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28-Avril-2962 jmo

Hervé Butel dans les Escaliers Gris à la Sud-Est de Jean-Santé. (Récit)

Un connaisseur saura les retrouver (les escaliers !) sur la photo de la Muraille de Pombie http://www.pbase.com/image/26327715
et les verra beaucoup mieux sur : http://www.pbase.com/image/47679632 (au télé depuis le pierrier)
RECIT
28 et 29 Avril 1962 . OSSAU . Face SUD-EST de la Pointe « JEAN SANTE »
ou
le Désert de Pierre Vertical

Vendredi après-midi décision rapide de Hervé et de papa Foufou : ce dernier prête la 2CV familiale à François qui vient d'avoir son permis de conduire (Mahaut la moto est encore malade). Tante Aglae et Madame Fougère viendront aussi et moi je monterai avec Néocide (ma petite moto).
Les préparatifs sont rapides et, à trois heures, je m'avance avec Néocide et arrive sans encombres au « Caillou de Socques », toujours coupé par une énorme avalanche. Le temps est splendide et la température clémente. L'Ossau est estompé par des nuées vaporeuses. Il me semble remarquer de la neige sur la Sud-Est, car c'est elle que nous voulons faire et j'ai retrouvé un peu de la passion d'antan (!) dans la préparation du matériel. Je l'ai tellement préparée cette course !.. Aujourd'hui, quelque chose d'indéfini me dit que cette fois sera la bonne. Je n'ose quand même pas trop y croire. Il suffit d'un coup de vent ou d'un peu trop de neige... La série d'échecs de cet hiver nous a un peu refroidis.
Nous préparons le matériel et répartissons les charges sur la route. Les skis sont lourds et les sacs s'en ressentent. Il n’y a pas beaucoup de neige à l’endroit d’où nous partons. Nous les portons jusqu'à la sortie du bois pour savoir si ça vaut le coup.
Le torrent qui dévale le fond du vallon nous réserve une surprise : impossible de le traverser, il est trop gros. Il faut courir jusqu'au pont, loin en amont. A l'entrée du Val de Pombie, après trois quarts d’heure de marche toujours pas de neige, aussi décidons-nous de laisser les skis sous un caillou. Ouf ! les sacs paraissent bien légers tout d'un coup. La neige apparaît cependant bientôt (évidemment !) et il faut faire la trace. Par endroit nous enfonçons jusqu’aux genoux. On se relaie, et bientôt j'émerge le premier près du refuge de Pombie dans une épouvantable neige profonde, à la consistance sablonneuse, après avoir remonté une dernière une pente assez raide.
Surprise désagréable : une lumière en sort. Quatre gars jeunes et d'aspect sympa encombrent les lieux. Nous apprendrons vite qu'ils sont Nantais, connaissent Christian Boiseaux, J-F, etc... Ils ont des Tintin et des Spirou et aiment bien à rigoler. Soirée sympa, pendant que nous nous « empiffrons ». Ils ont tenté la Sud-Est, mais n’ont pas réussi. J'avais été impressionné par l’attirail pléthorique qu'ils avaient pendu dans le refuge, mais on se sent tout de suite mieux à l’aveu de leur échec. Enfin, ce sont de joyeux drilles très agréables à vivre.
Nous nous endormons assez tard. Le ciel est parfaitement étoilé. Le petit" réveil" d'Hervé nous tranquillise quant au réveil demain matin. Nous dormons mal. Lever 5 heures. Nous nous empiffrons une fois de plus, ce qui est une excellente méthode. Nous emportons de quoi manger correctement et trois litres d'eau. Il y en aura un peu trop. La neige est assez dure en ce matin prometteur d'une journée splendide. Nous quittons le refuge tous ensemble. Les 4 Nantais vont tenter l'Arête de Peyreget qu'ils trouveront finalement sensationnelle (l’an passé, au mois de mars, nous y avions bivouaqué, Hervé et moi en compagnie du Nantais Christian Boiseaux).
En 20 minutes, après avoir traversé le chaos de neige d’une avalanche importante nous parvenons au pied de la Sud-Est. Je prends la tête. Le dièdre initial est gentiment raccourci par l’épaisseur de neige. Pas de difficulté. La dalle déversée qui suit, je la connais maintenant, mais François y passe un certain moment, ainsi que Hervé d'ailleurs. Une montée directe nous mène sous la cheminée qui conduit à la voie Jolly. Nous évitons le surplomb et passons aujourd'hui à droite, par un pas d'équilibre, pour rejoindre une vire menant en terrain facile. Nous récupérons un anneau neuf laissé par les Nantais en terrain incroyablement facile. Hervé n'a pas le moral aujourd'hui et ne se sent pas extrêmement à l'aise. Nous sommes vite au pied de la fameuse dalle dite « de VI ». Il était prévu qu'Hervé irait devant pour la franchir, il en avait envie. Mais une fois engagé il ne se sent pas d'attaque et me laisse la tête. Je prends ses souliers et j'y vais. J'hésite un peu, mais finis par passer avec deux pitons , en toute sécurité. François a besoin d’être aidé et Hervé, qui prétendait la dalle si facile, se tire à la corde. Il prend ensuite la tête et franchit les Escaliers Gris qui lui font suite. Chaque marche de cette structure géante mesure plusieurs mètres. La dernière marche le repousse, le fait transpirer et la manière dont il la franchit nous donne froid dans le dos à François et moi.
Il fait venir François et attaque le grand dièdre de couleur fauve qui fait suite aux escaliers. Il pilonne de vieux coins de bois à grands coups de marteau. Arrivé en haut du dièdre, après trente mètres, il hésite longtemps et passe un mauvais quart d'heure. Quarante mètres plus bas, confortablement couché sur une bonne plate-forme inondée de soleil, j'apprécie l'acrobatie en connaisseur. Mais le fauve n’a pas dévoré le dompteur. Après pas mal de temps et d'efforts, il parvient à un relais et fait venir François qui sue sang et eau, géné par son sac trop lourd. Puis Hervé continue en tête ; la note technique mal faite le déroute un peu, et l'on confond du V avec du III, du III et du V. Pour ceux qui suivent avec les gros sacs sur le dos, ces passages sont difficiles et athlétiques.
Aux environs de midi, nous nous installons enfin sur une grande terrasse herbeuse au sommet du grand dièdre que nous venons de gravir. Nous sommes au cœur de la face. L’ambiance est aérienne. Vue grandiose sur la Sud-Est avec un éperon formidable en face de nous. Au-dessus des parois lisses et jaunes inquiétantes et rébarbatives. Au-dessous un à-pic terrible et absolu. Le bas de la paroi échappe au regard.
De temps à autre un ronflement féroce nous avertit de l’arrivée d’un convoi de glaçons détachés par le soleil. Ils explosent sur le rocher en gerbes étincelantes. Impressionnant. Pas de mal cependant.
François et Hervé sont pris de coliques terribles et frénétiques et vont se soulager en léger contrebas, empestant l'air d'odeurs nauséabondes. Ils accusent la soupe en conserve de hier soir.
Trois quarts d'heures sont vite passées sur la seule bonne plate-forme de la face et il faut repartir. Nous avons sommeil et l’inquiétude nous gagne, mes compagnons et moi-même. "Le bivouac" devient le " leit-motiv " de l'ascension. L'éviterons-nous ?
Je repars en tête, et la fissure qui suit, montant on ne sait où et d'une grande raideur me demande beaucoup d’énergie. Dominant les copains de 15 à 20 mètres je dois me livrer à des duelfers (mouvements d’opposition) douteuses, aussi je ne lésine pas sur l'assurance. Heureusement un bon relais au fond d'une profonde fissure réconforte agréablement, et, suant et haletant les deux autres me rejoignent. La suite est une amusante opposition moins difficile qu'elle n'en a l'air, mais où il faut hisser les sacs. Suit une fissure athlétique de IV+ que j'enlève rapide et où les deux autres se font tirer. Encore une longueur relativement facile et nous parvenons sur une bonne terrasse herbeuse au pied d'un nouveau grand dièdre, un de plus.
Les sommets environnants commencent à baisser autour de nous, ce qui remonte le moral. Mais à droite, à gauche, dessous, dessus, ce ne sont que murailles affolantes et le regard se détourne pour se fixer sur un caillou proche, un brin d'herbe. On voudrait bien, par moments, ne plus y être dans ce monde surnaturel, et rester immobile est encore plus éprouvant que grimper. L'action empêche le moral de tomber. Au-dessus de nous toute progression semble impossible. Heureusement ça s'humanise quand on a le nez dessus.
Donc j'attaque le dièdre. L'humeur est au beau. Un haut du moral de l'équipe qui oscille périodiquement. Le dièdre se défend un peu à la sortie. François arrive. Son mal au ventre l'a un peu quitté mais il fatigue quand même. Je vire à gauche dans une zone facile, mais la suite est problématique. Heureusement Hervé reconnaît, et après un certain moment nous sommes au pied d'une nouvelle fissure, IV+ encore. Puis une autre, V-, et un virage à droite, IV-, puis traversée derrière un éperon, pas de V- ; dure longueur, avec un vide meu meu. A peine ai-je pris pied sur la plate-forme que ma corde me quitte, noeud défait. Terreur ! J'ai fait tout cela sans assurance. Après la « bouffe » sur les plates-formes médianes j'avais oublié de me réencorder. Chaleur... Me serais-je seulement suspendu un instant à la corde, je serais parti pour un envol définitif de plusieurs centaines de mètres
Ca devrait bientôt finir maintenant. Le jour baisse. J'ai toujours la forme cependant. Une cheminée profonde suit. Après une longueur (30 mètres) elle se rétrécit horriblement, surplombe, avec un bouchon de neige et de glace. Je frappe un coup sur une plaque de verglas et c'est tout un petit névé qui me dégringole sur la gueule et qui submerge les copains. Tout doit être dégagé et l'avance est lente et incertaine. Le rétablissement sur un becquet rocheux au fond d'une faille est particulièrement laborieux. Je mets beaucoup de temps. Encore un pas délicat au-dessus puis cela devient plus facile, malgré les apparences. Rétablissement athlétique sur une plate-forme, opposition dans une fissure et enfin un bon relais. François suit assez vite mais il faut tirer Hervé qui rit de la situation et évoque
Luna-Park !

Ca n'en finit pas. On voit des rochers à perte de vue. Illusion ? Erreur de perspective due au jour qui baisse ? La fissure profonde que nous empruntons depuis maintenant plusieurs longueurs continue à fendre la paroi. Elle est noire, surplombante et verglacée. En un mot elle ne me plaît pas et je préfère en sortir par la gauche sur des dalles moutonnées qui ont l’air accueillantes. En fait le rocher est lisse et glissant. Loin dessous, invisible, Hervé s’inquiète de ce que je deviens : “Jean ? “. Je ne souffle mot, de peur de glisser. Durant quelques instants tout se fige. La montagne est immobile, froide et grise. Le pied des parois est déjà dans l'obscurité. Un petit vent aigre se lève. L'adhérence des “vibram” est plus que précaire, et rien dans les mains ! Et la corde qui forme une grande parabole jusqu'à un vague anneau de corde passé sur un bec trop rond. Mamma mia ! Par bonheur une petite fente accepte un piton, et, miracle, des prises apparaissent ! Le vent n'est plus aussi glacial et la nuit semble tomber moins vite. Quelques mètres encore difficiles m'amènent à un relais confortable. Une longueur facile nous conduit sur l'Aiguillette Jolly, au sommet de la face Sud-Est.
Il est vingt heures trente. Cette fois la nuit nous dégringole dessus et un vent froid tourne en spirale autour de l'Aiguille Jean Santé. Il faut se couvrir. Mes deux bouzigues de compagnons sont crevés et, sans le vouloir, trompé par l'obscurité, j'ajoute une difficulté supplémentaire non prévue au programme, une espèce d'Aklon* (voie d’escalade ouverte à Arudy, voir le topo et l'image suggestive suivante : http://www.pbase.com/image/26293648) dure pour les bras surmenés depuis des heures. Trois ombres hésitantes s'agrippent sur une vire suspendue dans le noir. Un rappel est lancé dans le Cirque Suspendu, vaste amphithéâtre aérien, atteint à tâtons. Chacun s'accroche à sa touffe d'herbe.
A partir de là tout est théoriquement facile... en plein jour ! Sans lampes frontales, las, nous n'avons pas le courage d'échapper à une nuit inconfortable certes, mais qui nous évitera une errance incertaine dans le dédale de la «Voie des Vires», qui est utilisée pour descendre de la Pointe Jean Santé. Nous sommes tous d'accord pour poser là le bivouac, quitte à souffrir du froid. Lassitude et faim se conjuguent pour nous immobiliser sur les vires inconfortables et suspendues du cirque du même nom.
Nous grignotons les dernières miettes qui traînent au fond des sacs. Ca fait peu. Nous comptions bien «baffrer» joyeusement ce soir avec les Nantais, mais qu'importe, notre chambre à coucher est plus belle que la leur. Mais plus froide, aussi nous essayons de nous réchauffer en mettant le feu aux touffes d'herbe morte qui nous entourent. C'est François qui joue au boute-feu et, au cours d'une tentative hardie pour enflammer une touffe mal placée, son briquet lui échappe, rebondit et disparaît dans le noir. Eh bien vous n'êtes pas forcés de me croire mais il l'a retrouvé, têtu comme il est, et près de ses affaires ! !
Chacun cherche un coin pour essayer de dormir. Pas facile sur ces marches d'escalier déclives, d'autant que nous n'arrivons pas à placer d'assurance correcte. Toutes les demi-heures nous changeons de place. Nous arrivons néanmoins à somnoler. Au cours d'un assoupissement Hervé bascule en avant et sa frayeur est telle qu'il ne ferme plus l'oeil de la nuit. En plus il a froid car c'est le moins bien équipé. François nous déclare sans vergogne qu'il a chaud. Va t'faire foutre ! A trois heures la lune se lève. Peut-être pourrions-nous lever le camp ? Nous sommes trop ankylosés, et puis rien ne presse. De temps à autre des pierres et de la neige dévalent le cirque. On n'en a rien à faire. Nous ne nous sentons pas particulièrement visés. Curieuse indifférence entretenue par le froid grandissant du petit matin.
Le jour ! Quelques flexions pour nous dégourdir et nous partons sans plus tarder pour éviter les pierres que le soleil ne va pas manquer de décrocher car il y a du verglas un peu partout. L'instinct de prudence nous est revenu. Et bien entendu il ne tombe pas le plus petit gravier.
Nous connaissons la “Voie des Vires” et le soleil nous y rejoint et nous chauffe agréablement dans notre progression tranquille. Tiens, un bel anneau de nylon tout neuf. Prise de guerre. Le bas de la voie est encombrée de neige et de glace, et toute ces difficultés nous énervent, car il faut s'assurer mètre après mètre jusqu'au bord de la rimaye qui marque une discontinuité nette avec le névé de la Grande Raillère, en même temps que la dernière difficulté. Nous sautons dans la neige molle sans trop nous poser de questions. Hervé lance son piolet qui disparaît, avalé par la neige. Impossible de le retrouver ! Pierre Ravier (un ami Bordelais, très grand alpiniste avec son frère jumeau Jean) le retrouvera quelques jours plus tard, retour de l’éperon Est de la même pointe Jean-Santé, et nous le rapportera gentiment.
Groggys de lumière nous glissons joyeusement dans la Grande Raillère, encombrée d'avalanches de neige fraîche, particulièrement pourrie par endroits. On enfonce parfois jusqu'à la taille et je manque de justesse me casser une jambe dans un trou. Les Nantais nous ont aperçus et ont vite mis l'eau à chauffer. Le petit déjeuner est prétexte à force rigolades aux récits de nos exploits respectifs. Eh,eh, ils l'ont ratée eux la Sud-Est, mais ils se sont rattrapés sur l'arête de Peyreget, qui est comme chacun sait une splendide course de neige . Mal équipés nous y avions bivouaqué l'an passé. Une souris grise, ronde comme un moine vient participer tranquillement aux agapes. Que nous dirait-elle si elle pouvait parler ? Revenez vite, il fait bon ici, la montagne est généreuse et il y a toujours de bonnes miettes à récupérer. Ne t'en fais pas Titine on repassera par là, pour sûr.

Pour l'instant nous levons le camp, avec les Nantais. Bain de neige et de lumière jusqu'aux premières eaux vives, fleurs et parfums de printemps. Tout se conjugue ici pour célébrer l'éclosion de cette saison à la manière de Victor Hugo. Gonflés de joie nous saluons les Nantais qui rentrent dans leur lointain pays que nous nous plaisons à imaginer brumeux. Les skis sont à leur place, bien en évidence sous le gros bloc facile à repérer, et au bord du gave de Broussette, fidèles au rendez-vous, à midi et demi, les parents de François, un peu les miens aussi, et tante Aglaé nous attendent. Et c'est reparti pour un nouveau pique-nique, bercé par le glou-glou cristallin du ruisseau. Ce n'est pas l'envie qui nous manque de faire la sieste. Mais comme on dit « il faut y aller ». J'enfourche Néocide et m'emploie à faire peur au père de François qui a tenu à faire le voyage avec moi. Je crois me souvenir que personne ne lui a disputé ce privilège ! L'objectif : rallier le plus rapidement possible le point de départ et le point d'arrivée, en l'occurence le Foufouland. Une nouvelle fête nous y attend jusqu'à tard dans la nuit. Mais cette fois nous refusons catégoriquement le bivouac .....


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Saute-Cailloux 22-Jul-2009 20:45
Trop sympa, ce récit!! On en redemande, il me donne envie d'aller à la SE...Mais avec chaussons et pinces à sucre modernes!! :-)