigués et
handicapés, ce merveilleux jardin n’est plus qu’un lointain souvenir.
Ne restent que les fruitiers que les années ont amené à maturité et
au-delà. Ils sont magnifiques et de leur fenêtre, grâce à eux, George
et Thérèse peuvent suivre le cycle sans cesse renouvelé des saisons.
Les cerisiers sont les premiers à se couvrir de fleurs, puis les
pruniers, les pommiers, les poiriers, les pêchers, avant de se charger
de fruits succulents. Thérèse couve du regard pendant de longs moments
un grand figuier qui pousse à quelques mètres de sa fenêtre, particulièrement
généreux à la fin de l’été, et George a une faiblesse pour son grand
noyer vert foncé qui fournit des noix dignes de Gulliver, l’automne venu,
en même temps que le beau châtaignier du fond du jardin laisse tomber
ses bogues piquantes partout sur l’herbe. Assis dans leur fauteuil ils
laissaient ainsi sagement le temps s’écouler, n’attendant rien d’autre
de la vie. J’avais l’impression que personne ne venait leur rendre visite,
comme s’ils n’avaient plus aucun intérêt, qu’ils étaient déjà morts.
Pourquoi ? me demandai-je.
J’en parle ainsi car, tout gosse, je venais profiter de ces merveilleux fruits
un peu de la même façon que de ceux du jardin de la Petite Maison, planté
par mon père de beaux et généreux arbres fruitiers, à l’époque de la
construction de la maison de mon enfance (1938-1939).
J’aimais bien George. Sa seule compagnie était son poisson rouge,
en dehors de la contemplation des arbres de son jardin. Parfois le poisson,
s’ennuyant ferme dans son minuscule bocal sphérique dans lequel
il passait son temps à tourner en rond, tentait d’attraper une mouche
en sautant hors de l’eau, et ne retombait pas toujours dans son aquarium.
Hurlements de George après cette pauvre créature qui se débattait sur
le parquet et attendait qu’un âme charitable vienne à son secours.
Impossible pour George, handicapé, de venir en aide à son poisson rouge.
Mais heureusement ses hurlements (de colère ? d’appels au secours
?) alertaient sa petite nièce Michèle (ma cousine, fille de Gérard
Cabanne et de Marguerite Amoraben) qui vivait à l’étage de la maison
avec ses parents et sa sœur Jacqueline. Il suffisait qu’elle descende
un escalier pour remettre le pauvre poisson rouge, toujours vivant,
dans son bocal. Selon elle, grande zoologue devant l’éternel et
spécialiste de l’éthologie des animaux domestiques, cette pauvre bête
ne supportait plus le spectacle de l’être inactif et avachi dans son
fauteuil qu’elle avait en face d’elle du matin au soir, et préférait
mourir plutôt que de supporter ça. Nous étions en présence du suicide
du poisson rouge de George, et non devant un simple accident de chasse.
Et chaque fois qu’on évoque George, Michèle parle du suicide de son
poisson rouge. Une vraie fixation ! Etait-ce tout ce qu’elle connaissait
de George, pensait-elle comme ce que le poisson rouge était censé penser
selon elle ? Il y avait du mépris que Marguerite ne se privait pas
d’entretenir, pour le peu que j’ai entendu de sa bouche et vu dans
son regard. Du genre « ne finis pas comme ça » ou « ça n’a que trop duré ».
Lorsque George meurt, le 13 Mars 1957, à 82 ans, service
funéraire minimum, organisé au plus économique par ma tante Marguerite,
épouse de Gérard Cabanne. Petit neveu de ce grand-oncle étrange,
je n’ai même pas été mis au courant. Comme si rien d’important ne
s’était passé ; Et d’un. Les grandes manœuvres pour récupérer la
maison de George et Thérèse vont commencer. En fait cette maison
appartient à Thérèse, à la suite d’un héritage. Voilà une bonne
héritière, âgée, seule et sans défenses.. L’oncle Gérard va laisser
faire, trop content de récupérer gratos un logement de cette qualité.
Tu parles, une maison avec trois niveaux et tout près du centre
ville dans un quartier tranquille et possédant un immense jardin.
Ça n’a pas de prix !
Et les projets vont bon train, initiés par Marguerite et exécutés
intégralement par Gérard, l’homme à tout faire, à ses moments libres
[son travail à la SNCF commençait très tôt – du fond de mon lit,
à El Patio, j’entendais sa petite moto passer dans la rue aux aurores,
généralement par nuit noire, en route pour la gare de Pau. Bien
du plaisir vieil oncle pensai-je ! Il était conducteur de train,
généralement sur la ligne Pau-Canfranc, ce qui lui permettait de
nous ramener des produits d’Espagne –jambons, cuisse de mouton,
tabac…] et il rentrait assez tôt pour s’atteler aux travaux de
rénovation exigés par Marguerite. Il y sacrifiait également tous
ses WE. La vie rêvée d’un cheminot en somme.
Tout d’abord isoler le rez-de-chaussée, afin de le louer un bon
prix lorsque Thérèse aura vidé les lieux, ce qui ne saurait tarder
: construction d’un escalier extérieur rejoignant directement
l’étage où habite la famille de Gérard. Voilà une option tacite et
non négociée pour une occupation permanente et gratuite des lieux.
J’ai assisté, de loin, à cet exploit de super bricoleur,
un vrai travail de pro. Très doué Tonton Gérard. Monter un
vertigineux escalier en béton d’une solidité à toute épreuve sur
une façade aveugle, dans laquelle il fit une ouverture où il
aménagea la nouvelle entrée de la maison.
Ce travail terminé il construisit un immense hangar destiné
à abriter son atelier et ses outils. C’était son rêve. Ceci en
sacrifiant une grande partie du potager où Thérèse n’allait plus
depuis longtemps, mais en lui bouchant la vue sur le reste de son
jardin et en éliminant son figuier chéri.
A la place du gazon moelleux qu recueillait les fruits mûrs et
abritait les grillons et après avoir défoncé le terrain il mit en
place un "vrai" potager, avec des légumes utiles à ses yeux :
patates, choux, carottes, poireaux, betteraves, haricots, tomates,
citrouilles, cornichons épinards etc...
Et puis il y avait la cour. La cour se situait dans l’espace qui
séparait la maison de la rue. George et Thérèse, surtout Thérèse,
une vraie artiste, y avaient créé un véritable petit parc à la
japonaise, avec mini bordures de buis, rosiers, fleurs rares, petite
rocailles disséminée ça et là avec leurs plantes endémiques. Un
vrai bijou qui me remplissait d’admiration quand j’étais gosse, et
auquel je pense encore. Mais qui ne remplissait pas d’admiration
la mère Marguerite, ni ses filles d’ailleurs, tout à fait indifférentes
à cette « verdure ». Marguerite y voyait un espace à entretenir et
ne tenait pas à s’y consacrer, bien que ne travaillant pas. En plus,
lorsqu’il pleut on se salit les pieds, on amène de petits gravillons
dans la maison. Décision sans appel, il faut que cette cour soit
« propre » ! Sans compter qu’on ne va pas vivre éternellement avec
la seule petite moto de Gérard comme moyen de déplacement, on va
pouvoir enfin se payer une voiture. Qui stationnera dans la cour,
bien évidemment.
Et en avant l’opération propreté ! Les plantes délicates du
petit jardin finissent au compost, les plates-bandes sont nivelées
et le sol est recouvert de dalles en béton coulées par Gérard. C’est
enfin propre… et horriblement laid. Pour parfaire le désastre un
abri style favella de Rio est édifié contre la maison dans un coin
de la cour, en guise de garage. Marguerite est satisfaite. A quoi
pourrais-je occuper ce fonctionnaire qui travaille si peu ?
cogite-t-elle maintenant. Epuisé, Gérard tomba dans une profonde
dépression et partit se réfugier chez sa mère, rue du Pin, à trois
rues de là. Et se vengea sur elle des sévices qui lui avaient été
infligées par Marguerite. Soulagé il retourna chez lui et trouva
le moyen de subir une terrible attaque cérébrale (AVC) qui le cloua
dans un fauteuil pour le restant de ses jours. Ce n’est pas un poisson
rouge qu’il désirait, mais plutôt son fusil de chasse – car il était
chasseur aussi, quand Marguerite lui en laissait le temps. Il ne rêvait
plus qu’au gros gibier désormais… Il n’eut jamais gain de cause,
rapport au fusil.
Clap de fin pour Thérèse
Naissance de Marie Jeanne Eugénie Thérèse Sarrailhé, dite Thérèse
(16 Janvier 1877–29 Juin 1961).
Elle est la troisième enfant de la grande fratrie de 10 enfants
issue du couple Joseph Sarrailhé - Marie Anna Laslandes, mariés en 1872.
Modeste fleur d’hiver emportée dans le vent mauvais de la vie.
Elle aura vécu 84 ans. Lorsqu’elle est décédée je rentrais des
Calanques, et le 1er Juillet 1961 j’ouvrais la fantastique Cima
Ovest d’Arudy avec Hervé. Nous y avions hissé Maïky sur une
partie de la voie ! Coup d’envoi aux catastrophes subséquentes.
Je n’ai pas eu vent de la mort de Thérèse ni de son enterrement,
elle si discrète, si cachée et moi dont tout le monde pensait
que ces choses ne me concernaient pas, que j’en étais forcément
indifférent. Mais qui fut réellement informé dans la famille ?
Allez hop, au trou ! Que nous disposions enfin de toute la maison !
fut sans doute son oraison funèbre…