"Avec les meilleures amitiés de votre moniteur"
Junca Jean - 1953
A la droite de JM le petit camarade qui voulait devenir motard
Du 3 Juillet au 2 Août 1953 - Les jolies colonies de vacances, ah oui !
Durant tout le mois de Juillet j’ai croupi dans une colonie de vacances à La Négresse près de Biarritz (Villa Mouriscot). Comment peut-on infliger de pareilles choses à un pauvre gosse, parce qu’il voulait simplement aller pour une fois à la mer pour ses vacances. La mer est à perpète de la colonie et nous n’y sommes allés qu’une fois sans pouvoir nous baigner à cause des vagues. En contrebas de la propriété de la Villa Mouriscot un joli lac d’eau douce scintille et fait de l’œil aux 95 mômes de la colonie. Interdiction absolue de rejoindre ce lac, et si parfois des monos nous en faisaient faire le tour, il n’était pas question d’y tremper ne serait-ce que le bout des pieds. Trop dangereux, pas assez d’encadrement, et aussi le spectre de la poliomyélite rôdait à cette époque. Nous passions la plus grande partie du temps dans une cour poussiéreuse, sans éléments de distraction particuliers. Aucun objet personnel n’était toléré. Ni ballons ou balles, même pas de livres ou de bd. Parfois un mono sympa nous faisait un peu de lecture. Il fallait tuer le temps. Un stalag de prisonniers de guerre ne devait pas être pire. C’est peut-être la seule fois de ma vie que j’ai ressenti l’ennui, tel une chape de plomb me tomber dessus. Les jours n’en finissaient pas.
La journée commençait tôt par un réveil au clairon, style caserne. Suivait un vague décrassage, l’habillage, le lit au carré puis le salut aux couleurs dans la cour, en rang par dix, chaque groupe devant hurler une maxime qui lui avait été apprise. Ces choses essentielles, voire vitales pour la direction de la colo, ayant été accomplies, nous pouvions enfin prendre notre petit déjeuner dans un immense réfectoire où se rassemblaient les 95 enfants de la colonie, les moniteurs et le directeur de l’établissement dont le bureau se situait juste au-dessus du réfectoire d’où il était prêt à intervenir au moindre mouvement de foule.
Ensuite quartier libre jusqu’à midi, avec interdiction absolue de monter dans les chambres (j’y avais stocké un peu de pain d’épice fourni par ma mère et je suis parfois parvenu à m’en procurer un morceau, ni vu ni connu… sauf une fois par un mono en maraude. Il confisqua ma valise et la mit sous clé, mais aucune sanction ne fut appliquée. Sans doute connaissait-il la méchanceté du directeur, laquelle se manifesta plusieurs fois par des punitions physiques sur les fautifs (fouet, bâton ou autre). Aucune activité extérieure n’était prévue durant la matinée pour des raisons d’intendance. Certains enfants, venus ici pour engraisser – selon leur propre discours venant probablement des parents - , attendaient patiemment le repas de midi. Les autres, dont moi, essayaient de se distraire comme ils pouvaient, jeux de billes, mikado, discussions… ou bagarres, parfois violentes et dont les acteurs étaient expédiés illico au bureau du directeur du stalag, toujours prêt à jouer de la badine pour calmer les esprits et les corps. Des hurlements d’enfants provenant de l’étage confirmaient, s’il en était besoin, la férocité de la direction à l’égard des contrevenants. Ça ne rigolait pas. Les jambes bleuies par les coups étaient légion. Devant tant d’ennui et de malédiction certains ont tenté de s’enfuir, mais ont toujours été rattrapés et ont fini chez le directeur. Les tentatives d’évasion ont cessé. Pour eux du moins, enfin matés.
Donc, à midi, repas dans le grand réfectoire. Je n’ai plus le souvenir de ce qui était servi, mais ça ne me déplaisait pas particulièrement et me suffisait. Je n’ai pas compris la révolte qui s’est mise à gronder un jour, en plein milieu du repas. Certains, qui estimaient qu’ils n’engraissaient pas assez vite, se mirent à entonner la célèbre chanson « C’est pas d’la soupe, c’est du rata, c’est pas d’la merde mais ça viendra ! ». Refrain repris bientôt en cœur par tout le réfectoire malgré l’intervention des monos affolés, et dont les échos sont immédiatement parvenus aux oreilles du Direktor Führer qui fit aussitôt irruption. Des meneurs furent désignés d’office et escortés jusqu’au bureau du dit Direktor. La punition ne se fit pas attendre. Des hurlements déchirants parvinrent aux convives attérés leur ôtant toute envie de continuer à chanter les louanges du rata. Aucun humour dans cette colo… pardon, ce stalag.
Le repas terminé l’usage voulait que tous ces pauvres enfants aillent se reposer dans leurs chambres pour y faire la sieste. Sieste obligatoire donc et sieste longue, qui laissait le temps aux monos d’aller draguer les monitrices de la colo de filles voisine, comme l’affirmaient les plus délurés d’entre nous. La sieste ne nous étant pas indispensable d’une part, les monos étant occupés ailleurs d’autre part, chaque chambrée passait son temps à discuter, chahuter, déguster des friandises volées. Parmi les thèmes de discussion abordés figuraient le choix des métiers que chacun souhaitait. Rien que de très banal, reflet des rêves d’enfant comme pilote de ligne ou pilote de courses, pompier... il n’était pas question de docteur (médecin), directeur de colo, caissier, banquier. Aucun ne rêvait d’être président de la République afin de tout changer. Mais il en est un, genre poupon joufflu, qui avait une idée bien précise et d’une ambition raisonnable : il voulait être motard, motard de la gendarmerie. Il n’a pas changé d’idée d’une sieste à l’autre durant tout le mois de la colo. Il a dû finir motard...
La sieste terminée c’était à nouveau le salut aux couleurs… et à nouveau l’attente du repas du soir pour les morphales, dans la cour grise et poussierreuse, sous le soleil quand il y en avait. Aucun goûter n’était servi. Exceptionnellement la cohorte d’enfant, serrée de près par les monos, gagnait la plage à pied en scandant des chansons ridicules et passait l’après-midi à regarder les vagues s’écraser sur le sable, avec interdiction absolue d’approcher l’eau. Ce ne fut autorisé qu’une seule fois par mer calme et mobilisation de tous les monos pour circonscrire un minuscule lieu de baignade. Ce jour-là, le ciel gris donnait à la mer une couleur lugubre, et le fond de l’air était relativement frais pour un mois d’été. Si l’on voulait nous écoeurer de la mer, c’était réussi ! Lumière des montagnes, pureté des ruisseaux cristallins et des lacs, tétards et petites grenouilles sauteuses, propreté des prairies alors qu’ici le sable nous paraissait suspect, jolis cailloux scintillants au soleil, serpolet si délicatement parfumé, réglisse des prés si sucrées, que c’était loin tout ça. Vivement qu’on y revienne.
Le repas du soir se tient aux environs de 19h, puis de nouveau quartier libre (càd s’emmerder) jusqu’à 21h. A partir de la moitié du mois les soirées seront consacrées à la préparation d’une pièce de théâtre jouée par les colons. C’était mieux que rien. Je crois me souvenir qu’elle avait une connotation antique et qu’il fallait déclamer en conséquence.
En conclusion ce fut d’un ennui terrible, un mois de vacances perdu pour tout ce que j’aime faire d’habitude. Dans ma vie normale je ne m’ennuie jamais, alors que dans cette colonie c’était ennui forcé, l’ennui obligatoire. Une vraie punition. En réalité un lieu de confinement des enfants pour la paix des parents. Organisé par et sous le patronnage de la Sécurité Sociale, pratiquement gratuit. D’où est venue l’idée de cet exil forcé ? de Popo assurément, jamais à court de bonnes idées, étant assistante sociale et payée… par la Sécurité Sociale. Si Mam a eu des doutes là-dessus elle n’en a rien dit. Elle m’a rendu visite à la colonie et j’ai pu passer une journée avec elle hors de cet enfer concentrationnaire. Au départ de Pau en bus elle m’avait recommandé auprès d’un jeune « chef » qui portait le même prénom que moi, Jean-Marie.
Christine ira y passer le mois d’Août et en fut très satisfaite. Comme quoi.