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Jean M. Ollivier | all galleries >> SEVENTIES >> Pyrenees - Face Nord-Ouest des Pitons de la Fouche à l'Ossau > Les deux premiers itinéraires du versant nord des Pitons de la Fourche
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22 Août 1972 jmo

Les deux premiers itinéraires du versant nord des Pitons de la Fourche

Pyrenees - Ossau

A gauche, voie Ravier 1965.

Face Nord-Ouest des Pitons de la Fourche
Première ascension le 21 août 1972 par Chantal et Jean Ollivier

L’après-midi du 20 nous partons d'Aneù sous un chaud soleil, Chantal et moi, passons par le Col
de Lie, au-dessus du Lac de Peyreget, et allons bivouaquer un peu au-dessus du lac, en bordure
du vaste pierrier qui "garde" les faces Nord. Nous posons une feuille de vinyle entre quatre
cairns pour nous abriter de l'humidité, un bivouac précédent, à l’air libre, nous ayant
servi de leçon. Par terre c'est de l'herbe, l’air du soir est bien frais, ce qui est bon
signe. Le moral est bon. Ce soir le coucher de soleil est plus beau que d'habitude
et demain sera vraiment un autre jour. Le réveil est fixé à 4h20.

4h20. Le ciel étincelle d'étoiles, le calme est immense et minéral. Il fait plutôt frisquet, et la
toile de plastique est recouverte de rosée. Ombre gigantesque, silencieuse et toute proche : l'Ossau! On
comprend dans ces moments le mot de Livanos au matin de sa conquête de la voie Cassin à la
Cima Ouest di Lavaredo : "Serons-nous dignes?". Mais foin de gamberge, un plan est établi,
l'action doit nous mener. Le petit déjeuner copieux est vite avalé, les affaires rangées. Aux
frontales nous retrouvons du matériel laissé dans les profondeurs du pierrier nord.
Nous attaquons par le petit éperon qui est en fait l'amorce du pilier Nord du Petit Pic et dans le
jour naissant, inondant les plaines de Bious d'une merveilleuse lumière, nous cavalons sur la
grande vire qui s'échoue au pied de la face NE, la vire du bombardement. Aujourd'hui tout est
calme, le rocher un peu froid. Nous sommes dans les temps. N'étant pas du matin, je trouve
même qu'il est presque un peu tôt pour se livrer à la "gymnastique convulsionnaire" chère à
Russell.
Dernière revue du matériel et le premier surplomb nous livre le passage vers la grotte
caractéristique que l'on voit de fort loin. Nous sommes au pied du problème.
Nous laissons ce relais équipé. Il faut dire ici, que pour des questions d'horaire
il a été prévu de n'enlever que les pitons faciles à extraire (nous n'utilisons
pratiquement pas les coinceurs à cette époque). Inutile de perdre du temps et
de s'épuiser sur des bouts de ferrailles souvent littéralement soudés dans le
porphyre cristallin
et dur de l'Ossau. D'ailleurs Chantal n'a pas la force nécessaire pour s'employer
à cette
déprimante besogne. Donc consigne : tout piton chantant doit être abandonné, ça
peut d'ailleurs
servir en cas de retraite...tout à fait inenvisageable pour le moment.
Traversée à gauche pour éviter le grand surplomb de la grotte et escalade d'un
mur raide, sonnant creux
parfois mais assez bien pourvu de prises. Juste assez difficile pour se mettre
dans le rythme et
l'ambiance. Car on évolue dès à présent au-dessus des abîmes inférieurs des
Pitons de la
Fourche, tout contre les piliers de l’Embarradère. Le gaz ! Quelques pitons
suffisent à sécuriser ce beau passage qui mène à une vire ascendante qui va
se fondre dans un des piliers de l'Embarradère. De là il est évident qu'il
faut revenir à droite, suffisamment loin pour dépasser un magnifique dièdre
blanc qui finit n'importe comment dans des surplombs incompatibles avec notre projet et notre matériel. Ce
dièdre faisait d'ailleurs partie des horreurs répertoriées à éviter absolument
et avait été exclu de l'itinéraire prévu. On se retrouve alors sur un excellent
relais, protégé par une grosse écaille en partie
décollée de la paroi et faisant ballustrade côté vide, prodigieux par ici.
Endroit idéal pour observer une pause et casser une petite croûte. Quelle heure
au fait ? Je ne m'en rappelle plus. Nous sommes toujours dans l'ombre de la
face Nord, mais
le soleil lèche les éperons supérieurs des Pitons. Le rocher change, prend
des couleurs rouge
fauve, si typique dans ce massif. Il semble, mais gare aux effets pervers
de la perspective, que
la suite de l'escalade suive logiquement une enfilade de dièdres en magnifique
granit.
Nous planons à présent au-dessus des pierriers de base, la partie inférieure
de la face étant
dérobée au regard. Au-dessus du relais confortable un mur à la difficulté
curieuse, peu
pitonnable, conduit effectivement aux dièdres entrevus. Le soleil nous a
rattrapés, il fait bon,
mais cela indique que la journée commence à s'avancer. Il devait être aux
environs de 16 heures quand nous avons abordé ces passages. La provision
de pitons diminue, il faut jouer à
l'économie, et d'autant plus qu'ici le rocher ne les rend plus du tout.
Mais qu'il est beau ce
dièdre régulier ! Les contreforts N0 du Grand Pic, sous la vire de
l'Embarradère sont loin
dessous, à notre gauche. A droite par contre l'éperon Nord du Petit Pic
impose sa masse
provocante et altière faite de surplombs massifs. Tiens il n'y a pas de
choucas. La saison
s'avance. Le rocher est tiède et c'est un plaisir et une fierté qui nous
anime dans les dernières
longueurs qui sentent la fin du cheminement dans la face N0 des Pitons de
la Fourche. Une
que les Ravier nous auront laissée ! Bien obligé de se remémorer le Pilier
de l'Embarradère, tenté 10 ans et 7 ans auparavant avec Hervé, en concurrence
avec les Ravier en 1965 et sans doute une troisième cordée qui ne s'est jamais
manifestée. Forcément : elle avait, pensons-nous, subtilisé le matériel laissé
en place par les deux jumeaux au cours d'une de leurs tentatives. Néanmoins pour
l'histoire et les générations futures, pour les Ravier sûrement c'est la cordée
Butolli qui leur a subtilisé du matériel. Ceci fut expliqué vertement à Minnie,
l’amie bordelaise de notre ami Anfoy, venue quérir pour nous quelques informations
sur cette escalade. Bon, avouons humblement, nous ne sommes pas totalement
innocents : un simple anneau de corde nylon, on leur a pris, en guise de trophée
porte-bonheur, c'est tout. Minnie nous ramena quand même le topo de la voie…
Quant à la nourriture déposée dans le Pilier, des sortes de mulots-grimpeurs
agiles (j'en ai vu
un voyageant furtivement dans le "dernier problème » des Pyrénées!) l'avaient
dévorée, ne laissant du pain que la croûte, le meilleur. Mal élevés va ! C'était
peut-être eux la troisième colonne !.
Nous grignotons les dernières miettes, au sommet du piton oriental en regardant
le soleil se coucher. Nous avons évité le bivouac, olé ! (heureusement car
Chantal travaille demain). Un petit vent du soir perce les vêtements. Par où
descendre ?
Nous aimerions bien fêter cette aventure à Pombie autour d'une bonne table
avec Hervé et
Renée, les gardiens du refuge de Pombie. Nous y croyons encore.
Pas question d'arpenter l'Arête de Peyreget à l'heure qu'il est. Le plus
sage aurait été de
monter au Grand Pic pour se laisser aller dans la voie normale, bourrée de cairns.
Comme
toujours on va à ce qui paraît être le plus simple, le plus faussement évident,
le couloir de la
Fourche. C'est sans doute la seule erreur de la journée, la seule fausse note
dans le plan, car
n'en faisant pas partie. Nous retournons donc dans l'ombre, qui s'épaissit de
plus en plus et la
vitesse de progression devient inversement proportionnelle à la chute du jour.
Ce couloir est bête l'été, sans neige, ou presque. Et il est encore plus bête
la nuit. Nous avons
heureusement les frontales. J'assure Chantal qui pose quelques anneaux de-ci
de-là et la rejoins quand elle trouve un endroit propice au relais. Quelle
stupidité de se viander ici : …deux randonneurs, visiblement égarés dans le
versant sud de l'Ossau, pris par la nuit au cours de leur ascension de l'Ossau
par le couloir de la fourche ont … et puis quoi encore !
Le couloir paraît long. L'ayant gravi en hiver en vingt minutes (en solo),
je me demande si
nous ne sommes pas victimes d'une dilatation de l'espace, entourés que nous
sommes
d'énormes masses sombres, un tantinet hostiles. J'étais dans ces pensées quand
mon ouïe
aiguisée perçoit un chuintement inquiétant, ressemblant à une coulée de neige.
D'où cela peut-il venir? Comment se protéger, je ne vois rien. Oh stupeur, je
réalise que ma cuisse appuyée le rocher comprime le briquet à gaz logé dans la
poche du pantalon et fait fuir le-dit gaz. Vertige des sens aiguisés.
Nous nous retrouvons bientôt sur les raides éboulis compacts et glissants du
haut de la Grande
Raillère. On clopine jusqu'à Pombie où nous n'arrivons qu'à 11 heures du soir.
Il y a
quelques lumières mais nous n'osons pas déranger. Et puis il y a demain. Déjà.
Le monde
des hommes. Hervé aurait peut-être été déçu. Et la gueule de Renée? Tant pis.
En route pour
la maison. Pas la porte à côté comme on dit. Mais la lune splendide s'est
levée, le paysage
devient magique, l'Ossau s'estompe dans une légère brume dorée, immobile,
immortel ...à notre échelle.


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