Dimanche 12 Mars 1961 – Début de l’épopée Maw-Maw (ou Mahaut)
Equipe Hervé-Jean Véhicule Maw-Maw – Balade dans la campagne.
Exploration de la résidence Mirabelle en constructio avec la mère d’Hervé.
Sages, aujourd’hui. Repos. Concentration pour le grand jour, si toutefois il a lieu. Et puis Hervé doit travailler, paraît-il.
Ainsi le matin vers 11 h nous enfourchons Maw Maw (la moto) et nous fonçons.
Petite parenthèse explicative : Maw Maw est une moto 125 cm3 monocylindre culbutée (les motards comprendront), capable de monter haut en régime d’où son nom traduction d’une onomatopée. Plus tard elle prendre le nom de Mahaut, plus civilisé, plus féminin. Ce nom lui sera attribué par les sœurs de François Fougère. Hervé l’a acheté à un copain de classe de l’Immac, et je ne sais toujours pas s’il a le permis de conduire cet engin. Peu importe, il fait comme si.
Ainsi donc nous fonçons, la moto va nettement plus vite que le vélomoteur et elle supporte vaillamment nos deux personnes. Buros… Morlaas…, non sans quelques petits ennuis mécaniques. Il fait beau et bon. Je prends le guidon pour rentrer sur Pau depuis Morlaas et pousse une pointe, ô merveille, à 90 km/h.
L’après-midi Hervé a promis de travailler (il s’agit du bac). Mais pour être mieux préparé à ce dur labeur prendre un l’air est indispensable. Ça ne prendra pas longtemps promet-il à sa mère [venant d’Hervé il faut se méfier]. Et nous voilà sur Maw Maw qui nous traîne à travers la campagne profonde, sur des chemins tous plus épouvantables les uns que les autres. Et tout finit comme il se doit : l’axe se la roue avant se rompt, au grand désespoir d’Hervé. Il nous faut un moment pour que nous nous décidions à pousser ce « sale engin », déjà, sur plusieurs km en franchissant au passage une falaise de terre par un chemin creux. Nous sommes fiers de notre exploit. Et c’est toujours à pied en poussant la moto qui geint tristement que nous regagnons la maison familiale d’Hervé où sa mère l’attend en regardant sa montre.
« Mais où sont les vitesses d’antan ? »
La maman d’Hervé nous prépare un goûter réconfortant pendant qu’Hervé nous passe un disque de musique. Pour digérer nous allons explorer la résidence Mirabelle en construction presque en face de la maison des Butel en compagnie de la pauvre mère d’Hervé que nous semons dans les 10 étages de ce building mais qui arrive à les monter. De là-haut on découvre une vue étonnante sur la ville de Pau et sur le Boulevard d’Alsace en particulier. [Cet immeuble existe toujours].
Puis la journée se termine, Herwick n’a pas travaillé. On peut dire qu’on ne s’est pas beaucoup foulé.
Information récupérée cet après-midi : la face Nord de l’Eiger aurait été gravie en hiver, en quinze jours. Autre chose que les « Quatre Pointes ». Quand et où va-t-on s’arrêter ? Vont-ils nous en laisser ?
[Pour répondre à la dernière question et sans minimiser la première ascension hivernale de la face Nord de l’Eiger qui nous paraissait presque inimaginable à l’époque, citons la performance du guide Suisse Ueli Steck qui gravit la face Nord en 2015 en 2h22 en solo. Même performance pour un autre Suisse Dani Arnold. Diverses faces Nord des Alpes sont tombées de la même façon (Walker en 2h, Cervin en 1h50 etc). Et maintenant on peut continuer à dire : qu’y aura-t-il après ces fusées ?
Page 85 du carnet
Vendredi 17 Mars 1961 – Quand je rêve aux Quatre Pointes
Rêve bleu
Le grand jour peut avoir lieu !! Toutes les difficultés ont été levées : la permission a été accordée, le père d’Hervé peut nous transporter avec sa voiture. On a les skis, les crampons, les piolets… Tout.
Il peut avoir lieu, mais aura-t-il lieu ? Voilà un mois et demi qu’il fait beau sans discontinuer, il est presque impossible que cela dure ! Mais rien que 8 jours, 8 jours seulement ! Tout le monde beugle qu’il va faire mauvais à Pâques, et de fait le baromètre baisse, la température augmente tous les jours. Pendant que nous moisissons dans ces boîtes à cafards infernales les plus belles journées que l’on puisse espérer se passent sur ce magnifique Ossau ; des journées où tous les espoirs sont permis : … départ 3h du matin… clair de lune… cramponnage de rêve (ou de cauchemar !)… Petit Pic aux frontales… Grand Pic à l’extrême pointe de l’aube… le Rein de Pombie dans le crissement des crampons… silence et paix… acrobaties délicates et aériennes sur la crête d’Aragon… photos… farniente court mais délicieux après l’effort sur la Pointe d'Aragon… puis les rappels dangereux… Pointe Jean-Santé dans une gloire de soleil… couloir de glace… puis redescente toujours délicate… cramponnage à la descente d’une pente raide puis la Grande Raillère… refuge… joie.
C’est un rêve… Où sera la réalité ? !
La réalité, nous tâcherons de la rendre telle que nous la souhaitons, il n’y a qu’à ce prix que nous serons heureux
Au bon plaisir de Mahaut
Après des années passées sur nos vélos (sans dérailleurs,
sans freins et sans lumière !) pour gagner nos terrains
de jeu favoris, nous avons pu enfin bénéficier des
services de Mahaut fier destrier à moteur, auquel
nous avons dédié les strophes suivantes qui racontent son histoire :
Ode à Mahaut
Plus vite que l'obus sur son orbe de feu
Mahaut jaillit de Pau, coursier fabuleux,
Miaulant par tous ses pores, secouant les maisons,
Elle fige le bourgeois dans ses plumes d'oisons.
Et, le souffle bloqué, la carcasse tremblante,
Il est alors la proie d'une peur délirante.
C'est ainsi qu'il connaît l'angoisse animale
Causée par les grands monstres aux tribus ancestrales.
Sautant à moitié nu de son lit entr'ouvert
Il y rampe dessous, le nez dans la poussière.
Et il finit la nuit, hocquetant de frayeur
L'œil hagard, le cœur fou, mort de froid et de peur.
Pénétrant dans la nuit comme un rayon de Lune
Nous forçons les espaces et disséquons la brume.
A cheval sur Mahaut nous jouons les éclairs
Et le fier destrier nous énivre de l'air
De la grande conquête toujours renouvelée
Des belles aventures sur son vieux dos pelé.
Le fauve se cabre sous l'accélération
Et il réclame alors toute notre attention.
La Mahaut se saoule en être primitif
De puissant carburant hautement explosif.
Elle frémit d'énergie et se lance au galop
Sur la route connue de la vallée d'Ossau.
Elle transperce les bourgs et coupe les virages,
Glapissant de fureur elle dispense sa rage
Aux pays alentours, et, rasant les passants,
Elle leur roussit le cuir de son souffle brûlant.
Piaffante et rugissante, cratère d'étincelles,
Elle lance un hurlement qui n'a rien de charnel.
Et lorsque l'habitant capte les grondements
Du terrible coursier lançant son hurlement
Dans l'instant qui suivra il ne pourra rien voir
Qu'une traînée de feu déchirant un fond noir
Crachée par les entrailles d'un météore affreux
Traversant l'aube pâle d'un beau matin brumeux.
Et c'est peut-être ainsi qu'à notre pauvre Jules
Ses oreilles étonnées et ses yeux incrédules
Lui auront fait entendre et lui auront montré
Malgré l'affolement de ses sens démontés,
Le terrifiant engin de l'homme de demain,
Narguant le villageois, l'écrasant de dédain.
Mais Mahaut, comme toute mécanique, pouvait
parfois être malade et tomber en panne.
Comme le jour où l'une des soupapes se
décrocha et perça le piston.
On peut raconter l'affaire à la manière de...
Voici venir les temps où, vibrant sur leurs tiges,
Les soupapes s'agitent au fond d'un antre noir.
Les cris et les odeurs empestent l'air du soir.
Valse très diabolique et dangereux vertige.
Les soupapes s'agitent au fond d'un antre noir.
Le moteur arrête enfin sa marche maladive,
Valse très diabolique et dangereux vertige,
Et le piston se creuse en un bel entonnoir.
Le moteur arrête enfin sa marche maladive,
Une marche achevée au néant vaste et noir.
Et le piston se creuse en un bel entonnoir.
La Mahaut a stoppé et son huile se fige.
Une marche achevée au néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige.
La Mahaut a stoppé et son huile se fige,
Ton souvenir en moi n'est plus qu'un pot-au-noir !
Remise en état, elle ne tarde pas à déclarer forfait
Oncques ne vit jamais tel travail de romain
Adonc à l'horizon, émergeant d'un chemin,
Véritable chaos menant chez les Fou-Fou –
Mais antique grand route des elfes de Rapatout –
Quelle est donc cette bête à deux roues, quatre pattes ?
Son allure est comique et sa démarche épate
Quelques guides* égarées, isolées de la plaine.
Ahanant et poussive, c'est Mahaut qui se traîne
Tel un cloporte blessé escaladant un mur.
Elle fait ses derniers pas, les plus laids, les plus durs,
Hocquetant tristement, toussant et crachotant
Elle avance ou recule, s'arrête tout le temps.
Maintenant c'en est trop, elle se bat par la ruse,
Malmenée par les hommes, elle proteste et refuse
D'amener plus avant celui qui la torture
Et risque pour finir d'en faire la pâture
D'un vilain ferrailleur, à deux francs le kilo !
Ô la vilaine fin de la belle Mahaut
Gloire à toi ô Mahaut, animal bien aimé,
Repose ton grand corps tu l'as bien mérité,
Fais panser tes blessures après le grand combat
Moque-toi des humains qui ont le cœur si bas,
Dors en paix maintenant et attends le moment
Qui est enfin venu de ton embaumement.
JMO - 1961