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Jean M. Ollivier | all galleries >> Galleries >> Climbing and skiing in Pyrenees in the '30s > Caperan de Sesques, face Nord
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1ere en 1935 Ph. JMO

Caperan de Sesques, face Nord

Vallée d'Ossau - Pyrenees

On aperçoit la fissure mentionnée dans le récit de Roger Mailly ci-dessous.

Au Capéran de Sesques par la face nord

Première ascension, le 9 septembre 1935, par François CAZALET et Roger MAILLY.

par Roger MAILLY

A la mémoire de d'Hestreux.

Le Capéran de Sesques, superbe monolithe qui se dresse dans un recoin désolé de la vallée d'Ossau, a toujours attiré les grimpeurs de cette région des Pyrénées. Déjà RUSSELL, passant par là en juin 1871, s'était écrié (1) : «... Voyez cet obélisque encore plus fantastique, qu'on laisse à droite en descendant vers le nord-est dans le vallon boisé de Sesques et qu'à l'oeil nu on voit très bien de Pau. Pourquoi cette grande aiguille, haute d'une centaine de mètres, a-t-elle été se planter là ? Comment résiste-t-elle à l'ouragan et au tonnerre ? On n'ose passer trop près, tant elle a l'air fatiguée d'être debout et prête à s'allonger par terre».
Plus lard, certains convoitèrent la cime; après bien des tentatives pittoresques, BOURDIEU réussit l'ascension, le 4 juin 1922.(Seul, pieds nus et sans corde ! - ndlr - voir photo de Bourdieu à http://www.pbase.com/jmollivier/image/27229920 )

Depuis ce jour, le Capéran reçut des visites d'année en année plus fréquentes; mais il a toujours conservé son prestige. Aussi, grande fut ma joie le jour où, à mes débuts dans l'escalade difficile, je parvins avec deux compagnons au sommet si ardemment désiré. La voie normale avait satisfait nos ambitions. Montés dans le brouillard, nous n'avions pas eu la terrible vision du profil de la face nord, haute seulement de cent vingt mètres, mais en surplomb du haut en bas.

Cependant, à l'époque héroïque, on avait déjà pensé à monter de ce côté En 1912, Motas d'ESTREUX essaya seul, alors que le Capéran n'avait jamais encore été gravi ; il échoua et fit une chute sans gravité. En 1929 partant seul également et sans indications pour le Capéran, CAZALET s'engagea dans la face nord; il eut toutes les peines du monde à redescendre. Ayant parlé de son aventure, il déclara qu'à son avis l'ascension n'était pas impossible. Ce qui fit que, durant l'été de 1934 on ne compta pas moins de six tentatives (2). Quelques mètres seulement purent être gravis. Les espoirs firent alors place au scepticisme.

Mais une des principales qualités de l'alpiniste n'est-elle pas la ténacité ? CAZALET voulait revenir, et j'avais décidé, par acquit de conscience, de l'accompagner une dernière fois.

Un samedi, vers 20 h., un bruit de moto sous mes fenêtres m'avertit qu'il faut partir. Prés de Laruns, un lièvre, aveuglé par le phare, vient se jeter contre la machine ; expédié à Pau, il servira, au retour, à fêter notre succès. La cabane du Bitet (Razies), à une heure de la route, nous offre pour la nuit un abri assez confortable. Le lendemain, nous partons tard ; l'atmosphère lourde, nos sacs remplis de tout un attirail de cordes, de pitons, de mousquetons et de marteaux, rendent pénible la marche d'approche. À 14 heures seulement nous sommes au pied de la paroi. Nous avons le projet de poser le soir même quelques jalons, de redescendre coucher sous la tente au pied de la face sud, et de donner le lendemain l'assaut décisif.

Nous levons la tête, et, longuement, nous regardons : blanche et tachée de rouge par endroits, la muraille s'élève d'un seul jet. Une fissure la fend du haut en bas; au-dessus de notre tête, elle se recourbe en un surplomb impressionnant qui nous empêche de voir la partie supérieure. Parviendrons-nous seulement jusque-là ? Plus bas, un bloc coincé, vague-ment cubique, semble barrer la route.

Lors de notre dernière tentative, CAZALET avait effectué une reconnaissance dans le début de la fissure, mais il en était redescendu exténué. Aussi attaquons-nous vers la gauche, avec l'espoir de traverser, une vingtaine de mètres plus haut, vers un endroit, où l'on devine une petite terrasse. Aucun de nous n'est pressé de partir en tête. J'estime qu'après tout l'honneur- en revient à CAZALET, promoteur de l'expédition, et je lui dis avec malice : «Alors, tu pars ?».

Dès le premier pas l'escalade est difficile : les prises sont minuscules, et le corps est déversé
légèrement en arrière. CAZALET qui a pris la tête, atteint une fiche de fer (plantée par BARRIO lors de sa première tentative), et vire de quelques mètres sur la droite. En ce point, il doit user de pitons pour gravir un bout de muraille sans prises et surplombant. La pose de chaque piton est un véritable problème ; la position est éreintante. Aussi, après avoir gagné quelques mètres, CAZALET redescend-il pour me céder la place.

A ce moment, un grondement de tonnerre et quelques gouttes de pluie nous donnent l'éveil.
Vite, nous ramenons les cordes. L'orage éclate. Pendant près d'une heure, réfugiés sous notre tente hâtivement montée, nous goûtons les joies des gouttières perfides. La mauvaise humeur me prend ; je jure, si demain le mauvais temps persiste, que je ne remettrai plus les pieds dans celle maudite région. A grands pas, dès que la pluie a cessé, nous gagnons la plus proche cabane de berger sur le versant de la vallée d'Aspe. Le propriétaire en est absent ; nous lui empruntons quelques peaux de moutons.

Le lendemain, à 9 h.3o, nous sommes de nouveau au pied de la muraille. Au-dessus de l'endroit atteint la veille CAZALET, je plante encore quelques pitons. J'aperçois maintenant sur la droite la terrasse devinée d'en bas ; pour y parvenir, il faut effectuer une traversée de niveau de quelques mètres. Je plante solidement un nouveau piton de fer. Passée dans un mousqueton, la corde est lâchée lentement par CAZALET. Collé à la paroi, j'avance sur de minuscules rebords. Je sens que la moindre nervosité interromprait fâcheusement ma progression. Encore un piton, encore un passage d'équilibre où ne me sont pas ménagées les sensations délicates, et je parviens dans la fissure. L'emplacement d'arrêt est restreint mais les pieds y reposent à plat, et il ne faut pas en demander davantage. Cazalet m'a vite rejoint ;je ne manque pas l'occasion de lui céder la place. Notre premier objectif atteint, nous pénétrons dans la zone inconnue. Le bloc cubique aperçu d'en bas fait saillie un peu plus haut. Cazalet s'élève dans la fissure. Au-dessus de ma tête, je n'aperçois que les semelles de ses sandales; parfois, un soubresaut agite son corps, et quelques centimètres sont gagnés. D'où je suis, j'entends le halètemeni, rauque de mon compagnon qui reprend son souffle. Il parvient sous le bloc, plante un piton, s'écarte de la paroi en se coinçant, et se rétablit, au-dessus de l'obstacle. Malheureusemeni, la corde, passée dans quatre
mousquetons, se refuse à glisser ; pour en venir a bout, je dois grimper la fissure et m'installer tant bien que mal sous le surplomb, pendant que d'en haut pleuvent les injonctions de faire vite.

Un peu plus lard, nous sommes réunis dans une niche profonde. Une soif ardente dessèche mon gosier; pour la calmer, mon compagnon me gratifie d'un morceau de sucre et d'une demi-tablette de chocolat; cela nous tiendra lieu de boisson et de déjeuner pour la journée. Un regard vers le haut nous a vite renseignés : voici l'énorme surplomb, dernier point visible d'en bas. Hum !… Peut-être un homme-serpent pourrait-il s'insinuer dans cette fente et contourner l'obstacle par l'intérieur ? Nous préférons le grand air. C'est à mon tour de jouer du marteau. Peu à peu le passage est aménagé, mais le corps se fatigue dans une position incommode. L'emploi de l'étrier est de rigueur. Au sixième piton, éreinté, je redescends.

Au-dessus, la pente s'humanise légèrement, et je crois apercevoir une issue. CAZALET me remplace et disparaît bientôt à ma vue. Il rappelle sa présence en m'envoyant une grosse pierre; mais ici les projectiles ne sont pas dangereux : le rocher passe loin de moi en sifflant, et, sans toucher la paroi, va s'écraser dans l'herbe. Un long moment se passe ; des coups de marteau résonnent. Près de moi volètent de petits oiseaux, gris perle avec des ailes écarlates ; ils nous accompagnent depuis le matin, se posent autour de nous sur les moindres aspérités, et leurs pépiements égayent un peu notre solitude. Enfin un appel me parvient ; sans m'attarder, car la fatigue arrive vite, je me hisse en récupérant les mousquetons au passage. Quant aux pitons, je n'essaye même pas de les enlever ; le temps presse et, il se fait tard. En montant, J'admire quelques durs passages. Ici comme plus bas, l'adresse ne peut pas suppléer la force. Mon camarade est installé sous un nouveau surplomb ; il se plaint de crampes dans les bras et dans les doigts.

Depuis longtemps déjà le brouillard nous a entourés ; maintenant il bruine. Sous le surplomb le rocher est encore sec. Il est environ 18 heures, et la niche où nous nous sommes arrêtés, si confortable soit-elle, ne vaut pas pour passer la nuit la plus modeste et la plus sale des quèbes. Cazalet me cède sa place.

Une vire montant vers la droite conduit au point vulnérable du surplomb. Une fissure, au bon endroit, est là pour recevoir le piton de fer. Il n'en reste que trois. Retenu par la taille, je puis me pencher en arrière pour examiner la partie supérieure. Là le rocher est mouillé. J'entame le rétablissement sur des prises arron-dies ; mais ce n'est pas commode, et je dois m'y reprendre à deux fois. Au-dessus, nous trouvons
encore un surplomb plus petit, mais dont le rocher est pourri. Nous virons d'abord à droite, puis à gauche, ce qui nous permet d'éviter la partie surplombante. Les bras fatigués, les pieds posés sur des rebords mouillés, nous montons très prudemment. CAZALET m'encourage à sa façon ; il conseille une montée lente, plutôt qu'une descente rapide. Cependant, l'espoir d'arriver en haut avant la nuit commence à percer en nous.

Cette dernière difficulté surmontée, un cri ,joyeux m'échappe; séparé de moi par une courte cheminée facile, garnie de prises aussi abondantes que croulantes, le sommet est là, tout proche. Nous en prenons possession à 20 heures. Humble sommet en vérité, aujourd'hui noyé dans la brume, mais qui nous est cher pour les joies qu'il nous a données, et aussi parce que nous y retrouvons les noms de tous nos amis de montagne. En réalité, nous le quittons sans regrets, car la pluie augmente et le jour diminue. En trois rappels nous dévalons la voie normale; au troisième, la nuit est complètement tombée.

Mais, le lendemain, il fait beau temps. Reposés par une nuit excellente dans la cabane du berger de Sesques nous quittons ces lieux pour descendre vers la plaine. Dans le val du Bitet les rayons du soleil filtrent à travers le feuillage humide, éveillant un monde de couleurs. Le torrent gronde dans sa gorge. Et, tandis que nous entamons une chanson ossaloise, je pense que la nature à voulu nous récompenser et fêter notre succès.
Roger Mailly - La Montagne, Novembre 1936
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(1) Henry RUSSELL. Souvenirs d'un Montagnard : le Pic de Sesques.

(2) Tentatives 1934 :
a/ BARRIO, M. BLANC, OLLIVIER,
b/ CAZALET, MAILLY
c/ BARRIO, LOUSTAUNEAU,
d/ BUSQUET CAZALET, MAILLY -
e/ BARRIO, BUSQUET, LOUSTAUNEAU -
f/ CAZALET, MAILLY.




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