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Jean M. Ollivier | all galleries >> Galleries >> Forties > Face Nord du Mont-Perdu
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1946 Jean Bordenave (Cl. Altitude)

Face Nord du Mont-Perdu

L'une des dernières ascensions de cette face Nord par la voie des séracs.
Risques objectifs évidents !


Au Mont-Perdu
Par les séracs de la face Nord (le 14 juillet 1946)
Par André Ballocq, Marcel Bernos, Robert et Gérard Bourg

A 3 heures, las de l'interminable nuit d'insomnie, malgré la fatigue d'une rapide montée, la veille à Tuquerouye, je cherchais à tâtons la porte du refuge. L'ayant ouverte sans bruit, un souffle glacial me paralyse littéralement. Je puis constater toutefois avec plaisir que la nuit est absolument pure ; disparus les nuages entrevus la veille et avec eux les menaces de mauvais temps. Malgré le froid très vif, j'admire longuement les séracs de la face nord du Mont-Perdu luisant sous le magnifique clair de lune. L'itinéraire projeté m'apparaît d'ici tout entier éclairé, coupé de crevasses et de barres rocheuses. Sur ma tête, tels des fantômes prodigieux, les pointes de Tuquerouye se découpent sur le ciel où scintillent d'innombrables étoiles. Rentrant précipitamment, je réveille mes camarades, et tout en dévorant un casse-croûte nous rangeons nos affaires à la lueur d'une bougie et partageons un abondant matériel d'escalade.
Déjà 4 heures. Nous descendons rapidement le raide couloir enneigé et contournons par la gauche le cirque du Lac Glacé. Le silence de la haute montagne est à peine troublé par un torrent invisible et par le seul crissement des crampons. Goûtant pleinement cette heure merveilleuse qui précède l'aube, montant de l'est dans une clarté nacrée, nous avançons dans un mutisme complet ; d'ailleurs toutes nos pensées ne se fixent-elles pas sur ces séracs maintenant dans l'ombre. Sur leur front le clair de lune s'étale, lumineux.
Parvenus à la base des séracs, après une montée un peu hâtive des quelques derniers cent mètres, - car il faut gagner du temps sur le soleil et nous sommes partis une heure trop tard — nous formons deux cordées et immédiatement j'attaque une moulure de glace vive sur laquelle le piolet rebondit sans l'entamer profondément. Quelque peu surpris, je prends mon marteau-piolet grâce auquel je parviens à tailler quelques marches et de menues prises pour les mains. Une broche à glace est cependant nécessaire aire pour effectuer le rétablissement sur cette moulure très arrondie ; taillant maintenant sans arrêt et parvenu à longueur de corde, une deuxième broche permet d'assurer mon camarade, tandis que l'autre cordée suit sans retard. La pente toute en glace se redresse à mesure que nous prenons de la hauteur ; encore quelques longueurs de corde, et, fatigué, je laisse passer la deuxième cordée conduite par Gérard Bourg.
Lentement, régulièrement, Gérard taille sans cesse, il progresse vers un ressaut tellement surplombant que l'escalade en est à peu près impossible. Nous nous reposons un peu, mais le soleil joue déjà sur les pentes supérieures des séracs ; ce qui n'est pas pour nous rassurer car la journée s'annonce radieuse mais chaude. Sur notre droite soudain, et comme pour matérialiser notre inquiétude, un énorme sérac s'écroule dans un immense jaillissement de paillettes de glace et va éclater, dans un grondement terrifiant, tout en bas de la muraille. Quelques instants nous restons immobiles devant ce spectacle impressionnant. Vaguement inquiets, nous observons les formidables blocs de glace suspendus au-dessus de nous. Se détacheront-ils sous l'effet du soleil et de l'eau de fusion que nous entendons couler au fond des crevasses ; c'est avec une certaine appréhension que nous envisageons la traversée horizontale qui nous permettra de contourner ensuite le surplomb sous lequel nous sommes arrêtés.
Mais.la crainte a bientôt disparu. Vers la gauche j'entame la traversée d'une pente absolument lisse et très redressée. Dès le premier mètre, je suis dans l'obligation de planter une broche à glace pour maintenir un équilibre compromis tous les instants par la taille qu'il me faut faire de la seule main gauche, la raideur de cette pente tout en glace ne me permettant pas l'usage des deux bras. Oubliant les menaçants séracs, je progresse sur cette pente qui me laisse une extraordinaire impression de vide, et je réussis à planter deux autres broches ; ainsi assuré, et sous le regard quelque peu anxieux de mes camarades, j'escalade maintenant vers une nervure sous laquelle je fixe encore deux pitons à glace. Ciel ! quel vide sous mes pieds ; mais pas un instant je ne pense à la chute. Enfin une dernière marche à tailler et je prends pied sur une petite vire sensiblement horizon;ale. Il m'a fallu deux heures pour franchir ce passage délicat.
Solidement assurés, mes camarades me rejoignent rapidement et nous « soufflons » sur place tout en surveillant la trajectoire possible des blocs de glace.
Bien décidés à en finir au plus vite, je repars sur un mur toujours vertical, un mur affreusement vitré, désespérément lisse. Taillant avec le marteau-piolet, je m'élève d'un mètre sur les deux pointes antérieures des crampons, et plante une première fiche, puis une deuxième ; encore quelques mètres et, le nez sur la glace, j'approche des séracs bleu-vert qui m'apparaissent sérieusement soudés les uns aux autres. Rassuré, confiant, je taille posément, sans hâte ni crispation ; encore deux fiches d'assurance et je m'apprête à escalader le haut de ce mur, quand toujours à droite un autre sérac dévale dans un tourbillon de neige et de débris et disparaît dans le vide. dans un bruit de tonnerre. Hâletant d'émotion, c'est par une véritable fuite que j'émerge au grand soleil et cours vers un amoncellement de blocs de glace d'où je pourrais assurer mes camarades, pressés eux aussi de s'évader de cette sombre muraille. Réunis enfin, nous gravissons une forte pente de neige dure et arrivons au sommet de la cascade de glace, Nous avions mis quatre heures de taille ininterrompue pour en venir à bout.
Une pente de faible inclinaison nous conduit à la base de la deuxième barre des séracs. Un étroit et raide couloir de neige nous permet de monter assez haut au milieu des crevasses. Les difficultés sont vaincues. Abordant les rochers sur lesquels court un mince filet d'eau nous nous désaltérons et prenons un peu de repos. Puis par une traversée vers la droite, nous arrivons au Doigt du Mont-Perdu et c'est la montée par la voie classique vers le sommet. A midi, nous en escaladons le dôme terminal. Le temps est magnifique, aussi nous étendons-nous au soleil et prenons-nous un repos savouré béatement. Et quel spectacle se découvre de ce sommet prestigieux, un des plus beaux de la chaîne par son architecture et sa hauteur (3.252 m.).
Au sud, la sombre vallée de Niscles et le Soum de Ramond; à l'est Pinède; à l'ouest Soaso et Arazas; au nord-ouest, vers la France, l'imposant cylindre et les fines dentelures des crêtes de l'Astazou oriental vers Pinède.
Après un dernier regard sur tous ces sommets, nous descendons vers le Lac Glacé et Tuquerouye, où nous prenons nos affaires. Le temps est bouché vers Estaubé et, noyés dans la brume, nous nous dirigeons vers Gavarnie.
André BALLOCQ (Altitude n°9, 1947).


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