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Jean M. Ollivier | all galleries >> Climbing in Sixties >> Première ascension du Couloir Pombie-Suzon en hiver > Couloir Pombie Suzon : les conditions
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21 mars 1966 Hervé Butel

Couloir Pombie Suzon : les conditions

Le couloir Pombie-Suzon en hiver

par Hervé BUTEL,

A Jean et Chantal OLLIVIER

Samedi 19 mars 1966. - L'avalanche qui s'obstine à barrer la route nous arrête encore une fois. Jean et Chantal me font l'amitié de m'accompagner, avec autant de patience que la semaine dernière. Leurs émouvants adieux, hypothétiques au-revoir et voeux sincères, me suivent jusqu'au gué. Hypothétique lui aussi ; j'essaie vainement de le retrouver. Les audacieux ouvrages d'art, tradition régionale, ne franchissent qu'à moitié les ruisseaux. Je m'octroie pour l'instant une exploration éducative des berges, avant d'aborder l'autre rive, pieds secs et souffle court.
Le jour tombe, ou la nuit ; et le brouillard guette à l'entrée du val de Pombie. Tous les records sont battus, comme il se doit; y compris celui de la bêtise : je ne retrouve plus ma boussole !... Pas de panique, enfin un peu ; je me guide d'après l'inclinaison des pentes, sous mes pieds. Une brève éclaircie me révèle l'Ossau sous un angle très insolite ; il disparaît avant que je puisse réagir. Une seconde éclaircie me permettra de corriger, sur les chapeaux de roue, un cap quelque peu délirant...
Arrivée au refuge : plus de force pour soupirer et gémir ; c'est la béatitude...

Dimanche 20. - Le brouillard ne s'est pas dissipé cette nuit, et la lune, sans appétit, n'a pas mangé les nuages. Il faut faire quand même quelque chose pour justifier la montée apocalyptique d'hier soir. Je me rabats sur des plaques à cristaux, repérées cet été et trop hautes à visiter. Je les retrouve avec difficulté, enfouies dans la neige ; et ne me récompensant même pas d'une fidélité acrobatique. Une fois regagné le refuge, gag connu : les voiles de brumes qui, que... se déchirent ; et dans toute sa splendeur, l'Ossau, etc... etc... Cela me fait bien... râler en tout cas d'autant plus qu'une collective apparaît au col de Peyreget et me régale, en consolation, d'un spectacle choisi.

Lundi 21. - Il fait très beau, avec quelques brumes et l'angoisse dans la gorge qui nous prévient qu'il faut se décider...
Je pars avec juste ce qu'il faut pour la journée de vêtements et de nourriture ; une intention avouée d'aller voir comment cela se passerait, et celle inavouée, mais bien certaine d'essayer.

Une escalade mixte très raide et délicate m'amène, après d'innombrables rimayes, au sommet du grand ressaut. Il fait très chaud au soleil ; les gants sont dans les poches. Je vais aborder le dernier rocher, lorsqu'une impression de vide me fait baisser les yeux : un gant s'est échappé de ma poche, bondit, s'arrête, glisse, freine, repart, rebondit et s'arrête en équilibre sur la lèvre inférieure de la première rimaye, tout en bas. Quel bel écho ont les murailles environnantes ! ... Il me faut à tout prix descendre en rappel simple. Il sera juste assez long, une main accrochée à l'extrémité, pour me saisir du gant, avec des délicatesses de mandarin.
Je remonte chercher mon sac, avec l'intention d'arrêter là les frais, car il se fait tard ; je laisserai là ma corde qui m'aidera demain. Mais cela est complètement idiot... Suit un débat très passionnant. Je veux en voir plus. Et me voici lancé dans le grand névé qui part du balcon de la vire et mène à l'entrée du couloir ; la neige est excellente. Lorsqu'il s'agit de redescendre, je m'aperçois que le névé est bien raide, et le couloir si tentant avec son sommet au soleil...
C'est décidé, j'y vais ; et s'installe en moi une trouille qui ne me quittera pas de deux jours... Il est déjà midi.

Les premières longueurs sont faciles, enfin relativement, par rapport à l'énorme pieuvre de glace vive qui, descendant de la muraille de droite, s'étale sur toute la largeur du couloir, à quelques longueurs de là. Je la passe à la funambule sur le côté gauche du couloir, heureux de retrouver la neige profonde et poudreuse. Il me faut maintenant compter sur ces deux aspects de la neige : d'un côté les immenses méduses de glace qui s'écoulent des murailles ensoleillées de droite et viennent mourir dans le couloir ; et de l'autre côté, la neige poudreuse de face nord, instable et sans fond, mais tellement rassurante quand j'y suis bloqué jusqu'aux cuisses. Entre ces deux zones, la goulotte de neige très dure et de glace. Je vais de l'une à l'autre, à moitié sur l'une, à moitié sur l'autre. A ma main gauche, un manche de piolet avec dragonne, à ma main droite, un piolet assez court. L'un m'assure tandis que je manoeuvre l'autre ; les pieds donnent la cadence.

Je ne connais pas le couloir en été et ne peux situer exactement les différents surplombs. Me voici arrivé a un goulet dont la partie
supérieure est rigoureusement à pic. Il offre d'ailleurs l'aspect d'an toboggan de glace. Je sors la corde, ne peux trouver d'emplacement de piton, et me décide à m'assurer sur le manche de piolet sur lequel je mousquetonne le sac. C'est très moral, comme histoire. Je ne pourrais exactement décrire la technique employée pour vaincre la partie inférieure. Tout d'abord, le surplomb de glace s'écroule, me voici a plat ventre dans le toboggan. Je ne crois pas avoir tellement changé de position jusqu'au bas du mur, sauf pour planter deux broches à glace. Au pied du mur, le problème se révèle dans toute son ampleur.. J'essaie de partir sur les rochers verglacés de gauche : impossible. Un rétablissement «au pet» m'amène sur une minuscule vire qui me permettra d'aborder le mur de glace. Ici commence un travail très monotone, une peur de plus en plus bleue, des imprécations de plus en plus violentes : je viens de laisser tomber mon avant-dernière broche !

Il me faut continuer et sortir d'ici avec une seule broche à vis : je taille les marches, les prises de main, l'amorce du trou de la broche; plante celle-ci, me tire sur elle et sur le piolet. Mousquetonné sur la broche, je continue à tailler plus haut, ancre mon piolet, dévisse ma broche et la revisse encore plus haut. Je ne sens plus du tout les cascades de neige fraîche qui dévalent sur moi par la goulotte dans laquelle je suis. Deux heures après l'avoir entamé, j'emporte le morceau, cette fois-ci en grand écart. Un mauvais piton dans le rocher et ma broche dans la glace me permettent d'aller chercher mon sac, de récupérer les pitons. C'est plutôt crevant comme délassement...

Je suis maintenant dans la partie médiane du couloir, et dois continuellement feinter avec la neige car c'est très accidenté. Il me faut d'abord dépasser un îlot rocheux émergeant au milieu du couloir. Voulant passer par la neige tout de suite à gauche, je suis de nouveau arrêté par un mur de glace, surplombant, cette fois. Je dois redescendre et aborder les rochers en écharpe. J'en sors par une escalade qui me paraît extrêmement difficile et délicate. Les longueurs suivantes me font reprendre le rythme si monotone en apparence : planter le piolet droit ; planter le piquet gauche; un, deux, trois, quatre coups de pointe du pied droit ; un, deux, trois, quatre coups de pointe du pied gauche ; déplanter et planter le piolet droit. Les différentes manières de déplanter mes piolets me donnent des crampes différentes à chaque main ; et je n'en finis pas de monter, ça ne s'arrêtera jamais...

A hauteur de l'épaule de l'Eperon Est, je crois bien que la fin approche. Mais je dois déchanter à la vue du second goulet. La nuit est là... Il faut batailler à la frontale et faire donner toutes les réserves d'énergie pour passer. Là aussi, technique peu orthodoxe, semble-t-il ; surtout pour le passage de sortie, décidé après combien d'hésitations ?

Haletant, à plat ventre sur la nouvelle pente de neige, je ne suis pas tiré d'affaire; la neige est peu profonde et très instable : impossible de planter le piolet, impossible d'atteindre les prises avec les crampons à travers la peu épaisse couche de neige. Dans cet instable équilibre, je dois en plus tirer sur la corde qui arrive à sa fin. Ecartelé, haletant, tremblant, je m'agrippe au premier rocher venu et le décape jusqu'à trouver une fissure convenable pour ma dernière cornière. Rappel et remontée aussi pénible et athlétique que la montée.

De là, je regagne le milieu du couloir et recommence ma trace sans trop bien voir ce qui se passe. Mon inquiétude, ma douleur, ma lassitude, mon intérêt et mon activité se réduisent au seul cercle de ma lampe, à la machine à monter que je suis devenu depuis qu'il fait noir...

Seuls subsistent les souvenirs des pentes extrêmement raides et de grandes plaques de neige qui ont laissé à leur coupure, en glissant, des petits murs qui s'effritent sous les crampons...

Les étoiles ! ... Voilà, je suis en haut. Le vent, depuis quelques instants m'en avait averti, mais je n'osais plus y croire.
Il est dix heures du soir. Il me reste à bivouaquer sur place dans un trou. J'ai tout sur moi, et tout est mouillé. Allongé dans mon trou, je délace une première chaussure : quel sympathique dégel ! J'hésite à délacer la seconde, et m'attends à la même fête. Au bout de plusieurs instants, ne sentant rien, je réalise que mon pied est gelé. Voilà un sujet de méditation pour le reste de la nuit !…

…………………………………….

Le lendemain de son ascension, H. Butel dût gagner la brèche située a droite du Pentagone pour redescendre ensuite par la Voie des Vires du versant opposé (sud) de la Pointe Jean-Santé.

ALTITUDE n°42, année 1966

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